Safiétou Diatta a tiré sa révérence, le dimanche 21 juin 2015. La fortune, qui sait parfois provoquer de « lugubres histoires », l’a emportée dans un accident tragique. Depuis trois années déjà, elle venait de rejoindre l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, en se faisant le point d’honneur de faire partie des premières recrues de l’UFR des Sciences de l’Education, de la Formation et du Sport (SEFS), après une solide expérience professionnelle acquise à l’Etranger et au sein de l’administration sénégalaise.
Passionnée de sport, elle devint internationale de handball à un âge éminemment précoce, à 15 ans, à la faveur d’une première sélection en équipe nationale du Sénégal. Safiétou eut l’art, presque inné, d’allier les contraintes qu’impose le sport aux exigences incontournables des études. En effet, c’est avec brio qu’elle obtint son Baccalauréat A, au lycée Malick Sy de Thiès. Sortie fraîche émoulue de l’Institut supérieur de l’Education populaire et du Sport (INSEPS) de Dakar, avec son Certificat d’Aptitude au Professorat d’Education physique et sportive (CAPEPS), elle servit, pendant 5 ans, entre 1985 et 1990, au lycée John Fitzgerald Kennedy, comme si le destin eut voulu qu’elle eût servi de modèle de réussite aux jeunes filles lycéennes.
Sa grande persévérance dans l’effort l’a fait monter au pinacle et on est forcément séduit par le nombre impressionnant de palmarès auxquelselle a été brillammentinscritedurant sa carrière. Comme pour illustrer la célèbre maxime de Pierre Corneille, dans Le Cid : « Aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années », à 15 ans déjà, elle trône avec une médaille d’argent au championnat d’Afrique des Nations à Tunis, en 1974. Ce fut, alors, le début d’un défilé ininterrompu de succès qui lui donnèrent le double titre de championne du Sénégal de handball avec l’US Rail de Thiès et le Dial Diop de Dakar, respectivement, en 1979 et en 1984. Justement, en 1984, elle fut nominée meilleure joueuse de l’année et, pendant les années qui suivirent ce sacre, dirigea victorieusement l’équipe nationale du Sénégal, après l’obtention, en 1983, de son Diplôme d’Entraîneur de 2ème degré de handball.
Comme portée par la flamme ardente de la passion pour le sport, elle décida de s’offrir un ticket d’entrée à l’élitisme à une époque où le sport, par son caractère populaire, était une affaire de dilettantes.Pour elle, en avoir une expertise avérée, cautionnée par des parchemins de grandes universités étrangères, était fondamental. C’est pourquoi, elle obtient, tour à tour, en France, un Diplôme d’Etudes approfondies (DEA) en Evaluation et amélioration de la performance motrice, en 1991, à l’UFR STAPS de Dijon, un Diplôme d’Université en Psychologie du sport, en 1993, à la Faculté de Lettres de Reims, un autre Diplôme d’Université en Thérapies comportementales, en 1996, à la Faculté de Médecine de l’Université René Descartes et un Doctorat en Psychologie du Sport, en 1999, à l’UFR STAPS de Dijon, avec la Mention Très Honorable.
Son profil doré d’expert en Sciences et Techniques des Activités physiques et sportives (STAPS) avait remarquablement séduit les autorités étatiques sénégalaises qui lui avaient confié de prestigieuses responsabilités administratives au nombre desquelles on peut citer : Psychologue sportif conseiller auprès des équipes nationales du Sénégal, en 2001, Directeur technique national en Handball, de 2001 à 2006, Conseiller technique au ministère des Sports, en 2010,Directeur de la Formation et du Développement sportif au ministère des Sports, en 2011, Présidente de la Commission technique du Comité national olympique sénégalais, de 2006 à nos jours, etc.
Les rigueurs de la pratique du sport, jumelées aux différentes responsabilités publiques dont elle a eu la charge, lui ont appris des vertus cardinales : elle est aguerrie et persévérante, pondérée dans ses opinions et ses jugements et accomplit son devoir professionnel dans un « empressement vertueux mêlé d’un enjouement sacerdotal », pour reprendre l’expression mémorable de Jean Paul Sartre, dans Les Mots. A la fois efficace et effacée, Safiétou était d’une grande productivité et un des piliers sur lesquels on pouvait compter pour sous-tendre l’essor de l’UFR SEFS, de l’avis du Pr Omar Sougou, le Directeur de ladite UFR. Son parcours exceptionnel,fondé sur le management de structures administratives et de mouvements populaires sportifs, renseigne de sa forte personnalité, de son sens de l’organisation, de ses qualités de méthodeet de son leadership motivateur.
En dépit de ses multiples laurierssportifs, qui culminent, en 2010, avec le titre de Handballeuse du Cinquantenaire, Dr Safiétou savait s’imposerla retenue, l’humilité et la simplicité, maîtres-mots de sa manière d’être. Votre serviteur fut témoin d’une scène lors de laquelle, constatant l’entrain excessif et l’impétuosité de son interlocuteur, Dr Safiétou lui proposa de lui prodiguer quelques règles de Développement personnel, tant il est vrai, sa sérénité olympienne contrastait vivement avec l’exubérance du bonhomme.
En fait, la connaissance de la mécanique de l’esprit humain, elle la doit à un apprentissage permanent de la psychologie, en témoignent ses nombreux travaux sur l’anxiété, les pratiques magico-religieuses chez des sportifs et non sportifs sénégalais, l’évaluation et la préparation psychologique de sportifs sénégalais, etc. Sa grande maîtrise du Développement personnel fait d’elle le symbole illustratif des 3 C enseignés dans ce domaine. Dans cette discipline, en effet, il est admis que les individus accèdent aux Connaissances s’ils font des efforts d’apprentissage et de recherche mais n’ont pas forcément le savoir-faire, c’est-à-dire les Compétences requises. Et, s’ils ont des connaissances et des compétences, ils n’ont pas ou ne respectent pas souvent le code de conduite exigé dans l’environnement professionnel où ils évoluent ; bref, ils n’ont pas toujours les Comportements adaptés. Or les 3C, Dr Safiétou avait le don, par sa manière de voir et d’être, de les juxtaposer et de les coordonner pour constituer,elle-même, un modèle éminent d’éducateur auquel il faut surtout s’évertuer à ressembler.
Ainsi à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis,était-elle membre de laCommissionAssurance Qualité (CAQ), en charge del’évaluation institutionnelle et celle des programmes sous l’égide del’Autorité nationale d’Assurance Qualité de l’Enseignement supérieur (ANAQ-sup).Tout à la fois pointilleuse en matière de qualité des enseignements qu’engagée dans une logique de charte qualité, elle avait aussi souhaité intégrer le Comité de Suivi des Travaux de construction de l’UFR SEFS, mis en place par le Recteur, pour veiller à ce que les infrastructures sportives à livrer soient conformes aux standards internationaux.
Au-delà de la dimension intellectuelle qui résulte d’un commerce constamment renouvelé avec les textes, Dr Safiétou puise assurément ses qualités dans un substrat culturel dans lequel elle est fortement ancrée. Elle aadmirablement réussi à créer une osmose entre son système de valeurs et d’autres, différents, ou radicalement antagonistes. C’est, là, la preuve de son état d’esprit éclectique. Et, en dépit de l’éloignement de son lieu de travail de sa terre natale, la région de Ziguinchor, elle s’y rendait fréquemment et militait assidûment à une association qui contribuait à son développement. Au demeurant, beaucoup de ses collègues Enseignants-Chercheurs de l’UFR SEFS projetaient de l’accompagner à son bercail, l’année prochaine, lors de festivités culturelles sans savoir que Dieu, dans son obligeante volonté, allait si inopinément la soustraire à leur tendre affection.
Une telle disparition, à la fois violente et soudaine, de ce pôle de compétences inflige une pénible affliction que seul peut tempérer l’espoir en la rédemption de son âme. Cet espoir est soigneusement entretenu par les rassurantes conditions dans lesquelles elle a rendu l’âme : sur la route qui mène à son de travail, par accident, pendant le mois béni de ramadan et à jeun. Elle peut légitimement, donc, « revêtir la robe candide du martyr », ainsi que le disait Léopold Sédar Senghor, dans Hostiesnoires. Son incontestable statut de martyr est d’autant plus rassurant que Le Saint Coran, dans la sourate 4 (Les Femmes), verset 69, décrit, si méticuleusement, par ordre, ceux que Dieu a comblés de Ses bienfaits :« les Prophètes, les véridiques, les martyrs et les vertueux ».
« Unseul être vous manque et tout est dépeuplé », disait Alphonse de Lamartine.C’est, donc, seuls et accablés de chagrin, que parents, amis, sympathisants et collègues, ressentent le vide que laisse Dr Safiétou. Mais son statut de martyr est un beau gage d’espoir.
Pr Omar SOUGOU, Directeur,
Moussa NDOYE, CSA de l’UFR.