C’est une famille Pène désespérée et meurtrie qui est venue rendre visite, très tard hier soir, à L’Observateur. Foncièrement opposée au mariage de leur fille Adja Dethié Pène, devenue la 7ème femme de Cheikh Béthio Thioune, la famille Pène a décidé de s’en ouvrir à la presse pour alerter les autorités du pays et faire libérer leur fille «prise en otage». Un récit bouleversant.
«Je suis le grand-frère de même mère et de même père de Adja Dethié Pène, la fille qui est présentée comme la 7ème épouse de Béthio Thioune. Vendredi matin (13 avril 2012), comme d’habitude, c’est moi qui la dépose à son travail, dans une boîte française basée au Point E où elle travaille comme informaticienne. Durant le trajet en voiture, elle m’a expliqué qu’elle avait un séminaire à Saly (Mbour, 80 Kilomètres de Dakar). Elle m’a expliqué tout dans les détails en me disant qu’elle devait, avec des collègues, réviser un logiciel de facturation et de comptabilité. Elle m’a tout expliqué dans les moindres détails. Je lui ai même passé des idées sur le sujet. Elle a dit la même chose à ma mère, elle a aussi envoyé un message (mail) à mon père, qui travaille à l’étranger (il est fonctionnaire international) pour lui dire la même chose. Mais, nous nous sommes rendus compte plus tard que tout cela était un moyen pour elle d’aller retrouver son marabout (Cheikh Béthio Thioune) à Mbour (Médinatoul Salam, Ndlr).
Le lendemain samedi, entre 15 et 16 heures, j’étais en train de prendre mon repas à la maison quand ma jeune sœur est venue me dire que notre petite sœur, qui était soi-disant partie à Mbour pour un séminaire de 48 heures, s’est mariée avec le Cheikh. Sur le coup, ça a été un choc pour toute la famille. Ma mère s’est effondrée en pleurs sur le coup et le temps que j’appelais Adja Dethié pour en avoir le cœur net, ma sœur, qui était venue me rapporter la nouvelle, est, elle, tombée dans les pompes. Le monde s’effondrait autour de moi. J’ai quand même tenu à appeler ma sœur : «J’espère que c’est un poisson d’avril», lui ai-je dit. Parce que j’ai été surpris et j’avais comme perdu mes moyens. Je ne savais plus quoi dire. Elle me répond : «Non !», tout court. J’ai un peu haussé le ton, en lui rétorquant : «Mais attends ! T’as toujours ta tête ? Elle me dit : «Loloula ya ‘Allah dogal (c’est la volonté divine).» Ses réponses étaient sèches et courtes. J’étais là à psalmodier le nom de Dieu, en disant des «Lahilaha Illalah (Il n’y a de Dieu que Dieu).» J’étais au premier étage de notre domicile et il y avait comme une sorte de chaos en bas. Je suis redescendu pour essayer de relever ma sœur qui était en syncope, consoler ma mère qui pleurait de toutes ses larmes. C’était une bombe pour la famille. Et il fallait réagir en urgence.
«J’ai épousé une fille majeure que j’aime et qui m’aime»
A chaud, nous avons informé tous ceux qui devaient l’être au sein de la famille, c’est-à-dire mon oncle (le grand-frère à mon père) et son petit frère, mes oncles qui sont ici (ils étaient présents au moment de l’interview). Nous avons discuté au téléphone et ils ont rappliqué dare-dare à la maison. Nous avons d’abord essayé de calmer les femmes (sa mère et sa sœur). Après, nous avons décidé de faire une délégation composée de mes deux oncles, de ma mère, de ma sœur et de moi-même pour aller, en personnes civilisées, rencontrer Béthio à Mbour. Nous pouvions y aller avec une autre intention, mais nous nous sommes dit : «Il faut y aller et discuter calmement avec lui.»
Nous avons quitté Dakar vers 21 heures et nous sommes arrivés à Mbour vers 23 heures. Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé Béthio entouré de quelques uns de ses talibés et ma sœur, assise à ses côtés. Et comme ils étaient en cérémonie de je-ne-sais-quoi, nous avons suivi la procédure. Nous sommes entrés dans la foule et l’un de mes oncles (le plus âgé) s’est avancé vers Béthio et lui a dit : «Cette femme assise à tes côtés, c’est ma fille. C’est elle que je suis venue récupérer.» Et tout de suite, comme il ne voulait pas que l’affaire s’ébruite devant ses talibés, il a appelé un de ses chambellans pour nous installer rapidement dans le salon. Cinq minutes après, il (Cheikh Béthio Thioune) nous a rejoints et nous nous sommes salués brièvement. Et mon oncle lui a dit en termes clairs et fermes : «Nous sommes venus récupérer notre fille que tu as épousée, sans l’accord de ses parents. Donne-nous notre fille et on va rentrer avec elle.» Sa réaction a été, avec la voix qu’il a, de dire : «Je connais la loi. J’ai épousé une fille majeure que j’aime et qui m’aime. Nous avons le droit de nous marier.» Et puis, il a ajouté : «Vous ce que vous dites, c’est-à-dire l’accord des parents, c’est juste culturel. C’est la tradition, mais on peut s’en passer. Mais comme vous êtes venus me voir, je peux négocier avec vous et je verrai ce que je vais vous donner en compensation.» Nous avons a senti une certaine défiance à notre égard. Après, il s’est lancé dans des interprétations religieuses en disant qu’il sait très bien ce qu’il fait parce que l’Islam le lui permet. Il a dit : «L’Islam permet à toute femme qui à l’âge de 13 ans de se marier. Mais, je suis d’accord avec vous par rapport à la tradition, il faut quand même donner un cadeau de mariage et tout.» Personnellement, j’ai pris la parole pour lui dire de manière ferme : «Ce n’est pas exactement cela. Tu as dit ce qui t’arrange dans l’histoire pour avoir raison.» (…)
Ma sœur m’a répondu : «Est-ce que toi aussi tu as ta tête ?»
Pendant tout ce moment, ma sœur (Adja Dethié) était là, aphone. Nous l’avions trouvée à côté de lui dehors et quand ils sont entrés ensemble dans la chambre où se tenait l’entrevue. A un moment donné, je me suis adressé directement à ma sœur pour lui dire : «Adja, est-ce que tu as toute ta tête ?» Elle me répond la même chose : «Est-ce que toi aussi tu as ta tête ?» Alors, je lui ai dit qu’elle nous avait tous trompés, maman, papa, moi… Et que cela fait très mal. Après certains disciples, qui assistaient à la discussion, commencent à se rouspéter en disant : «C’est l’épouse de notre marabout, il ne faut pas lui parler comme ça.» Il y a ensuite un échange houleux entre eux et nous. Je leur ai fait savoir que c’est ma sœur et que j’ai le droit de lui parler comme ça. Un des chambellans du marabout a alors pris la parole pour faire des divagations et légitimer l’acte de son marabout. Et c’était à un moment, il faut le reconnaître, où Béthio commençait à flancher, à lâcher du lest. Parce que Béthio commençait à dire que les circonstances dans lesquelles nous l’avons trouvé avec ma soeur font qu’il ne pouvait pas la laisser partir comme ça. «Si je la laisse partir, ce serait comme une humiliation pour elle», a dit Béthio. Mais, j’ai compris qu’il laissait sous-entendre que ce serait aussi une humiliation pour lui aussi. Parce qu’il y avait de soi-disant disciples qui étaient dehors et qui l’attendaient. Il a ensuite dit : «Si je vous la (Adja Dethié) laisse, vous allez la traîner comme une vache dehors, il faut respecter la personne humaine.» Ensuite, il nous a dissuadé subtilement d’essayer d’user de la méthode forte pour ramener notre sœur chez nous : «Vu votre petit nombre, vous ne pouvez pas me forcer à la laisser partir avec vous», a dit Béthio. Quelque part, il y avait des menaces sous-entendues dans ses propos.
Seulement, il y a une chose qui nous a affaiblis aussi et lui a redonné confiance. C’est qu’il y a un cousin à nous qui habite à Cité Damel…(…) Nous avons trouvé ce cousin chez Béthio, parce que c’est un de ses disciples. Il y avait même un autre demi-cousin qui faisait partie de l’accueil et qui nous attendait de pied ferme. Le cousin prend la parole et s’élance dans une sorte de délire : «Cheikh Bi yaye Serigne Touba (Vous êtes Serigne Touba sur terre !) ! On ne croit qu’en vous !» Il a commencé par la suite à parler de choses familiales, alors que tout ce qu’il disait était faux. Il a raconté cette histoire dans le but de dénigrer notre famille. Et cela a enhardi Béthio qui reprend du poil de la bête.
«Le seul service que tu peux me donner, c’est de me rendre ma fille»
Tout au long de l’entrevue avec Béthio, ma maman pleurait toutes les larmes de son corps. A un moment, et cela m’a fait mal, car elle a supplié Béthio de lui rendre sa fille. Insensible à la supplique, Béthiocommence par rigoler, avant de dire : «Je te comprends, je sais ce qu’une mère peut éprouver pour sa fille, mais on va s’entendre.» Parce que lui (Béthio) était en train de faire des calculs, parce qu’il a une approche, une méthode. Quand il parle d’ «entente», c’est qu’il fait référence à l’argent qu’il pourrait donner en guise de compensation. Ma maman l’a ensuite imploré : «Par la grâce de Serigne Saliou et de Serigne Touba, rendez-moi ma fille. Le seul service que tu puisses me donner, c’est de me rendre ma fille. Je ne t’ai pas offert sa main, idem pour son père.» Ma maman l’implorait, en pleurant à chaudes larmes. Et le gars (Cheikh Béthio) se contentait toujours de dire : «Je comprends votre situation de maman, mais il faut convenir qu’on ne peut rien contre la volonté divine. Votre fille est majeure et chez moi, elle est en sécurité, je ne suis pas un sauvage, je respecte la dignité humaine..» A un moment donné, ma maman s’est littéralement effondrée, et nous avons beaucoup de mal à la relever.
C’était sur ces entrefaites que Béthio s’est retourné pour dire : «Si je vous laisse la (Adja Dethié) ramener à la maison, ce serait une humiliation. Maintenant, laissez-moi lui parler à tête reposée et de voir comment la ramener chez vous.» (…) On a compris, par la suite, que c’était un stratagème pour nous faire partir, en attendant qu’il murisse son plan. Car en se quittant le samedi soir, il nous a promis de nous rendre la fille. Il nous avait dit : «Elle (Adja Dethié) est très amoureuse de moi et il faut que je la convaincs pour qu’elle accepte de revenir chez vous.» Il nous a même dit : «Si je vous laisse la ramener, c’est comme si je ne suis pas digne d’être son mari.» (…) Mon oncle lui a dit : «Kone dal pékhé amoul (Il n’y a pas de solution pour qu’on puisse rentrer avec notre fille).» Il lui a répondu : «Wolof Ndiaye Néna : Niak pékhé pékhéla (à l’impossible, nul n’est tenu).» Nous nous sommes levés, mais ma mère ne pouvait même plus bouger. Elle était là, en sanglots, incapable de se relever. Nous nous sommes débrouillés pour la sortir du salon, de manière épouvantable.
Ma sœur était prostrée là, incapable de lever les yeux pour regarder sa maman en pleurs. Ce qui m’a beaucoup étonné, c’est qu’elle ne pouvait même pas parler. Elle était là, comme indifférente face à tout cette souffrance qu’elle nous faisait subir. Quand je l’ai interpellé, elle a juste levé la tête. Sans rien dire, même pas un geste d’indignation. (…) Avant, j’avais quelques doutes sur la prétendue «potion» magique dont on parle pour «détourner» les esprits les plus cartésiens, mais de la façon dont les choses se sont passées, sincèrement, mon esprit cartésien s’est un peu dissipé. Je suis un peu perdu parce que j’ai beaucoup de mal à comprendre ce qui arrive à ma sœur. Comment ma sœur a pu être retournée de la sorte ? Comment elle a pu monter toute cette histoire pour aller chez Béthio pour se faire capturer comme ça ? Elle a été manipulée.
D’accord, ma soeur est majeure, mais c’est un problème de mœurs qui se pose aujourd’hui. Est-ce que Béthio a le droit d’avoir plus de quatre femmes ? C’est quelque chose que le droit sénégalais ne permet pas. Tout ce qu’on a raconté dans les journaux, c’est faux. Premièrement, notre famille ne fait pas partie des «Thiantacounes». Deuxièmement, Béthio nous avait donné sa parole en nous disant qu’il allait ramener la fille, mais il n’a rien fait de tout cela. Il avait même donné son numéro de téléphone à l’aîné de mes oncles, mais rien.
On a quitté Mbour très tard le samedi et quand nous sommes rentrés à la maison, notre oncle a rendu compte à mon frère, l’aîné de notre famille. Le lendemain, dimanche, nous avons décidé de retourner avec une forte délégation à Mbour. Tout cela, c’était pour lui mettre la pression. Dans la délégation, il y avait le grand-frère de notre papa en plus, mais sans ma mère cette fois. Nous sommes arrivés chez le gars (Cheikh Béthio) entre 11 et 12 heures. Quand nous sommes arrivés, nous sommes rentrés directement parce que, nous ne sommes pas ses talibés. Nous savions où est ce qu’il se trouvait. Un de ses chambellans est venu nous demander les raisons de notre visite. Nous lui avons dit que nous sommes venus voir son marabout. Il nous a demandé d’entrer. En entrant dans le salon, il nous a demandé de laisser nos chaussures dehors. Nous avons obtempéré. Aussitôt un autre chambellan, précisément celui qui tombait en transe la veille, est venu nous demander de sortir. Il nous a éconduits : «Sortez ! Dehors !», nous a-t-il intimés. Il a un peu offusqué le grand-frère à mon père qui est quand même un homme d’âge avancé. Nous avons même failli en venir aux mains avec lui.
*
D’autres gens sont venus s’interposer et nous demander de sortir sans problème. Ils voulaient nous humilier en nous demandant d’aller nous asseoir sur une natte et d’attendre. Nous avons refusé et leur avons demandé de nous donner des chaises. Ils nous ont dit que les chaises, c’est pour d’autres personnes. Nous sommes sortis se mettre derrière la porte pour attendre. Comme par enchantement, Béthio sort, en disant : «Qui me demande ?» Et quand il nous a vus, il a tempéré en essayant de nous prendre par les sentiments. «Vous êtes ma belle famille, entrez vous aussi», nous a-t-il dit. (…)
C’est notre grand-père qui prend la parole. Il fait fermement savoir à Béthio : «Nous sommes là pour récupérer la fille !» Notre grand-père a expliqué à Béthio que le père de la fille, qui est à l’étranger, l’a mandaté pour venir récupérer sa fille. Béthio a recommencé avec son discours ritournelle. Il dit que le «mariage» était en phase avec la loi et la religion etc. Mais si c’était pour satisfaire la tradition, il pouvait faire un «geste». Il a poursuivi en disant qu’il peut nous donner tout ce que nous demandons. Le chef de notre délégation lui rétorque : «Dans notre famille, si nous donnons une fille en mariage, nous ne demandons rien.» C’est pour lui faire savoir que ce n’est pas un problème d’argent, mais une question de principe. Mon grand-père est même allé jusqu’à lui dire, si c’était sa propre fille, est-ce qu’il allait accepter qu’une personne la subtilise et la marie comme il l’a fait ? Il (Béthio) s’est offusqué pour dire au chef de la délégation : «Connais-toi toi-même et n’essaie pas de me connaître.» Avant d’insister : «Je suis un chef religieux, la tradition importe peu pour moi. Votre fille aime une personne qui l’aime, je ne vois pas de problème.»
Nous avons fini par quitter chez Béthio, où nous avons fait presque une heure. Sans jamais voir Adja Dethié. Quand nous avons demandé notre sœur, on nous a séchement dit qu’elle n’est pas là. Sans plus. Déjà, le samedi, quand nous avons demandé à lui parler en aparté, ma sœur nous a dit : «Si vous avez quelque chose à dire, dites-le, je n’ai rien à cacher.»
Aujourd’hui, nous continuons à réfléchir en famille. Nous nous sommes renseignés auprès de la justice, et ce «mariage» pose un problème de mœurs. Béthio n’a pas le droit de prendre plus de 4 femmes au Sénégal. C’est pourquoi, nous voulons laver cet affront et défendre notre dignité. (…)
En attendant, hier lundi, nous sommes allés rencontrés un dignitaire religieux à Porokhane pour qu’il raisonne Béthio. Mais, celui-ci nous a dit clairement : «Je n’y peux rien !» Quand nous l’avons trouvé là-bas, il nous a dit, en toute franchise, qu’il ne veut pas être mêlé de près, ni de loin à Béthio. Nous étions partis chez le marabout pour décanter une situation, mais nous sommes revenus avec un espoir et des prières. Donc, notre voyage n’a pas été vain. (…)
Le combat se poursuivra ailleurs jusqu’au retour de ma soeur. En attendant, notre maman est dans tous ses états. C’est l’enfer pour elle. (…)
RECUEILLIS PAR PAPE SAMBARE NDOUR
Le message de la famille Pène
Au nom de Dieu, LE Clément, LE Miséricordieux, pour la sauvegarde de son honneur, la famille, unie dans la oummah islamique, tient à faire un démenti sur tout ce qui a été raconté sur un soi-disant «mariage» de leur fille avec Béthio Thioune.
La famille, durement affectée et affligée par ce malheur qui s’est abattu sur elle, sollicite les prières des Sénégalais, toutes confessions confondues, pour que la justice divine soit effective au grand soulagement de tous les autres parents victimes.
Après avoir effectué trois déplacements, dont deux à Mbour et un à Porokhane, en l’espace de trois jours pour éviter cette catastrophe, les parents de la fille s’en remettent à L’Eternel et ont décidé de clore ce dossier qui devient médiatique et dont ils n’ont nullement besoin.
Le combat se poursuivra ailleurs jusqu’au retour de notre fille.
FAWATOU AMRI LILAHI
«Je suis le grand-frère de même mère et de même père de Adja Dethié Pène, la fille qui est présentée comme la 7ème épouse de Béthio Thioune. Vendredi matin (13 avril 2012), comme d’habitude, c’est moi qui la dépose à son travail, dans une boîte française basée au Point E où elle travaille comme informaticienne. Durant le trajet en voiture, elle m’a expliqué qu’elle avait un séminaire à Saly (Mbour, 80 Kilomètres de Dakar). Elle m’a expliqué tout dans les détails en me disant qu’elle devait, avec des collègues, réviser un logiciel de facturation et de comptabilité. Elle m’a tout expliqué dans les moindres détails. Je lui ai même passé des idées sur le sujet. Elle a dit la même chose à ma mère, elle a aussi envoyé un message (mail) à mon père, qui travaille à l’étranger (il est fonctionnaire international) pour lui dire la même chose. Mais, nous nous sommes rendus compte plus tard que tout cela était un moyen pour elle d’aller retrouver son marabout (Cheikh Béthio Thioune) à Mbour (Médinatoul Salam, Ndlr).
Le lendemain samedi, entre 15 et 16 heures, j’étais en train de prendre mon repas à la maison quand ma jeune sœur est venue me dire que notre petite sœur, qui était soi-disant partie à Mbour pour un séminaire de 48 heures, s’est mariée avec le Cheikh. Sur le coup, ça a été un choc pour toute la famille. Ma mère s’est effondrée en pleurs sur le coup et le temps que j’appelais Adja Dethié pour en avoir le cœur net, ma sœur, qui était venue me rapporter la nouvelle, est, elle, tombée dans les pompes. Le monde s’effondrait autour de moi. J’ai quand même tenu à appeler ma sœur : «J’espère que c’est un poisson d’avril», lui ai-je dit. Parce que j’ai été surpris et j’avais comme perdu mes moyens. Je ne savais plus quoi dire. Elle me répond : «Non !», tout court. J’ai un peu haussé le ton, en lui rétorquant : «Mais attends ! T’as toujours ta tête ? Elle me dit : «Loloula ya ‘Allah dogal (c’est la volonté divine).» Ses réponses étaient sèches et courtes. J’étais là à psalmodier le nom de Dieu, en disant des «Lahilaha Illalah (Il n’y a de Dieu que Dieu).» J’étais au premier étage de notre domicile et il y avait comme une sorte de chaos en bas. Je suis redescendu pour essayer de relever ma sœur qui était en syncope, consoler ma mère qui pleurait de toutes ses larmes. C’était une bombe pour la famille. Et il fallait réagir en urgence.
«J’ai épousé une fille majeure que j’aime et qui m’aime»
A chaud, nous avons informé tous ceux qui devaient l’être au sein de la famille, c’est-à-dire mon oncle (le grand-frère à mon père) et son petit frère, mes oncles qui sont ici (ils étaient présents au moment de l’interview). Nous avons discuté au téléphone et ils ont rappliqué dare-dare à la maison. Nous avons d’abord essayé de calmer les femmes (sa mère et sa sœur). Après, nous avons décidé de faire une délégation composée de mes deux oncles, de ma mère, de ma sœur et de moi-même pour aller, en personnes civilisées, rencontrer Béthio à Mbour. Nous pouvions y aller avec une autre intention, mais nous nous sommes dit : «Il faut y aller et discuter calmement avec lui.»
Nous avons quitté Dakar vers 21 heures et nous sommes arrivés à Mbour vers 23 heures. Quand nous sommes arrivés, nous avons trouvé Béthio entouré de quelques uns de ses talibés et ma sœur, assise à ses côtés. Et comme ils étaient en cérémonie de je-ne-sais-quoi, nous avons suivi la procédure. Nous sommes entrés dans la foule et l’un de mes oncles (le plus âgé) s’est avancé vers Béthio et lui a dit : «Cette femme assise à tes côtés, c’est ma fille. C’est elle que je suis venue récupérer.» Et tout de suite, comme il ne voulait pas que l’affaire s’ébruite devant ses talibés, il a appelé un de ses chambellans pour nous installer rapidement dans le salon. Cinq minutes après, il (Cheikh Béthio Thioune) nous a rejoints et nous nous sommes salués brièvement. Et mon oncle lui a dit en termes clairs et fermes : «Nous sommes venus récupérer notre fille que tu as épousée, sans l’accord de ses parents. Donne-nous notre fille et on va rentrer avec elle.» Sa réaction a été, avec la voix qu’il a, de dire : «Je connais la loi. J’ai épousé une fille majeure que j’aime et qui m’aime. Nous avons le droit de nous marier.» Et puis, il a ajouté : «Vous ce que vous dites, c’est-à-dire l’accord des parents, c’est juste culturel. C’est la tradition, mais on peut s’en passer. Mais comme vous êtes venus me voir, je peux négocier avec vous et je verrai ce que je vais vous donner en compensation.» Nous avons a senti une certaine défiance à notre égard. Après, il s’est lancé dans des interprétations religieuses en disant qu’il sait très bien ce qu’il fait parce que l’Islam le lui permet. Il a dit : «L’Islam permet à toute femme qui à l’âge de 13 ans de se marier. Mais, je suis d’accord avec vous par rapport à la tradition, il faut quand même donner un cadeau de mariage et tout.» Personnellement, j’ai pris la parole pour lui dire de manière ferme : «Ce n’est pas exactement cela. Tu as dit ce qui t’arrange dans l’histoire pour avoir raison.» (…)
Ma sœur m’a répondu : «Est-ce que toi aussi tu as ta tête ?»
Pendant tout ce moment, ma sœur (Adja Dethié) était là, aphone. Nous l’avions trouvée à côté de lui dehors et quand ils sont entrés ensemble dans la chambre où se tenait l’entrevue. A un moment donné, je me suis adressé directement à ma sœur pour lui dire : «Adja, est-ce que tu as toute ta tête ?» Elle me répond la même chose : «Est-ce que toi aussi tu as ta tête ?» Alors, je lui ai dit qu’elle nous avait tous trompés, maman, papa, moi… Et que cela fait très mal. Après certains disciples, qui assistaient à la discussion, commencent à se rouspéter en disant : «C’est l’épouse de notre marabout, il ne faut pas lui parler comme ça.» Il y a ensuite un échange houleux entre eux et nous. Je leur ai fait savoir que c’est ma sœur et que j’ai le droit de lui parler comme ça. Un des chambellans du marabout a alors pris la parole pour faire des divagations et légitimer l’acte de son marabout. Et c’était à un moment, il faut le reconnaître, où Béthio commençait à flancher, à lâcher du lest. Parce que Béthio commençait à dire que les circonstances dans lesquelles nous l’avons trouvé avec ma soeur font qu’il ne pouvait pas la laisser partir comme ça. «Si je la laisse partir, ce serait comme une humiliation pour elle», a dit Béthio. Mais, j’ai compris qu’il laissait sous-entendre que ce serait aussi une humiliation pour lui aussi. Parce qu’il y avait de soi-disant disciples qui étaient dehors et qui l’attendaient. Il a ensuite dit : «Si je vous la (Adja Dethié) laisse, vous allez la traîner comme une vache dehors, il faut respecter la personne humaine.» Ensuite, il nous a dissuadé subtilement d’essayer d’user de la méthode forte pour ramener notre sœur chez nous : «Vu votre petit nombre, vous ne pouvez pas me forcer à la laisser partir avec vous», a dit Béthio. Quelque part, il y avait des menaces sous-entendues dans ses propos.
Seulement, il y a une chose qui nous a affaiblis aussi et lui a redonné confiance. C’est qu’il y a un cousin à nous qui habite à Cité Damel…(…) Nous avons trouvé ce cousin chez Béthio, parce que c’est un de ses disciples. Il y avait même un autre demi-cousin qui faisait partie de l’accueil et qui nous attendait de pied ferme. Le cousin prend la parole et s’élance dans une sorte de délire : «Cheikh Bi yaye Serigne Touba (Vous êtes Serigne Touba sur terre !) ! On ne croit qu’en vous !» Il a commencé par la suite à parler de choses familiales, alors que tout ce qu’il disait était faux. Il a raconté cette histoire dans le but de dénigrer notre famille. Et cela a enhardi Béthio qui reprend du poil de la bête.
«Le seul service que tu peux me donner, c’est de me rendre ma fille»
Tout au long de l’entrevue avec Béthio, ma maman pleurait toutes les larmes de son corps. A un moment, et cela m’a fait mal, car elle a supplié Béthio de lui rendre sa fille. Insensible à la supplique, Béthiocommence par rigoler, avant de dire : «Je te comprends, je sais ce qu’une mère peut éprouver pour sa fille, mais on va s’entendre.» Parce que lui (Béthio) était en train de faire des calculs, parce qu’il a une approche, une méthode. Quand il parle d’ «entente», c’est qu’il fait référence à l’argent qu’il pourrait donner en guise de compensation. Ma maman l’a ensuite imploré : «Par la grâce de Serigne Saliou et de Serigne Touba, rendez-moi ma fille. Le seul service que tu puisses me donner, c’est de me rendre ma fille. Je ne t’ai pas offert sa main, idem pour son père.» Ma maman l’implorait, en pleurant à chaudes larmes. Et le gars (Cheikh Béthio) se contentait toujours de dire : «Je comprends votre situation de maman, mais il faut convenir qu’on ne peut rien contre la volonté divine. Votre fille est majeure et chez moi, elle est en sécurité, je ne suis pas un sauvage, je respecte la dignité humaine..» A un moment donné, ma maman s’est littéralement effondrée, et nous avons beaucoup de mal à la relever.
C’était sur ces entrefaites que Béthio s’est retourné pour dire : «Si je vous laisse la (Adja Dethié) ramener à la maison, ce serait une humiliation. Maintenant, laissez-moi lui parler à tête reposée et de voir comment la ramener chez vous.» (…) On a compris, par la suite, que c’était un stratagème pour nous faire partir, en attendant qu’il murisse son plan. Car en se quittant le samedi soir, il nous a promis de nous rendre la fille. Il nous avait dit : «Elle (Adja Dethié) est très amoureuse de moi et il faut que je la convaincs pour qu’elle accepte de revenir chez vous.» Il nous a même dit : «Si je vous laisse la ramener, c’est comme si je ne suis pas digne d’être son mari.» (…) Mon oncle lui a dit : «Kone dal pékhé amoul (Il n’y a pas de solution pour qu’on puisse rentrer avec notre fille).» Il lui a répondu : «Wolof Ndiaye Néna : Niak pékhé pékhéla (à l’impossible, nul n’est tenu).» Nous nous sommes levés, mais ma mère ne pouvait même plus bouger. Elle était là, en sanglots, incapable de se relever. Nous nous sommes débrouillés pour la sortir du salon, de manière épouvantable.
Ma sœur était prostrée là, incapable de lever les yeux pour regarder sa maman en pleurs. Ce qui m’a beaucoup étonné, c’est qu’elle ne pouvait même pas parler. Elle était là, comme indifférente face à tout cette souffrance qu’elle nous faisait subir. Quand je l’ai interpellé, elle a juste levé la tête. Sans rien dire, même pas un geste d’indignation. (…) Avant, j’avais quelques doutes sur la prétendue «potion» magique dont on parle pour «détourner» les esprits les plus cartésiens, mais de la façon dont les choses se sont passées, sincèrement, mon esprit cartésien s’est un peu dissipé. Je suis un peu perdu parce que j’ai beaucoup de mal à comprendre ce qui arrive à ma sœur. Comment ma sœur a pu être retournée de la sorte ? Comment elle a pu monter toute cette histoire pour aller chez Béthio pour se faire capturer comme ça ? Elle a été manipulée.
D’accord, ma soeur est majeure, mais c’est un problème de mœurs qui se pose aujourd’hui. Est-ce que Béthio a le droit d’avoir plus de quatre femmes ? C’est quelque chose que le droit sénégalais ne permet pas. Tout ce qu’on a raconté dans les journaux, c’est faux. Premièrement, notre famille ne fait pas partie des «Thiantacounes». Deuxièmement, Béthio nous avait donné sa parole en nous disant qu’il allait ramener la fille, mais il n’a rien fait de tout cela. Il avait même donné son numéro de téléphone à l’aîné de mes oncles, mais rien.
On a quitté Mbour très tard le samedi et quand nous sommes rentrés à la maison, notre oncle a rendu compte à mon frère, l’aîné de notre famille. Le lendemain, dimanche, nous avons décidé de retourner avec une forte délégation à Mbour. Tout cela, c’était pour lui mettre la pression. Dans la délégation, il y avait le grand-frère de notre papa en plus, mais sans ma mère cette fois. Nous sommes arrivés chez le gars (Cheikh Béthio) entre 11 et 12 heures. Quand nous sommes arrivés, nous sommes rentrés directement parce que, nous ne sommes pas ses talibés. Nous savions où est ce qu’il se trouvait. Un de ses chambellans est venu nous demander les raisons de notre visite. Nous lui avons dit que nous sommes venus voir son marabout. Il nous a demandé d’entrer. En entrant dans le salon, il nous a demandé de laisser nos chaussures dehors. Nous avons obtempéré. Aussitôt un autre chambellan, précisément celui qui tombait en transe la veille, est venu nous demander de sortir. Il nous a éconduits : «Sortez ! Dehors !», nous a-t-il intimés. Il a un peu offusqué le grand-frère à mon père qui est quand même un homme d’âge avancé. Nous avons même failli en venir aux mains avec lui.
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D’autres gens sont venus s’interposer et nous demander de sortir sans problème. Ils voulaient nous humilier en nous demandant d’aller nous asseoir sur une natte et d’attendre. Nous avons refusé et leur avons demandé de nous donner des chaises. Ils nous ont dit que les chaises, c’est pour d’autres personnes. Nous sommes sortis se mettre derrière la porte pour attendre. Comme par enchantement, Béthio sort, en disant : «Qui me demande ?» Et quand il nous a vus, il a tempéré en essayant de nous prendre par les sentiments. «Vous êtes ma belle famille, entrez vous aussi», nous a-t-il dit. (…)
C’est notre grand-père qui prend la parole. Il fait fermement savoir à Béthio : «Nous sommes là pour récupérer la fille !» Notre grand-père a expliqué à Béthio que le père de la fille, qui est à l’étranger, l’a mandaté pour venir récupérer sa fille. Béthio a recommencé avec son discours ritournelle. Il dit que le «mariage» était en phase avec la loi et la religion etc. Mais si c’était pour satisfaire la tradition, il pouvait faire un «geste». Il a poursuivi en disant qu’il peut nous donner tout ce que nous demandons. Le chef de notre délégation lui rétorque : «Dans notre famille, si nous donnons une fille en mariage, nous ne demandons rien.» C’est pour lui faire savoir que ce n’est pas un problème d’argent, mais une question de principe. Mon grand-père est même allé jusqu’à lui dire, si c’était sa propre fille, est-ce qu’il allait accepter qu’une personne la subtilise et la marie comme il l’a fait ? Il (Béthio) s’est offusqué pour dire au chef de la délégation : «Connais-toi toi-même et n’essaie pas de me connaître.» Avant d’insister : «Je suis un chef religieux, la tradition importe peu pour moi. Votre fille aime une personne qui l’aime, je ne vois pas de problème.»
Nous avons fini par quitter chez Béthio, où nous avons fait presque une heure. Sans jamais voir Adja Dethié. Quand nous avons demandé notre sœur, on nous a séchement dit qu’elle n’est pas là. Sans plus. Déjà, le samedi, quand nous avons demandé à lui parler en aparté, ma sœur nous a dit : «Si vous avez quelque chose à dire, dites-le, je n’ai rien à cacher.»
Aujourd’hui, nous continuons à réfléchir en famille. Nous nous sommes renseignés auprès de la justice, et ce «mariage» pose un problème de mœurs. Béthio n’a pas le droit de prendre plus de 4 femmes au Sénégal. C’est pourquoi, nous voulons laver cet affront et défendre notre dignité. (…)
En attendant, hier lundi, nous sommes allés rencontrés un dignitaire religieux à Porokhane pour qu’il raisonne Béthio. Mais, celui-ci nous a dit clairement : «Je n’y peux rien !» Quand nous l’avons trouvé là-bas, il nous a dit, en toute franchise, qu’il ne veut pas être mêlé de près, ni de loin à Béthio. Nous étions partis chez le marabout pour décanter une situation, mais nous sommes revenus avec un espoir et des prières. Donc, notre voyage n’a pas été vain. (…)
Le combat se poursuivra ailleurs jusqu’au retour de ma soeur. En attendant, notre maman est dans tous ses états. C’est l’enfer pour elle. (…)
RECUEILLIS PAR PAPE SAMBARE NDOUR
Le message de la famille Pène
Au nom de Dieu, LE Clément, LE Miséricordieux, pour la sauvegarde de son honneur, la famille, unie dans la oummah islamique, tient à faire un démenti sur tout ce qui a été raconté sur un soi-disant «mariage» de leur fille avec Béthio Thioune.
La famille, durement affectée et affligée par ce malheur qui s’est abattu sur elle, sollicite les prières des Sénégalais, toutes confessions confondues, pour que la justice divine soit effective au grand soulagement de tous les autres parents victimes.
Après avoir effectué trois déplacements, dont deux à Mbour et un à Porokhane, en l’espace de trois jours pour éviter cette catastrophe, les parents de la fille s’en remettent à L’Eternel et ont décidé de clore ce dossier qui devient médiatique et dont ils n’ont nullement besoin.
Le combat se poursuivra ailleurs jusqu’au retour de notre fille.
FAWATOU AMRI LILAHI