Voilà donc que, depuis plus de deux cent trente années, le premier Gouverneur du Sénégal avait noté l’amour viscéral que les Saint-Louisiens vouent à leur cité. Il ne s’agit donc ni de régionalisme exacerbé, ni de xénophobie latente encore moins d’orgueil mal placé. Il s’agit simplement d’un amour naturel, mais irrésistible qui envahit inéluctablement tous les Saint-Louisiens d’origine, de naissance ou d’adoption. Parmi ces Saint-Louisiens passionnés de la ville, il y avait une étoile polaire.
Il s’appelait Cheikh Madické Diakhaté dit Collot.
J’ai souvent rendu des hommages verbaux ou épistolaires à des personnes vivantes ou décédées, mais je n’ai jamais été habité par autant de doute sur mes capacités réelles à livrer fidèlement à la postérité, les qualités exceptionnelles de cet homme de si grande dimension que fût Cheikh Madické Diakhaté. Il m’avait adopté comme son petit frère et son véritable ami. J’étais son confident. Je savais qu’il aimait et respectait sa mère comme nul autre pareil. Et pourtant, il m’a dit un jour : ‘Mon cher petit frère, je voudrais te dire que si ma propre mère se réveillait aujourd’hui et me demandait de te laisser tomber, je lui aurais présenté très respectueusement mes excuses en la priant de me laisser avec Dieu, mais je ne laisserai jamais tomber mon petit frère Moumar Guèye !’ Et il se mit à pleurer…
Collot aimait sa ville natale avec une fureur douce, une élégance d’aristocrate et une sagesse de patriarche. Il défendait les intérêts de la ville, mais a toujours refusé de se comporter en troubadour ou en saltimbanque. C’était un grand Monsieur ! Il protégeait la vieille ville française avec des arguments incontestables dans la courtoisie, le calme et la sérénité. Il ne se comportait jamais comme le roi de Saint-Louis et le maître des Saint-Louisiens. Il ne criait sur personne et n’invectivait jamais son prochain. Il se voulait modestement le gardien du temple et le serviteur désintéressé de la cité de Mame Coumba Bang. Il n’avait pas fait de son militantisme agissant pour la ville, un business, un gagne-pain, un outil de chantage ou de promotion sociale. Il détestait la violence, qu’elle soit physique ou verbale. Il avait horreur de l’hypocrisie et du mensonge. Son seul salaire était l’immense satisfaction personnelle qu’il tirait de ses envolées lyriques pour mettre en valeur Saint-Louis et rappeler la dette de reconnaissance que tous les Sénégalais et autres Africains de la sous-région et de la diaspora doivent à la vieille ville française. Quand les esprits s’échauffaient, Collot ne bandait jamais les muscles. Malgré sa stature imposante et respectable, il prônait plutôt le calme et la sérénité en toute circonstance. Ancienne gloire du football sénégalais, il fit les beaux jours du football saint-louisien sous les couleurs du Gaiété Club. Avec son ami de toujours Almamy Matheuw Fall, l’autre icône trop tôt disparu, il fut membre fondateur de la Convention des Saint-Louisiens.
Bien que n’ayant pas effectué de hautes études académiques, Collot n’en était pas moins un grand homme de culture, ce qui lui valut l’estime et l’amitié du ministre de la Culture, Serigne Modou Bousso Lèye. Collot maniait la langue française avec une surprenante élégance poétique et une harmonie séductrice irrésistible. Le président Alioune Badara Bèye ne s’était véritablement pas trompé en l’accueillant en qualité de membre honoraire à l’Association des écrivains du Sénégal. Collot fut un fervent musulman. Il respectait scrupuleusement ses heures de prières ainsi que les quatre autres piliers de l’Islam.
Dans une récente lettre que j’ai adressée à Monsieur le Président de la République, pour l’informer de sa maladie, j’écrivais ceci : ‘… Collot est un homme qui, à l’image de feu votre frère El Hadj Moustapha Wade, passe le plus clair de son temps à plaider et à intercéder en faveur de ses compatriotes en difficulté, mais très rarement, il s’est senti capable de solliciter son prochain pour sa propre cause.’ En effet, ceux qui ont toujours attendu de Collot qu’il leur tende une main solliciteuse, n’ont jamais rien fait pour lui. Quelques jours avant son retour à Dieu, il m’a fait appeler pour me dire ceci : ’Suite à ta lettre, le président Wade m’a envoyé une délégation aujourd’hui. Il m’a fait dire qu’il doit aller à Toronto, mais qu’à son retour, j’aurai de ses nouvelles’. Et il se mit à pleurer, touché par cet acte de compassion de la part de la plus haute autorité de l’Etat.
Avant cette intervention du président Wade, le président Ousmane Massek Ndiaye qui, quelques jours auparavant, l’avait fait hospitaliser à Brévié, lui a toujours apporté une assistance discrète et efficace. J’en suis le témoin privilégié.
Au moment où ses enfants Lamine, Kader, Mawdo, Astou et Coco ainsi que son neveu Doudou Ouattara, ses amis et admirateurs nourrissaient encore l’espoir de le revoir arpenter fièrement les rues de la ville de Saint-Louis, contre toute attente, le mardi 6 juillet 2010, à 2 h du matin, le décret divin fatidique fut signé. ‘Inna lillaa hi wa innaa illey hi raaji oun’ (A Dieu nous appartenons et à Dieu nous retournerons). Cheikh Madické Diakhaté, l'étoile polaire de la ville de Saint-Louis, venait de s’éteindre pour toujours. Collot est donc parti, sûrement à contrecœur, car je ne serais pas étonné qu’entre Saint-Louis du Sénégal et le Paradis céleste dont les anges venaient de lui ouvrir les portes et les jardins fleuris, Collot choisisse ‘la vieille ville française centre d’élégance et de bon goût sénégalais.’ Il aimait Saint-Louis avec fureur !
Le jour de ses obsèques, sa famille m’a fait confiance. Ainsi, j’ai été chargé des formalités de transfert de la dépouille de celui qui fut mon plus-que-frère, le gardien du temple saint-louisien. Avec l’appui logistique du président Ousmane Masseck Ndiaye, l’aide du Haut-Commandement de la Gendarmerie nationale et du directeur de l’Hôpital Principal, les formalités administratives furent aisées et limpides pour moi. Collot méritait bien cette grande chance. Un motard nous a ouvert la route jusqu’à Bargny. Deux autres motocyclistes pré positionnés à l’entrée de Saint-Louis par la Gendarmerie nationale, ont escorté le cortège funèbre en direction de la grande Mosquée du Nord pour la prière mortuaire. Le silence lourd et triste de la ville était percé par la sirène de la moto qui semblait traduire le cri de douleur et de désespoir de toute une ville orpheline qui se demande encore qui, après Collot, aura l’élégance, la finesse, la sincérité et l’envergure requise pour défendre avec courtoisie, modestie et intelligence les intérêts de la ville ? Par la grâce de Dieu, je n’ai pas perdu espoir, car la ville compte encore des hommes et des femmes de grande dimension dignes de maintenir très haut le flambeau. Quand je pense au doyen Madické Wade, à mes grands-frères Cheikh Baye Diop, Ahmed Bachir Kounta, Ibrahima Dème et Aldiaw Guèye, à Mbaye Boye Fall, Ousmane Niang Maja, Baye Moumar Guèye, Marie Madeleine, Mame Sèye Diop et autres membres du Guy Seddalé, je suis rassuré, car ce sont-là des personnes respectables et représentatives de la cité de Mame Coumba Bang.
Voilà donc que par la volonté de Dieu le Très Miséricordieux, Collot repose désormais dans les dunes fraiches du littoral saint-louisien à l’ombre des filaos bercés par l’anticyclone des Açores. Il repose dans l’espace tombal où dorment pour l’éternité les membres de son honorable famille. Je citerai Bacar Waly Guèye, Fatou Guèye Bacar, Iba Yacine Ndiaye et Astou Guèye Mamoussé. Collot peut dormir en paix, car son œuvre gigantesque restera gravée à jamais dans la mémoire des Saint-Louisiens. C’est pourquoi, telle la clameur infinie de l’océan, mes prières et celles de la majorité des Sénégalais, résonneront éternellement sur Thiaka Ndiaye pour que le Maître des cieux et de la Terre le reçoive dans les jardins des délices.
Texte d'hommage de Moumar GUEYE publié au décès de ce grand Saint-Louisien
Il s’appelait Cheikh Madické Diakhaté dit Collot.
J’ai souvent rendu des hommages verbaux ou épistolaires à des personnes vivantes ou décédées, mais je n’ai jamais été habité par autant de doute sur mes capacités réelles à livrer fidèlement à la postérité, les qualités exceptionnelles de cet homme de si grande dimension que fût Cheikh Madické Diakhaté. Il m’avait adopté comme son petit frère et son véritable ami. J’étais son confident. Je savais qu’il aimait et respectait sa mère comme nul autre pareil. Et pourtant, il m’a dit un jour : ‘Mon cher petit frère, je voudrais te dire que si ma propre mère se réveillait aujourd’hui et me demandait de te laisser tomber, je lui aurais présenté très respectueusement mes excuses en la priant de me laisser avec Dieu, mais je ne laisserai jamais tomber mon petit frère Moumar Guèye !’ Et il se mit à pleurer…
Collot aimait sa ville natale avec une fureur douce, une élégance d’aristocrate et une sagesse de patriarche. Il défendait les intérêts de la ville, mais a toujours refusé de se comporter en troubadour ou en saltimbanque. C’était un grand Monsieur ! Il protégeait la vieille ville française avec des arguments incontestables dans la courtoisie, le calme et la sérénité. Il ne se comportait jamais comme le roi de Saint-Louis et le maître des Saint-Louisiens. Il ne criait sur personne et n’invectivait jamais son prochain. Il se voulait modestement le gardien du temple et le serviteur désintéressé de la cité de Mame Coumba Bang. Il n’avait pas fait de son militantisme agissant pour la ville, un business, un gagne-pain, un outil de chantage ou de promotion sociale. Il détestait la violence, qu’elle soit physique ou verbale. Il avait horreur de l’hypocrisie et du mensonge. Son seul salaire était l’immense satisfaction personnelle qu’il tirait de ses envolées lyriques pour mettre en valeur Saint-Louis et rappeler la dette de reconnaissance que tous les Sénégalais et autres Africains de la sous-région et de la diaspora doivent à la vieille ville française. Quand les esprits s’échauffaient, Collot ne bandait jamais les muscles. Malgré sa stature imposante et respectable, il prônait plutôt le calme et la sérénité en toute circonstance. Ancienne gloire du football sénégalais, il fit les beaux jours du football saint-louisien sous les couleurs du Gaiété Club. Avec son ami de toujours Almamy Matheuw Fall, l’autre icône trop tôt disparu, il fut membre fondateur de la Convention des Saint-Louisiens.
Bien que n’ayant pas effectué de hautes études académiques, Collot n’en était pas moins un grand homme de culture, ce qui lui valut l’estime et l’amitié du ministre de la Culture, Serigne Modou Bousso Lèye. Collot maniait la langue française avec une surprenante élégance poétique et une harmonie séductrice irrésistible. Le président Alioune Badara Bèye ne s’était véritablement pas trompé en l’accueillant en qualité de membre honoraire à l’Association des écrivains du Sénégal. Collot fut un fervent musulman. Il respectait scrupuleusement ses heures de prières ainsi que les quatre autres piliers de l’Islam.
Dans une récente lettre que j’ai adressée à Monsieur le Président de la République, pour l’informer de sa maladie, j’écrivais ceci : ‘… Collot est un homme qui, à l’image de feu votre frère El Hadj Moustapha Wade, passe le plus clair de son temps à plaider et à intercéder en faveur de ses compatriotes en difficulté, mais très rarement, il s’est senti capable de solliciter son prochain pour sa propre cause.’ En effet, ceux qui ont toujours attendu de Collot qu’il leur tende une main solliciteuse, n’ont jamais rien fait pour lui. Quelques jours avant son retour à Dieu, il m’a fait appeler pour me dire ceci : ’Suite à ta lettre, le président Wade m’a envoyé une délégation aujourd’hui. Il m’a fait dire qu’il doit aller à Toronto, mais qu’à son retour, j’aurai de ses nouvelles’. Et il se mit à pleurer, touché par cet acte de compassion de la part de la plus haute autorité de l’Etat.
Avant cette intervention du président Wade, le président Ousmane Massek Ndiaye qui, quelques jours auparavant, l’avait fait hospitaliser à Brévié, lui a toujours apporté une assistance discrète et efficace. J’en suis le témoin privilégié.
Au moment où ses enfants Lamine, Kader, Mawdo, Astou et Coco ainsi que son neveu Doudou Ouattara, ses amis et admirateurs nourrissaient encore l’espoir de le revoir arpenter fièrement les rues de la ville de Saint-Louis, contre toute attente, le mardi 6 juillet 2010, à 2 h du matin, le décret divin fatidique fut signé. ‘Inna lillaa hi wa innaa illey hi raaji oun’ (A Dieu nous appartenons et à Dieu nous retournerons). Cheikh Madické Diakhaté, l'étoile polaire de la ville de Saint-Louis, venait de s’éteindre pour toujours. Collot est donc parti, sûrement à contrecœur, car je ne serais pas étonné qu’entre Saint-Louis du Sénégal et le Paradis céleste dont les anges venaient de lui ouvrir les portes et les jardins fleuris, Collot choisisse ‘la vieille ville française centre d’élégance et de bon goût sénégalais.’ Il aimait Saint-Louis avec fureur !
Le jour de ses obsèques, sa famille m’a fait confiance. Ainsi, j’ai été chargé des formalités de transfert de la dépouille de celui qui fut mon plus-que-frère, le gardien du temple saint-louisien. Avec l’appui logistique du président Ousmane Masseck Ndiaye, l’aide du Haut-Commandement de la Gendarmerie nationale et du directeur de l’Hôpital Principal, les formalités administratives furent aisées et limpides pour moi. Collot méritait bien cette grande chance. Un motard nous a ouvert la route jusqu’à Bargny. Deux autres motocyclistes pré positionnés à l’entrée de Saint-Louis par la Gendarmerie nationale, ont escorté le cortège funèbre en direction de la grande Mosquée du Nord pour la prière mortuaire. Le silence lourd et triste de la ville était percé par la sirène de la moto qui semblait traduire le cri de douleur et de désespoir de toute une ville orpheline qui se demande encore qui, après Collot, aura l’élégance, la finesse, la sincérité et l’envergure requise pour défendre avec courtoisie, modestie et intelligence les intérêts de la ville ? Par la grâce de Dieu, je n’ai pas perdu espoir, car la ville compte encore des hommes et des femmes de grande dimension dignes de maintenir très haut le flambeau. Quand je pense au doyen Madické Wade, à mes grands-frères Cheikh Baye Diop, Ahmed Bachir Kounta, Ibrahima Dème et Aldiaw Guèye, à Mbaye Boye Fall, Ousmane Niang Maja, Baye Moumar Guèye, Marie Madeleine, Mame Sèye Diop et autres membres du Guy Seddalé, je suis rassuré, car ce sont-là des personnes respectables et représentatives de la cité de Mame Coumba Bang.
Voilà donc que par la volonté de Dieu le Très Miséricordieux, Collot repose désormais dans les dunes fraiches du littoral saint-louisien à l’ombre des filaos bercés par l’anticyclone des Açores. Il repose dans l’espace tombal où dorment pour l’éternité les membres de son honorable famille. Je citerai Bacar Waly Guèye, Fatou Guèye Bacar, Iba Yacine Ndiaye et Astou Guèye Mamoussé. Collot peut dormir en paix, car son œuvre gigantesque restera gravée à jamais dans la mémoire des Saint-Louisiens. C’est pourquoi, telle la clameur infinie de l’océan, mes prières et celles de la majorité des Sénégalais, résonneront éternellement sur Thiaka Ndiaye pour que le Maître des cieux et de la Terre le reçoive dans les jardins des délices.
Texte d'hommage de Moumar GUEYE publié au décès de ce grand Saint-Louisien