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L’Afrique se mobilise timidement contre le racisme

Lundi 22 Juin 2020

Le meurtre de George Floyd aux Etats-Unis a suscité l’indignation en Afrique mais peu de manifestations. Le continent se sent moins concerné par les violences et les discriminations raciales que les diasporas


Manifestation devant l’ambassade américaine à Nairobi, au Kenya, le 9 juin 2020. — © Biran Inganga/AP Photo via Keystone
Manifestation devant l’ambassade américaine à Nairobi, au Kenya, le 9 juin 2020. — © Biran Inganga/AP Photo via Keystone
Le contraste est saisissant. Aux Etats-Unis et en Europe, les statues de personnalités liées à l’esclavagisme et au colonialisme sont déboulonnées ou souillées les unes après les autres depuis la mort de George Floyd, un Afro-Américain tué par un policier de Minneapolis le 25 mai dernier. Mais l’Afrique, pourtant la première victime de la traite des esclaves et de l’exploitation coloniale, reste à l’écart de ce mouvement global d’introspection.

Exemple parmi d’autres, la statue du général Louis Faidherbe a essuyé une manifestation ce week-end à Lille dans le nord de la France. Cette figure est bien connue des Lillois pour avoir combattu contre la Prusse en 1870. Mais Louis Faidherbe a aussi été le gouverneur du Sénégal. «Il a colonisé ce pays dans des conditions extrêmement violentes, en se targuant de brûler des villages, et a développé toutes sortes de théories racistes», rappelait à l’AFP un membre du collectif qui avait appelé à manifester à Lille.

Une statue tombée sous les intempéries

Au Sénégal, une statue de Faidherbe trône dans le centre de Saint-Louis, ville baptisée du nom du roi Louis IX. La cité portuaire fut la plus ancienne colonie française et la capitale du Sénégal durant la période coloniale. Voilà des années que le monument fait débat. La statue était tombée en 2017… à cause des intempéries. Elle a été remise en place puis déplacée en début d’année, le temps que la place qui l’accueillait soit rénovée. Faisant écho aux mobilisations en France, certaines personnalités de Saint-Louis promettent de jeter la statue dans le fleuve, enjambé par le fameux pont Faidherbe, si elle est réinstallée.

«Nous n’avons pas attendu la mort de George Floyd pour débattre des symboles de la colonisation, défend Gilles Yabi, fondateur de Wahti, un think tank basé à Dakar. En Afrique, les discussions sur la nécessité de débaptiser les noms de lieux hérités de la période coloniale sont récurrentes. Par exemple, de nombreuses artères de Dakar ont déjà été renommées. Mais le débat autour de la colonisation est beaucoup plus large et s’étend à la persistance des dépendances avec les anciennes métropoles. La période coloniale est aussi très peu enseignée et cette lacune est de la responsabilité des pays africains.»

En Afrique, le meurtre de George Floyd n’a pas mobilisé les foules comme aux Etats-Unis et en Europe. Rien qu’en Suisse des milliers de personnes ont défilé pour dénoncer, entre autres, les préjugés raciaux, en particulier au sein de la police. Selon Gilles Yabi, cette timidité s’explique par le fait que l’Afrique a d’autres préoccupations plus pressantes que le racisme, à commencer par la pandémie de Covid-19, en pleine expansion sur le continent, et la crise économique et sociale qui l’accompagne. «Les images de l’agonie de George Floyd ont suscité l’indignation. Mais les discriminations sont vécues bien plus durement par les Africains ou les personnes d’origine africaine vivant en dehors d’Afrique», analyse Gilles Yabi.

Ménager les Etats-Unis

De même, les dirigeants africains ne se sont pas sentis directement interpellés. Rares ont été les condamnations officielles du meurtre de George Floyd. Le premier à le faire, ne craignant pas de fâcher Washington, a été le président ghanéen. Nana Akufo-Addo a déclaré dès le 1er juin sur Twitter que les Noirs du monde entier étaient choqués et consternés par le meurtre d’un homme noir non armé par un policier blanc. Et d’appeler les Etats-Unis à se «confronter à la haine et au racisme».

Au nom de l’Union africaine, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui avait lui-même été emprisonné sous le régime raciste de l’apartheid, a été beaucoup plus diplomate. Il a appelé les pays africains, «les plus touchés par les violences raciales au fil des siècles, à bâtir une communauté mondiale juste, saine et prospère». La mort de George Floyd n’a mobilisé qu’une centaine de manifestants début juin à Pretoria, alors que les inégalités raciales perdurent au pays de Mandela, tout comme les violences policières contre les Noirs.


Il est loin le temps où les pays africains nouvellement indépendants conviaient à leur sommet du Caire en 1964 le leader noir américain Malcolm X. Le militant avait lancé un appel à l’aide: «Nous croyons qu’en tant que chefs des Etats africains indépendants vous êtes les bergers de tous les peuples africains, qu’ils soient encore ici sur le continent ou qu’ils aient été éparpillés. Certains dirigeants africains présents à cette conférence ont laissé entendre qu’ils ont assez de problèmes ici sur le continent mère sans ajouter le problème afro-américain. Mais je dois vous rappeler que le bon berger laissera 99 brebis en sécurité à la maison pour aller au secours de celle qui est tombée dans les griffes du loup impérialiste.»


Les pays africains se sont-ils souvenus des mots de Malcolm X? La semaine dernière, ils ont réclamé une session spéciale au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, réuni à Genève, pour dénoncer le «racisme systématique» et réclamer une commission d’enquête. Mais l’instance onusienne, de peur de braquer les Etats-Unis, s’est contentée d’une dénonciation générale du racisme dans le monde.

LE TEMPS
 


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