Affalé depuis je ne sais plus combien de temps dans mon fauteuil en moleskine, je suis enveloppé dans un linceul d’ombre et de silence, comme dans une alcôve, et mon souffle est saccadé. C’est à ce moment qu’une série de coups résonnent à la porte du salon et m’arrachent à ma sombre rêverie. D’un bond je suis sur pied et, en titubant, je vais ouvrir la porte laissant pénétrer à flots les rayons du soleil. Qui vois-je alors, drapée dans un chatoyant sari bleu ciel, pareille à une fée nimbée de lumière ?...Sophie ! Ma chère Sophie, ma douce Sophie, ma femme adorée et la gardienne de mes rêves ! À côté d’elle se tiennent debout nos deux petits anges, les jumeaux Malick et Marianne. Tous les trois me regardent en souriant et mon cœur se dilate de bonheur. Mais j’ai l’esprit encore tout embrumé et je ne sais pas très bien ce qui m’arrive. Les coups de feu, explosions, cris de guerre, hululements de sirène et autres bruits terrifiants se sont, je ne sais trop comment ni à quel moment, complètement estompés de ma conscience.
« Alors Habib, qu’est-ce qui se passe ? Ça fait plus de dix minutes que je suis en train de tambouriner à la porte du salon !... »
Encore tout ahuri, je ne sais que répondre et je me frotte énergiquement les yeux, avant de bégayer d’une voix pâteuse :
« Euh…rien…je crois que j’ai fait…un mauvais rêve… »
Puis je m’étire longuement tout en soupirant d’un ton las et brusquement, sous l’effet d’une étrange pulsion, je pousse la porte du salon et vais me pencher au dessus du balcon. Sophie et les enfants m’y rejoignent peu après. Instinctivement je jette un coup d’œil dans la rue. Tout est calme et il règne une atmosphère dominicale. Il n’y a personne, à part un petit groupe d’enfants accompagnés d’adultes qui semblent être leurs parents. Tous sont bien habillés et sont certainement en route pour la cathédrale pour assister à la messe du dimanche. Cette scène rassurante me fait sourire et je suis un peu pris de court par la question que me pose Sophie à brûle-pourpoint.
« Au fait Habib, c’est qui Thiémokho ?... »
« Thiémokho ?... » dis-je, surpris « Je ne connais personne de ce nom…ou plutôt, si : Thiémokho Diarra, un cousin de mon père qui vit au Mali, mais je ne l’ai jamais vu…. Pourquoi cette question ? »
« Eh bien, tu n’arrêtais pas de le répéter avant que je ne parvienne à te réveiller !... »
« C’est bizarre… » réponds-je sans rien trouver d’autre à dire.
Voyant qu’elle n’aurait pas de réponse satisfaisante et qu’il est inutile d’insister, Sophie choisit de clore ce chapitre :
« Bof, ce n’est pas très important, parfois quand on rêve à haute voix, l’on dit n’importe quoi…Des choses incompréhensibles… »
Je ferme moi aussi la parenthèse, mais dans mon for intérieur je ne puis m’empêcher de me poser quelques questions et je me dis que ce fameux Thiémokho est sans doute un de ces fantômes qui peuplent nos rêves et qui apparaissent ou disparaissent sans nous demander notre avis. Parfois nous nous souvenons d’eux au réveil, d’autres fois ils s’évanouissent dans le vide et s’effacent de notre mémoire.
« En tout cas je te remercie de m’avoir réveillé au bon moment, ma chérie ! » dis-je en riant joyeusement. Et en effet, je suis infiniment heureux, heureux et soulagé d’être sorti de ce terrifiant cauchemar que je viens de faire !
« Alhamdoullilahi !... » enchaîne Sophie avec emphase, avant d’ajouter avec cette moue gracieuse dont elle a seule le secret :
« Tu sais mon chéri, le bonheur est dans le pré comme on dit ! »
Nos regards se croisent et nous nous sourions avec tendresse. Puis j’attire ma femme vers moi et la serre dans mes bras sous le regard amusé des jumeaux qui rient innocemment.
Dehors le soleil brille de mille feux dans le ciel serein, d’un bleu si profond qu’il donne presque le vertige. Sophie et moi quittons le balcon où les enfants préfèrent rester encore pour profiter de brise marine qui y circule bien. Nous retournons au salon où est assis mon vieil ami Lamine Gassama dit Gaston. Je me souviens alors que nous sommes dimanche le 25 février 2024, jour des élections présidentielles sur l’ensemble du territoire de la république de Sunugaal. J’avais donné rendez-vous à mon ami pour que nous allions ensemble au bureau de vote de la rue Paul Holle, non loin de la maison. Après les salutations, je me dépêche d’aller dans la salle de bain pour me débarbouiller et chasser de mon esprit les derniers miasmes de mon rêve fumeux. De retour au salon, j’enfile rapidement mes habits, me coiffe de mon éternelle casquette à visière et me dirige vers les escaliers. Avant de descendre je fais un bisou à Sophie qui me le rend affectueusement et me promet de venir voter elle aussi le plus vite possible. Gaston et moi sortons de la maison et prenons la direction du bureau de vote. Il y a beaucoup de monde dans la rue et l’ambiance est plutôt bon enfant. Nous prenons tous les deux un air pénétré car nous sommes conscients que nous allons accomplir notre devoir civique en glissant dans l’une ou l’autre de ces centaines, de ces milliers d’urnes qui nous attendent bien sagement, le bulletin de notre choix ; le bulletin sur lequel nous aurons jeté notre dévolu en âme et conscience, en toute connaissance de cause, en toute responsabilité. Et peut-être que ce petit geste somme toute anodin mais également noble, ce geste simple mais ô combien important de citoyens libres et attachés à la démocratie, la vraie démocratie, sans combines ni tricheries, sans manipulations ni tripatouillages, sans intimidations ni violences, sans bourrages d’urnes ni achats de consciences ; peut-être que ce geste à la fois humble et auguste, accompli à l’abri de tout regard indiscret, dans le secret de l’isoloir, contribuera à faire avancer notre pays vers des lendemains meilleurs.
C’est du moins ce que nous espérons !
LOUIS CAMARA
« Alors Habib, qu’est-ce qui se passe ? Ça fait plus de dix minutes que je suis en train de tambouriner à la porte du salon !... »
Encore tout ahuri, je ne sais que répondre et je me frotte énergiquement les yeux, avant de bégayer d’une voix pâteuse :
« Euh…rien…je crois que j’ai fait…un mauvais rêve… »
Puis je m’étire longuement tout en soupirant d’un ton las et brusquement, sous l’effet d’une étrange pulsion, je pousse la porte du salon et vais me pencher au dessus du balcon. Sophie et les enfants m’y rejoignent peu après. Instinctivement je jette un coup d’œil dans la rue. Tout est calme et il règne une atmosphère dominicale. Il n’y a personne, à part un petit groupe d’enfants accompagnés d’adultes qui semblent être leurs parents. Tous sont bien habillés et sont certainement en route pour la cathédrale pour assister à la messe du dimanche. Cette scène rassurante me fait sourire et je suis un peu pris de court par la question que me pose Sophie à brûle-pourpoint.
« Au fait Habib, c’est qui Thiémokho ?... »
« Thiémokho ?... » dis-je, surpris « Je ne connais personne de ce nom…ou plutôt, si : Thiémokho Diarra, un cousin de mon père qui vit au Mali, mais je ne l’ai jamais vu…. Pourquoi cette question ? »
« Eh bien, tu n’arrêtais pas de le répéter avant que je ne parvienne à te réveiller !... »
« C’est bizarre… » réponds-je sans rien trouver d’autre à dire.
Voyant qu’elle n’aurait pas de réponse satisfaisante et qu’il est inutile d’insister, Sophie choisit de clore ce chapitre :
« Bof, ce n’est pas très important, parfois quand on rêve à haute voix, l’on dit n’importe quoi…Des choses incompréhensibles… »
Je ferme moi aussi la parenthèse, mais dans mon for intérieur je ne puis m’empêcher de me poser quelques questions et je me dis que ce fameux Thiémokho est sans doute un de ces fantômes qui peuplent nos rêves et qui apparaissent ou disparaissent sans nous demander notre avis. Parfois nous nous souvenons d’eux au réveil, d’autres fois ils s’évanouissent dans le vide et s’effacent de notre mémoire.
« En tout cas je te remercie de m’avoir réveillé au bon moment, ma chérie ! » dis-je en riant joyeusement. Et en effet, je suis infiniment heureux, heureux et soulagé d’être sorti de ce terrifiant cauchemar que je viens de faire !
« Alhamdoullilahi !... » enchaîne Sophie avec emphase, avant d’ajouter avec cette moue gracieuse dont elle a seule le secret :
« Tu sais mon chéri, le bonheur est dans le pré comme on dit ! »
Nos regards se croisent et nous nous sourions avec tendresse. Puis j’attire ma femme vers moi et la serre dans mes bras sous le regard amusé des jumeaux qui rient innocemment.
Dehors le soleil brille de mille feux dans le ciel serein, d’un bleu si profond qu’il donne presque le vertige. Sophie et moi quittons le balcon où les enfants préfèrent rester encore pour profiter de brise marine qui y circule bien. Nous retournons au salon où est assis mon vieil ami Lamine Gassama dit Gaston. Je me souviens alors que nous sommes dimanche le 25 février 2024, jour des élections présidentielles sur l’ensemble du territoire de la république de Sunugaal. J’avais donné rendez-vous à mon ami pour que nous allions ensemble au bureau de vote de la rue Paul Holle, non loin de la maison. Après les salutations, je me dépêche d’aller dans la salle de bain pour me débarbouiller et chasser de mon esprit les derniers miasmes de mon rêve fumeux. De retour au salon, j’enfile rapidement mes habits, me coiffe de mon éternelle casquette à visière et me dirige vers les escaliers. Avant de descendre je fais un bisou à Sophie qui me le rend affectueusement et me promet de venir voter elle aussi le plus vite possible. Gaston et moi sortons de la maison et prenons la direction du bureau de vote. Il y a beaucoup de monde dans la rue et l’ambiance est plutôt bon enfant. Nous prenons tous les deux un air pénétré car nous sommes conscients que nous allons accomplir notre devoir civique en glissant dans l’une ou l’autre de ces centaines, de ces milliers d’urnes qui nous attendent bien sagement, le bulletin de notre choix ; le bulletin sur lequel nous aurons jeté notre dévolu en âme et conscience, en toute connaissance de cause, en toute responsabilité. Et peut-être que ce petit geste somme toute anodin mais également noble, ce geste simple mais ô combien important de citoyens libres et attachés à la démocratie, la vraie démocratie, sans combines ni tricheries, sans manipulations ni tripatouillages, sans intimidations ni violences, sans bourrages d’urnes ni achats de consciences ; peut-être que ce geste à la fois humble et auguste, accompli à l’abri de tout regard indiscret, dans le secret de l’isoloir, contribuera à faire avancer notre pays vers des lendemains meilleurs.
C’est du moins ce que nous espérons !
LOUIS CAMARA