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L’Odyssée de «la Méduse»: sauvagerie, lutte des classes… récit du naufrage.

Vendredi 29 Avril 2016

Deux secousses qui répandent la terreur, puis le sinistre glissement de la quille sur le sable, jusqu’à l’arrêt final… Ce 2 juillet 1816, sans nulle côte à l’horizon, la frégate royale la Méduse vient de s’échouer sur un banc sablonneux caché sous cinq mètres d’eau. Effaré, livide, le capitaine sort de sa cabine en balbutiant : «Nous touchons, nous touchons…» Un monde s’effondre pour Hugues Duroy de Chaumareys, seul maître à bord, qui a commis la faute des fautes. Par incompétence, il a jeté son navire sur l’obstacle qu’il avait pour mission première d’éviter, le banc d’Arguin, célèbre piège tendu aux navires au large de la côte mauritanienne.
Ainsi commence par temps clair l’un des faits divers les plus sombres de l’histoire de France, qui se changera en mythe planétaire par l’effet d’un tableau de circonstance. Pour le bicentenaire de cette grande affaire où se mêlent lutte des classes et sauvagerie, révolte populaire et morgue aristocratique, scandale médiatique et rivalités partisanes, au moment où d’autres naufrages inhumains transforment la Méditerranée en cimetière marin, Jacques-Olivier Boudon, historien de l’Empire, donne un livre minutieux qui se lit comme un thriller.
Chaumareys a été nommé par le gouvernement de Louis XVIII au pouvoir depuis Waterloo et l’abdication de Napoléon. Il n’a pas navigué pendant vingt ans, mais il est royaliste, fidèle depuis toujours à la couronne, ce qui compense son incapacité aux yeux du gouvernement. La monarchie restaurée a une dette envers ses partisans. Contre toute logique professionnelle, Chaumareys a été placé à la tête de la petite escadre qui doit récupérer la colonie du Sénégal prise par les Anglais sous la Révolution et maintenant rendue à la France. Ses instructions sont limpides : à l’approche du Sénégal, pour contourner le banc d’Arguin, cet immense plateau de sable submergé qui prolonge la côte africaine, il faut repérer le cap Blanc, obliquer vers l’ouest, puis revenir prudemment à la côte après un long détour au large, en sondant régulièrement pour s’assurer qu’on ne s’est pas trompé. Chaumareys évalue mal sa position. Le 1er juillet, il croit voir le cap Blanc alors que la Méduse en est encore loin. Le lendemain, à 8 heures, sûr d’avoir évité l’obstacle, il ordonne de faire route vers le sud-est. Il pense pointer son étrave vers Saint-Louis du Sénégal ; il fonce vers le désastre.

Vingt mètres sur sept

A midi, l’eau change de couleur, signe que les fonds remontent. Chaumareys néglige de faire sonder. A 15 heures, la mer est turquoise à cause du sable qui éclaircit le fond ; on voit des poissons à fleur d’eau. On dévie le navire vers le large. Il est trop tard. La Méduse est cernée par le sable. Elle s’échoue.
Au début, on cherche à dégager le navire. Mais la houle gêne les manœuvres et, comme la mer est haute, aucune montée des eaux ne remettra la Méduse à flot. On veut l’alléger, mais on n’ose pas jeter les canons à la mer. Alors on construit un vaste radeau de vingt mètres sur sept pour y placer les objets lourds et soulager la frégate. Mais la tempête se lève, casse le gouvernail et couche la Méduse sur le flanc. La panique saisit équipage et passagers. Il eût été plus prudent de rester à bord et d’envoyer un canot à terre pour chercher du secours - on est à deux jours de la côte et le navire ne pouvait pas couler dans cinq mètres d’eau. Pourtant, Chaumareys décide l’évacuation.
Le capitaine et les officiers supérieurs sont transbordés dans leurs canots sur des fauteuils de velours tenus par des amarres. Les autres se débrouillent comme ils peuvent. Les canots ne peuvent accueillir tout le monde : les nobles y prennent place, le petit peuple ira sur le radeau. Un siècle plus tard, sur le Titanic, la même ségrégation produira les mêmes effets. Quelque 140 hommes, passagers et soldats, s’entassent sur une plateforme jusque-là prévue pour porter du matériel, commandés par une poignée d’officiers. Faute d’espace, ils sont serrés les uns contre les autres sans pouvoir bouger, comme on l’est aujourd’hui dans un wagon de métro aux heures de pointe. Il n’y a pas de bastingage, les planches sont disjointes et l’eau passe par les ouvertures. Sous le poids des passagers, le radeau s’enfonce d’un mètre et les naufragés doivent rester debout les jambes dans l’eau.



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