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La Fête du livre à Saint-Louis du Sénégal : une expérience de la promotion du livre et de la lecture

Samedi 20 Septembre 2014

Créé dans les années 1990, le Cercle des Ecrivains et Poètes de Saint-Louis(CEPS), en plus de la publication constante de ses différents membres, organise régulièrement des manifestations culturelles d’envergure. Au nombre de celles-ci, des festivals de poésie, des fêtes du livre, des célébrations de Journées du livre et de l’écrivain africain, le printemps des poètes, des ateliers d’écriture et des séances de présentation-dédicace. Un des animateurs du Cercle nous propose ici une expérience à partager, et des perspectives à examiner.
Alpha Amadou SY*


L’idée de Fête du livre est fortement solidaire d’un contexte particulièrement favorable au développement du volet culturel dans les pays du Sud . Cet intérêt, indique Frédéric Jacquemin, Expert principal de l’Observatoire culturel ACP, résulte de la thèse selon laquelle la réalité du globe est indissociable de l’apparition de nouveaux réseaux et de nouveaux ordres sociaux. Et, ces deux phénomènes, intimement liés, contribuent à la déperdition des biens culturels et du patrimoine humain.

Dès lors, l’impératif est d’intégrer le variable culturel aussi bien dans la gestion des conflits dans l’espace européen que dans l’approche de la question du développement du Sud.
Faisant sienne cette perspective, Pascal Brunet , Directeur Relais Culture Europe, soutiendra que la nouvelle donne géopolitique a fini de montrer les limites de toute stratégie de gestion de crise qui mettrait l’impasse sur les enjeux culturels. Des années d’expérience, poursuivra-t-il, ont permis d’attirer l’attention sur l’immense potentiel des industries culturelles qui auraient « entre autres avantages de participer au bien –être, de ne pas être polluantes » et relèvent « d’une créativité qui se nourrit d’elle même ».

De cette lecture naîtra, à partir de l’Occident, une impulsion qui rencontrera une dynamique culturelle locale densément portée par le Cercle des Écrivains et Poètes de Saint-Louis (CEPS). Avec la complicité de M. Magol Guèye, Président du Collectif des Conseils de quartiers de Saint-Louis, des contacts ont été établis entre l’Association Colères du présent, d‘Arras, dans la région Nord-Pas-de-Calais et les écrivains de Saint- louis. Des échanges qui permettront très vite de circonscrire des plages de convergence par suite de la conjugaison de deux facteurs.

Le premier renvoie à un contexte particulièrement favorable découlant de la redynamisation du Cercle des Écrivains et Poètes de Saint- Louis (CEPS), consécutive à son partenariat avec le poète et éditeur camerounais Paul Dakeyo, initiateur du Festival Itinérant de Poésie Internationale en Afrique (FIPIA). S’y ajoute que les partenaires français, dont l’Association est née en 2001, dans le contexte de la mobilisation de leurs compatriotes contre une probable victoire électorale du Front national, avaient une sensibilité de gauche relativement prononcée. Précisément, en décembre 2005, se tiendra une rencontre avec M. Didier Andreau, le coordinateur de l’Association Colères du présent, venu au Sénégal pour les besoins de la Foire Internationale du Livre et du Matériel Didactique de Dakar (FILDAK).

Ce contact fut le point de départ d’un certain nombre d’initiatives qui allaient déboucher sur une invitation de Colères du présent au mois de mai 2007 à Arras (France). Puis, du 26 novembre au 06 décembre 2007, sur l’organisation d’ateliers d’écriture en collaboration avec le Collectif des Conseils de quartiers de Saint-Louis, comme jalons à ce grand projet qu’est la Fête Internationale du Livre.
Au terme de contacts fructueux, le partenariat avait gagné en consistance. Aussi, avec l’appui décisif de l’Association Colères du présent, un réseau très dense sera-t-il mobilisé, pour une première édition de la Fête Internationale du Livre à Saint-Louis du Sénégal, du 03 au 07 décembre 2008. Pour se convaincre de son ampleur, il suffit de considérer toutes les associations qui avaient intégré cette dynamique, sous la direction de Didier Andreau.

En plus des Éditions Mémoires d'encrier (Montréal, New York, dirigée par le poète Rodney Saint- Eloi), le Collectif des Conseils de quartiers de Saint-Louis du Sénégal, animé par Magol Guèye, le partenariat s’est étendu à d’autres écrivains, éditeurs et artistes des Iles Caraïbes, de l’Océan indien, en passant par l’Afrique et l’Amérique du Nord, à savoir l’Association Pawolkout' (Martinique et Guadeloupe), l’Association Ziskakan et l’Association de Promotion de la Littérature sociale (La Réunion), le Conseil régional de la Réunion, les éditions Oxyzone de Dakar de la romancière Sokhna Benga, l'Association de Promotion de la Culture malgache animée par Michèle Rakotoson, les éditions Prédiff (Madagascar), l'Association Étoile du jour, animée par l'écrivain Touareg Moussa Ag Assarid, et l'écrivain et journaliste burkinabé, Sayouba Traoré.

Cette heureuse initiative a fortement été encouragée par la Direction du Livre et de la Lecture du ministère sénégalais de la Culture. Le directeur de cette structure, M. Sahite Sarr Samb, avait vite compris que ce projet intégrait la politique de décentralisation culturelle engagée par le Gouvernement sénégalais. Du reste, tous ses successeurs, au niveau de cet important démembrement du ministère, notamment Mariama Ndoye, Abdou Mbow et, récemment, Ibrahima Lô, assureront, dans la limite de leurs moyens, leur contribution à cette fête du livre. Dans la même veine, les différents directeurs du Centre Culturel Régional Abdel Kader Fall de Saint- Louis, au nombre desquels Awa Cheikh Diouf Camara, Emmanuel Bapisséne et Moutaph Ndiaye dit Och n’auront ménagé aucun effort pour le succès de ce projet.
Par- delà les retombées touristiques, les résultats attendus étaient entre autres :

a) Poser un acte décisif dans la politique sénégalaise de décentralisation en organisant, pour la première fois, dans une région, non seulement une fête du livre mais un salon de dimension internationale ;
b) Mettre en place un cadre d’échanges entre la Région Nord- Pas- de- Calais, d’une part, et la Région de Saint-Louis du Sénégal, d’autre part ;
c) Faire participer des auteurs et artistes (musiciens, conteurs, plasticiens…) ;
d) Amener les collèges, lycées et l’Université Gaston Berger de Saint-Louis à tisser des relations avec les écrivains et éditeurs invités au salon ;
e) Assurer le cachet populaire de cette activité culturelle par la prestation de troupes artistiques issues des différents quartiers ;
f) Mettre en place des bibliothèques de quartier ;
g) Réaliser un film documentaire sur l’événement.

Le principe de cette Fête du livre étant retenu, d’un commun accord, nous avons décidé de l’organiser sur le modèle de l’alternance et de l’itinérance : une année à Saint- Louis, une autre dans un des pays du partenariat. Mais pour des raisons complexes, le CEPS dut se résoudre à l’organiser seul, en prenant soin de choisir les années impaires. L’avantage de cette option était qu’elle libérait l’espace pour l’expression poétique. Ce faisant, des festivals de poésie purent se tenir périodiquement dans la ville, avec des invités venant d’Afrique, d’Europe et même du Japon. Ces banquets de la « parole qui plaît aux oreilles et au cœur » furent mis à profit pour rendre hommage à des poètes vivants comme disparus. Au nombre de ces orfèvres du verbe : Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, Léopold Sédar Senghor, Birago Diop, David Diop, Paul Dakeyo, Fatou Niang Siga, Aminata Sow Fall et Aminata Sow Mbaye.


Cette option, en outre, évitait le télescopage avec la FILDAK en offrant du coup aux écrivains et éditeurs sénégalais l’opportunité de participer annuellement à un salon du livre au Sénégal même. Dans cet esprit, seront organisées les fêtes du livre de 2008, 2010 et 2012 avec respectivement comme parrains l’écrivain cinéaste Sembene Ousmane, l’éditeur et fondateur de la mythique Maison d’édition Présence Africaine, Alioune Diop et l’économiste et critique Amady Aly Dieng. Et pour l’édition prochaine, prévue du 04 au 06 décembre 2014, Mariètou Mbaye, plus connue sous le nom de Ken Bougoul, en sera la marraine.

Cette dynamique sera accompagnée, à partir de la deuxième édition, de l’initiative consistant à décerner le Prix du CEPS à une personnalité ayant particulièrement contribué au rayonnement culturel et intellectuel de la vieille Cité portuaire. L’ancien bibliothécaire du Centre Culturel Français M. Ismaël Samaké, pour avoir assisté tant de générations dans l’acquisition du réflexe de la lecture et du goût de la recherche, en sera le lauréat en 2010. L’édition suivante sera une autre opportunité d’honorer l’ancien instituteur, militant politique, auteur de plusieurs ouvrages et membre-fondateur du Kurel des deux rakas, Madické Wade.


La Fête du livre à Saint-Louis du Sénégal : une expérience de la promotion du livre et de la lecture
Cette expérience, dans la mesure où elle a été pour l’essentiel concluante, a permis au CEPS de continuer l’aventure avec ses partenaires. Mais, une telle perspective suppose le déploiement de l’esprit critique, pour analyser le parcours, en mettant l’accent certes sur les acquis, mais davantage sur les limites et manquements.

Sur ce registre, l’un des premiers enseignements porte sur la difficulté à initier une véritable co-opération entre acteurs culturels du Nord et ceux du Sud. La tendance est forte de voir les Français transposer, en terre sénégalaise, un programme entièrement français. Dés lors, relève de l’impératif, le souci de voir chacune des deux parties se reconnaître dans les activités retenues. Seulement, cette préoccupation est souvent parasitée par le fait que la volonté de faire prévaloir un programme équitable est inversement proportionnelle aux moyens dont disposent les acteurs locaux. Cette donne met en très mauvaise posture les acteurs culturels saint-louisiens dans leur négociation avec leurs interlocuteurs, uniques détenteurs de la bourse ! Cette lacune, en vérité, renvoie aux carences de nos États dans le domaine de la gestion de la culture. Effectivement, il est difficile, voire surréaliste, de militer en faveur d’un partenariat gagnant-gagnant quand près de 85% du budget est assuré par « le bailleur ». Ces États, qui parlent partout de décentralisation et de diversité culturelle, ont non seulement du mal à répondre dans ce domaine aux exigences républicaines, mais rechignent à accompagner rationnellement les initiatives développées dans ce sens.


Parmi les axes de réflexions nés de cette expérience, figure l’inexistence de passerelles entre le ministère de l’éducation nationale et celui de la culture. Tout se passe comme si la question du livre, de sa diffusion et de sa promotion est du ressort exclusif du Département de la culture, alors que la réalité est tout autre. Pour preuve, compte non tenu du fait que la plupart des auteurs sont d’abord des enseignants, il se donne à lire que les principaux destinataires des ouvrages, dans une bonne République, ce sont les apprenants et leurs formateurs. Dès lors, l’indifférence affichée par le ministère de l’Éducation dans la promotion du livre et de leurs auteurs frise la forfaiture, au regard des énormes enjeux des lumières dans la perspective de l’ancrage de l’idéal républicain. Dans cet esprit, il devient urgent de systématiser et généraliser les cérémonies de distribution des prix du Préscolaire au Secondaire. Ces fêtes de l’excellence participent de l’émulation qu’inspire l’esprit de la Constitution, qui postule que la seule distinction qui vaille entre les hommes reste le mérite. Or, une telle initiative, délestée de toute charge clientéliste, serait une occasion pour promouvoir les productions de qualité.

L’autre enseignement est lié à la difficulté de promouvoir le livre et la lecture. Alors que parents d’élèves, enseignants et autorités dénoncent à tout bout de champ la baisse du niveau des élèves, il reste paradoxal qu’ils ne se pressent tous que lentement, quand il s’agit d’appuyer ceux qui font des efforts de remédiation. Et l’appui est moins en termes de dons ou de financements que de dotation en ouvrages utiles des écoles, des lycées, des universités et des centres culturels régionaux. Une telle perspective, qui prend le contrepied des dons sauvages d’ouvrages, pourrait intégrer l’option d’achats de livres à offrir aux hôtes des conseils départementaux et conseils municipaux pour promouvoir « le label made in Sénégal » . L’on s’accommoderait de cette stratégie en attendant la réalisation du rêve de voir chaque municipalité se doter d’une bibliothèque voire d’une médiathèque.
Autre possibilité, c’est d’inciter les femmes qui souvent gèrent l’achat des cadeaux dans leurs entreprises et services, à dépenser davantage pour l’acquisition de livres que pour des gadgets de tout genre.


Il n’est pas non plus superflu d’intégrer dans ces leçons, l’urgence de la réflexion sur le bénévolat, surtout pour les ateliers d’écriture. Car, si la gratuité participe d’un acte militant en faveur des citoyens, il reste qu’elle génère un laxisme qui pose problème.
En tout état de cause, toutes ces questions exigent une analyse fine et lucide. Et dans la mesure où le CEPS s’inscrit dans le sens du partage et de la mutualisation des expériences, il s’est évertué à consigner et à faire consigner sur papier des témoignages et sentiments au sujet de la toute dernière Fête du livre.
Au demeurant, c’est à la fois le lieu et le moment, de réitérer la profonde gratitude du CEPS, à l’endroit de tous ces auteurs et hommes de culture, qui ont fait montre de suffisamment de générosité, en nous envoyant leur production à publier. Sur ce registre, si tous les auteurs sont à loger à la même enseigne, mention particulière doit être faite au Professeur Abdourahmane Ngaïdé, pour avoir non seulement signé le premier témoignage, mais surtout s’être évertué à convaincre les uns et les autres à user de la plume et de la …souris, afin de nous faire parvenir leurs sentiments et ressentiments !

Dans le même ordre d’idées, l’opportunité n’est que trop belle pour exprimer la reconnaissance incommensurable du CEPS à tous ces hommes de culture et auteurs, qui ont réussi à s’arracher aux mailles du dakarocentrisme, pour venir prêter main forte à leur pairs qui s’efforcent, à partir de la périphérie, à apporter leur contribution au rayonnement des Arts et des Lettres. Il s’agit notamment -au risque d’en oublier- de Marouba Fall, Mariama Ndoye, Sokhna Benga, Annie Coly, Dièynaba Guèye, Coudy Kane, Fatou Yelly Wardini, Ibrahima Wane, Djibril Diallo Falémé, Boubacar Boris Diop, Ndické Dièye, les Professeurs Oumar Dioum et Ibrahima Sow, le Président de l’Association des Ecrivains du Sénégal, Alioune Badara Bèye, le Colonel Moumar Guèye et Ely Charles Moreau


*Philosophe/Ecrivain, alfasy@yahoo.fr


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