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Pape Samba Sow « Zoumba » et Soukeina Khalil, artistes saint-louisiens : Quand le pinceau se fait rythme.

Dimanche 31 Janvier 2016

Ils ont un dénominateur commun, l’art et son corollaire, la recherche du prodigieux. Soukeina Khalil, plasticienne et présidente de l’Association des Marocains de Saint-Louis, et Pape Samba Sow « Zoumba », écrivain, conteur, musicien, animateur, essayent, par leurs actions, de se nourrir de couleurs, de mots, de formes. Mieux, ils vivifient les relations séculaires entre les deux peuples.

En ces temps secs, où la ville de Saint-Louis, comme le reste du pays d’ailleurs, est assaillie par une certaine chaleur inhabituelle, la demeure de Soukeina Khalil, au quartier Darou, respire la forme et une joie de vivre. Ici, tout à côté du fleuve qui y forme un arc, propice à la création, on est en plein dans l’art. Passé le portail, l’espace est grand et tout à côté de ces lieux inspirant, l’atelier de l’artiste.

Là, pêle-mêle, sens dessus-dessous, Soukeina semble se retrouver dans son décor. Mais non, depuis une année, elle était absente, indisposée par une maladie. Mais le retour pointe à l’horizon.

Au salon, l’art, dans la cuisine, l’esthétique. Piano, tableaux et autres attirails peuplent cette maison-galerie, où tout y est forme. Et même lors des discussions, quand le poète « Zoumba », le geste large, la diction impeccable, évoque Soukeina Khalil, sa « muse-amie », on croirait être dans un récital de vers, qui se déclament et embaument l’espace, comme les effluves de ce fleuve si proche, qui charrie une pureté sans égal.

Entre les deux artistes, la connexion s’est faite naturellement. Comme la fusion entre la peinture et le verbe, eux ne peuvent pas dire depuis quand ils collaborent. Soukeina Khalil réfléchit à cette question, Zoumba se triture les méninges. Mais rien, aucune date ne vient à l’esprit. En fait, ils se connaissent depuis...

Tout est question de complémentarité chez ces deux, avec pour finalité la sublimation du beau contraste qui les lie. Aux cheveux poivres-sels de Zoumba répond avec grâce la Sénégalo-marocaine à la chevelure impeccable, fournie avec une tresse parfois rebelle. Cette magie de l’art inusable s’est traduite avec la naissance d’un ensemble d’activités, qui accompagnent les expositions « Off » de Soukeina, lors des différentes Biennales.

Complémentarité

Sous des vocables différents, ces rencontres s’appellent « Le voile qui dévoile », avec le spectacle « Respiration » en 2010, puis les « Transversales » dans la phase 1, la série « Arpège » en 2012 et la phase 2 avec les « Portées du C(h)œur » en 2014. De grands moments où différentes expressions artistiques sont dévoilées, pour une douzaine de jours.

En effet, chaque soir, durant ces célébrations, au moment où la lune langoureuse, armée de ses filets de lumière, dialogue avec le fleuve si proche, la demeure de Soukeina vit aux rythmes des envolées du conteur Zoumba et autres artistes saint-louisiens. Il s’y tient tout un programme en ateliers ouverts, ou chaque créateur explore son « Moi intérieur » par un voyage. Tout un itinéraire artistique, avec la participation de poètes qui y déclament des proses (Mame Ngoné Faye), de danseuses aux gestes chaloupés (Mame Coumba Ndiaye) et de conteurs qui racontent l’Afrique des guerriers (Aïssatou Morelle Gueye).

Trait d’union entre Saint-Louis et le Maroc
En ces temps de replis identitaire accru et d’incompréhension, ces deux artistes se découvrent et s’enrichissement mutuellement. Même lors de leur prestation commune, l’idée de transmettre est présente, avec pour cible les enfants, à qui l’on inculque les bases pratiques de la poésie, des arts plastiques, du conte etc.

Lorsque l’un et l’autre parle de Casablanca ou Saint-Louis, on sent tout un attachement. Pour Zoumba, le fils du fleuve, « nous avons grandi avec le Maroc, nous qui sommes de la première capitale du Sénégal ». Tandis que Soukeina, installée depuis mars 1994 à Ndar, a une autre perception de son lien avec le Sénégal en général, et Saint-Louis en particulier. Cette cité est une sorte, dira-t-elle, « de reflet de Casa et vice-versa. J’y travaille et j’y tiens tous mes quartiers fonctionnels, ma famille, mon atelier, mon association, mes amis, le décor immédiat de ma peinture ». La plasticienne dit être portée par cette exquise dualité.

C’est ainsi, poursuit-elle. « Il ne saurait en être autrement. Je n’ai pas à revendiquer ma « Sudisté », elle s’impose de vérité. Je suis une femme de tous les Sud », confie Soukeina. Et d’ajouter : « Saint-Louis du Sénégal ! Il semble que c’était ma route de vie, cette ville est écrite dans mon destin intégral ».

C’est dans cet esprit que l’organisation d’une caravane culturelle entre Fès et Saint-Louis est en train de prendre forme. Il s’agira de retracer l’histoire des deux communautés, par le déplacement d’une centaine d’artistes du Maroc. Ce sera pour Soukeina « un projet Sud-Sud avec, en toile de fond, un voyage envers nous-mêmes, et plus tard, des hommes d’affaires vont imiter cette approche afin de densifier la relation entre ces nations. ».

Mieux encore, pour Zoumba, du point de vue spirituelle, « il est important et même impératif de bien entretenir ce pont naturel, qui existe avec le Maroc, particulièrement avec la ville de Cheikh Ahmed Tidiane ».

Quand Zoumba, fils d’Amina Sow Mbaye romancière, poétesse nouvelliste, auteur du roman « Mademoiselle », rencontre Soukeina, fille de Mohamed Khalil Belahcen Essahraoui, grand homme de culture et politiquement engagé, l’art n’en est que subjugué. Il ne pouvait en être autrement. En effet, l’un et l’autre ont baigné dans un milieu artistique dense. Zoumba évoque son amour pour les Lettres en se remémorant sa mère, directrice d'école et écrivain, qui l'a formé à la langue française. Elle lui faisait lire ses écrits en premier.

Fils de… et fille de…

Ainsi, l’artiste saint-louisien eut à publier un roman, « Les Anges Blesses » (Fama Editions, 2009), un recueil de poèmes « Arc En Fleuve » (Harmattan, 2013), et une analyse critique du théâtre populaire sénégalais, « Théâtre Nawetaan, Théâtre des Valeurs ».

Et sur la scène, Zoumba enchante également son public, qu'il soit d’ici ou d’ailleurs. Sa pièce « Superstitions » a d'ailleurs connu un vif succès au Maroc, lors du Festival international des nuits du conte. En face, Soukeina, la Sénégalo-marocaine (elle est l’épouse du musicien Khabane Thiam) rappelle l’amour pour la culture dans la famille, avec des frères qui sont passés par le Conservatoire.


« Par la volonté et l’engagement de mon père, tous les frères et sœurs savent jouer à un instrument. Souvent, l’on se retrouve en orchestre durant les grandes retrouvailles familiales », raconte-t-elle. En évoquant ces moments, elle se rappelle que son père Mohamed Khalil Belahcen Essahraoui a fait le don de 22.000 œuvres de sa bibliothèque à l’Académie islamique du Maroc.

Aujourd’hui, cet amour de Soukeina Khalil pour l’art est transmis à sa fille Hajar Pourméra Thiam, qui a obtenu le Prix littéraire Alain Decaux de la Francophonie en 2014. Une belle plume en devenir…
 
Par Amadou M. NDAW
LE SOLEIL


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