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Les Changements climatiques : un plomb dans les ailes du Pse ?

Mardi 28 Juin 2016

Les Changements Climatiques font planer de sérieuses menaces sur les efforts de développement économique et social que déploie le Sénégal pour atteindre l’émergence à l’horizon 2035. Sans une stratégie nationale de riposte cohérente et crédible, ce sont des moteurs entiers de la croissance qui risquent d’être plombés. Lecture croisée du phénomène et le plan Sénégal Emergent par l’Observatoire des valeurs sociétales et éthiques des organisations (Ovseo).


Les conséquences environnementales et socio-économiques du réchauffement climatique sont déjà bien visibles au Sénégal.  Elles ont fini de mettre à nu notre vulnérabilité économique et notre faible résilience face aux impacts désastreux des changements climatiques ; compromettant ainsi les efforts déployés par le Sénégal pour atteindre les objectifs déclinés dans le  Plan Sénégal Emergent (Pse).


En effet, le Sénégal est un pays fortement exposé aux impacts environnementaux, économiques  et sociaux des changements climatiques de par sa position géographique de pays sahélien situé au bord de l’océan atlantique.  Sur sa façade maritime, le pays  fait face à l’érosion côtière  et au risque permanent de submersion marine. Tandis que l’hinterland est  rudement éprouvé par  la sécheresse, et la dégradation des terres.  Pour un pays qui aspire à l’émergence à l’horizon 2035, un tel degré d’exposition laisse planer de sérieux doutes sur  la capacité du pays à enclencher une dynamique de croissance forte et rapide, tout en faisant face aux défis liés aux changements climatiques.


Autant dire que le Sénégal  se trouve à la croisée des chemins. Une rupture thérapeutique dans nos modèles économiques, dans nos modes de production et de consommation, et dans nos modes de vie s’impose, pour permettre au pays d’être à la hauteur des défis. Ce qui se joue pour le Sénégal, ce n’est ni plus ni moins l’atteinte des objectifs  de croissance et de développement durable tels que déclinés dans  le Pse. Une croissance qui doit cependant épouser une trajectoire de croissance économique à faible intensité de carbone pour  pouvoir s’inscrire dans la durabilité.


Dès lors, comment précisément résoudre ce dilemme cornélien, d’exigence de croissance rapide et de lutte contre le réchauffement climatique, devient une question cruciale de développement durable. Une croissance à faible émission de carbone, qui valorise les ressources nationales tout en préservant l’environnement, la santé humaine et animale et les  intérêts des générations futures est-elle encore possible ?  Sommes-nous capables de  concilier la gestion durable des ressources naturelles et la transformation structurelle de notre économie qui va demander encore plus d’énergie, une plus grande pression sur les  terres, sur l’eau, sur les ressources minières, forestières, halieutiques,  etc. ? Voilà autant de questions que le Pse doit adresser au plus vite car autrement, c’est la qualité même de la croissance et sa pérennité qui seront mises en cause.


La mise en œuvre de politiques bien conçues dans ces domaines peut entraîner le renforcement mutuel des objectifs de croissance et des objectifs climatiques à court et moyen termes. Cinq mois après l’accord historique de Paris sur le climat de contenir le réchauffement planétaire en dessous de 2 degrès Celsius d’ici à 2100, auquel le Sénégal, à l’image de beaucoup de pays intelligents a souscrit, le temps presse. Des pans entiers de notre économie sont exposés au risque climatique ; alors que les pertes économiques, et le  coût de l’inaction ne cessent de grimper d’année en année. Sous aucun prétexte ces coûts ne doivent être transférés aux générations futures. C’est maintenant qu’il faut agir !
Le Pse en tant que programme de développement économique et social, mise sur de nouveaux moteurs de diversification des sources de la croissance à côté des Tic et télécoms et des services  financiers qui ont le plus tiré la croissance ces dernières années. Certains de ces moteurs de croissance sont des moteurs d’inclusion sociale comme l’agriculture et l’agroalimentaire, l’habitat social et l’écosystème de construction, l’économie informelle. D’autres sont des moteurs d’exportation et d’Investis­sements Directs Etran­gers (Ide) : hub logistique et industriel, Hub multiservices et tourisme, ressources minières.


Seulement voilà, nombreux sont ces moteurs directement affectés par les impacts négatifs des changements climatiques : l’agriculture dans le sens large, et le tourisme en particulier. Tandis que d’autres moteurs sont à l’évidence sources d’émission non négligeables de gaz à effet de serre : l’habitat, les industries, les ressources minières.
L’agriculture est la première victime des effets des changements climatiques du fait de la dégradation des terres par érosion hydride, par salinisation, par inondation, et par des facteurs anthropiques. En réduisant les superficies cultivées, en faisant baisser la productivité agricole, et les revenus des agriculteurs, l’impact des changements climatiques sur l’agriculture remet en cause les objectifs d’autosuffisance alimentaire et de réduction des importations de produits alimentaires visés par le Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture sénégalaise (Pracas).


Du coup, ce sont les objectifs de développement durable (réduction de la pauvreté, faim zéro, santé de qualité, eau potable et assainissement,  éducation de qualité, environnement, etc.), intégrés dans le Pse dans son axe 2, qui sont compromis dans un pays où la majorité de la population active est dépendante de cette activité pour vivre.


Une étude récente, intitulée «économie de la dégradation des terres : évaluation globale», réalisée par l’Institut national de pédologie en partenariat avec l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri), a estimé  à 944 millions Usd, soit 8,4% du Pib 2007,  le coût global de la dégradation des terres au Sénégal. La même étude  révèle que 1700 000 ha de terres sont actuellement dégradés par la salinisation. Elle renseigne en outre que sur l’horizon de 30 ans, le coût de l’action en pourcentage du coût de l’inaction est de 22%. En  conséquence, le retour sur investissement contre la dégradation des terres est élevé : 1 $ Us  investi pour remettre en état les terres dégradées rapporte environ 4 $ Us.  Il reste la question fondamentale du financement des actions et des services éco-systémiques de restauration.


La bonne nouvelle, le Sénégal est bien parti pour être le premier pays à bénéficier du Fonds vert pour le climat en matière lutte contre la dégradation des terres avec l’approbation  d’un projet de Gestion Durable des Terres (Gdt) porté par l’Ong Green Sénégal et l’Uicn.  


Toutefois,  au regard de l’ampleur du phénomène et des ressources financières importantes à mobiliser, d’autres sources de financement méritent d’être explorées. En même temps,  une formidable opportunité est donnée à l’Etat du Sénégal pour un meilleur ciblage géographique des subventions agricoles, pour qu’elles soient beaucoup plus efficaces et beaucoup plus équitables.


Le tourisme, qui constitue une des principales sources de devises pour le Sénégal et,  un autre moteur important de la croissance, paie déjà les frais de l’érosion côtière et du rétrécissement de la plage. Le site touristique de Saly souffre déjà, et reste sous menace d’être rayé de la destination touristique du Sénégal, par l’effet combiné de l’érosion des plages et le risque de submersion marine, si  l’on n’y prend garde.


Saint-Louis, une autre destination prisée, se retrouve entre le marteau des crues du fleuve Sénégal, et   l’enclume de  l’élévation du niveau de la mer qui empêche les eaux du fleuve de se jeter en océan,  exposant ainsi la ville à un risque maximal de submersion. Le cas de Saint-Louis est devenu préoccupant parce que cette ville peut être submergée d’un jour à l’autre, mettant en danger des vies humaines.


S’il est vrai que l’industrie touristique du Sénégal ne se porte pas bien depuis plusieurs années pour d’autres raisons, aujourd’hui la destruction des plages, l’attraction touristique la plus importante au Sénégal, est devenue une cause majeure de déclin de l’industrie du tourisme.


Une étude récente financée par la Banque mondiale intitulée : «Etude économique et géographique de la vulnérabilité et de l’adaptation aux changements climatiques des zones côtières au Sénégal», dirigée par le ministère de l’Environnement et du développement durable avec le concours de la Banque mondiale, a été menée entre 2011 et 2012.


L’étude a procédé à l’évaluation de trois sites-pilotes dans le cadre d’un certain nombre de scénarios allant jusqu’en 2080 (Rufisque/Bargny, Saly et Saint-Louis) ; et effectué des prévisions sur les coûts des dégâts associés aux changements climatiques si aucune mesure n’est prise. L’extrapolation des résultats issus des trois sites a permis de faire des estimations des coûts économiques pour toute la côte. La valeur actualisée nette de tous les coûts, y compris  les risques économiques, humains, sanitaires et matériels a été estimée à 1 500 milliards de F Cfa (3 milliards de dollars).


Le coût de l’érosion côtière et de submersion marine est estimé à lui seul à 344 milliards de francs Cfa. Le Coût actualisé net (Can) d’inondation côtière au-delà de Saint-Louis, essentiellement en raison de crues, revient à environ 389 milliards de francs Cfa. Le Can des inondations à Saint-Louis s’élève à 818 milliards de F Cfa.


L’élevage, un autre moteur de la croissance qui reste encore une activité largement pastorale fortement dépendante de l’existence de pâturages,  est également menacé.  Nous avons déjà vu cette menace à l’œuvre lors des pluies de contre saison ; qui ont failli décimer une bonne partie du cheptel dans le Walo et le Ferlo. Un  phénomène nouveau de déforestation pour nourrir le bétail a pu être observé l’année dernière dans la zone nord dans des localités comme Mbane, du fait de la disparition progressive de pâturage.


La pêche,  une activité dont dépendent des millions de Sénégalais pour subvenir à leurs besoins n’est pas épargnée. Les changements de températures des océans pourraient avoir des conséquences graves sur le secteur de la pêche ; ce qui pourrait menacer plusieurs emplois directs et indirects, et accentuer le phénomène d’émigration clandestine dans les quartiers de pêcheurs, du fait de la rareté de la ressource et du risque qu’ils prennent pour aller pêcher loin au large des côtes.  Ce secteur mérite une attention particulière, car au delà des changements climatiques,  la ressource halieutique est aussi menacée par la surpêche des bateaux étrangers incontrôlés, et par les rejets industriels comme c’est le cas dans la baie de Hann.


Les nouvelles découvertes de pétrole au large des côtes sénégalaises constituent un facteur supplémentaire d’aggravation des menaces sur la ressource halieutique en raison même de l’emplacement de ces gisements et de la direction des courants marins. Une formidable catastrophe écologique n’est pas à écarter si d’aventure une démarche d’évaluation environnementale et sociale systématique de l’empreinte de ces projets n’est pas intégrée depuis la phase de formulation des projets d’investissements, jusqu’à la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation.


Cette même démarche est d’ailleurs nécessaire pour tous les 27 projets phare du Pse, au regard du caractère transversale de la thématique «changements climatiques et environnement», comme nous y invite le Code de l’environnement. Sauf que l’application du code à la lettre reste encore un vœu pieux pour plusieurs projets d’investissements.

Une  nécessaire transition vers une économie à faible intensité de carbone


Au regard de l’ampleur des impacts économiques sur plusieurs secteurs d’activités prioritaires du Pse  liés aux changements climatiques,  et d’autres risques liés cette fois-ci à l’exécution même des grands projets prévus dans le Pse, il urge d’organiser la riposte tant au plan national, comme au plan individuel et collectif (à l’échelle des entreprises, projets et programmes d’investissements, organisations de la Société civile, collectivités locales, etc.).


Au plan national, la volonté politique existe. Elle se traduit par l’existence d’un cadre  institutionnel, législatif et réglementaire bien en place : un ministère en charge de l’Environnement et du développement durable, avec en son sein une Direction de la veille et de l’évaluation environnementale, un engagement international du Sénégal lors de la Cop21 à travers sa Contribution prévue nationale déterminée au niveau National (Cpdn), plusieurs textes internationaux sur le climat ratifiés, un Comite national de lutte contre le changement climatique mis en place, la Loi 2001-01 du 15 janvier 2001 portant code de l’environnement en cours de révision,  et surtout une Lettre de politique de Développement de l’Energie qui mise sur le mix énergétique.


Ce qui reste à faire pour le Gouvernement, c’est de donner un signal fort, en usant de tout son leadership pour assurer une transition vers une économie à faible intensité de carbone, et rendre systématique l’évaluation environnementale et sociale pour tout projet d’investissement, qu’il soit porté par le public ou par le privé. Le coût de certaines mesures difficiles à prendre est souvent nul ; par exemple l’application du Code de l’environnement dans toute sa rigueur ne demande pas de la part de l’Etat, une dépense supplémentaire, mais un contrôle de l’effectivité. Idem pour l’interdiction de la collecte de sable sur la plage qui accentue l’érosion côtière.


Enfin, l’Etat est attendu aussi dans la fixation d’un tarif carbone juste et équitable pour les gros pollueurs à travers la fiscalité. Il est également attendu qu’il légifère sur la Responsabilité sociétale des entreprises (Rse) pour orienter les dépenses effectuées dans ce domaine par les entreprises vers l’atteinte des Objectifs de développement durable (Odd) plutôt que vers le soutien aux manifestations folkloriques, comme c’est souvent le cas au Sénégal.


De même, certaines lois qui dorment encore dans les tiroirs, comme la Loi sur le littoral, doivent être votées au plus vite.

Les entreprises, et organisations, quelles que soient leurs tailles, doivent assumer pleinement leurs responsabilités vis-à-vis de l’environnement et du climat, et vis-à-vis de la société, en adoptant des démarches Rse plus en phase avec les préoccupations de développement durable des populations : environnement, santé, eau potable et  assainissement, éducation, etc.


Les collectivités locales constituent un échelon pertinent pour livrer la bataille contre le réchauffement climatique, à condition qu’elles  se dotent de Plan climat territorial intégré (Pcti) comme certaines ont commencé à le faire afin de contribuer à un développement local durable  tenant compte de la dimension «changements climatiques».
Les Ong ne sont pas en reste. Elles ont un rôle important de plaidoyer, d’alerte, et d’éducation environnementale aux côtés des populations.


Au plan individuel, nous devons chacun en ce qui le concerne, se soucier de son empreinte écologique, et développer des reflexes éco-citoyens.


En définitive, c’est par un signal politique très fort, mais sans ambigüité aucune -comme l’installation d’une centrale à charbon alors que l’heure est à la suppression de cette solution énergétique partout dans le monde-,  que nous parviendrons à gagner  le pari de la réconciliation de nos objectifs d’émergence économique, avec  la nécessité d’une croissance économique propre.


A cet égard, une prise de conscience individuelle et collective, une démarche inclusive dans un élan national de solidarité et de générosité, un retour aux valeurs sociétales et éthiques des entreprises et organisations,  sont plus que jamais nécessaires pour éviter que la mise en œuvre du  Pse ne soit plombée par les changements climatiques,  et que les Objectifs de développement durables (Odd) ne connaissent le même sort que les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd).

Bacary SEYDI - Secrétaire général – Ovseo
Observatoire des valeurs sociétales et éthiques des organisations
www.ovseo.org


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