Ce matin-là, je fus tiré de mon sommeil par des cris de terreur et des détonations qui semblaient provenir de la rue. Des bruits de pas précipités s’élevaient en une sourde rumeur, comme la course effrénée d’une foule affolée par des coups de feu et des explosions qui se rapprochaient de plus en plus, achevant de me réveiller. Je rejetai alors d’un geste brusque la chaude couverture de laine dans laquelle j’étais douillettement emmitouflé. Dehors, les cris et les exclamations allaient crescendo et se mêlaient à la cavalcade d’un troupeau humain dont je devinais la masse énorme par les vibrations puissantes qui sourdaient du sol et gagnaient les murs de notre maison. Peu après j’entendis la voix tremblante de Sophie, ma femme, et celles, plaintives, de nos deux enfants, des jumeaux, qui dormaient dans une chambre contigüe à le nôtre.
Aussi pieuse qu’une nonne, Sophie a l’habitude de se lever aux premières lueurs de l’aube pour faire ses prières et accomplir quelques autres rites auxquels je ne comprends pas grand-chose mais qui au fond ne me dérangent nullement. Sans le lui avoir jamais dit, j’apprécie même ces pratiques mystiques qui ont l’air de lui faire du bien et de lui apporter un regain d’équilibre. Bien sûr, je ne puis m’empêcher d’esquisser un sourire sceptique lorsque Sophie parle assez pompeusement de la « force spirituelle » qu’elle en tire, à moi, son agnostique de mari ! J’ai lu trop de livres de philosophie pour pouvoir être un « bon croyant », mais par un accord tacite elle et moi ne nous attardons jamais trop longtemps sur les discussions religieuses et chacun respecte les convictions de l’autre. Néanmoins je sais que ma douce moitié est convaincue de détenir la vérité et d’avoir raison sur moi. Mais bon ce n’est pas bien grave, dans la mesure où cela n‘altère pas les sentiments que nous avons l’un pour l’autre.
Sophie avait donc elle aussi entendu le vacarme qui montait de la rue et maintenant elle était là, en chemise de nuit, assise au bord de notre grand lit conjugal, la tête recouverte d’un châle mauve, égrenant avec des gestes nerveux les perles nacrées de son chapelet tout en marmonnant à voix basse des versets protecteurs. Quant à Marianne et Malick, les jumeaux, ils étaient collés à leur mère, pareils à deux oisillons apeurés. Tout à coup une forte explosion ébranla les murs de notre chambre et nous bondîmes tous les quatre en même temps :
« Habib !...Tu as entendu ?!... » bégaya Sophie d’une voix craintive,
« Oui Sophie, j’ai tout entendu, répondis-je dans un souffle, c’est d’ailleurs tour ce boucan qui m’a réveillé ! »
« Mais qu’est-ce qui se passe ? Lu xéw ? » interrogea de nouveau Sophie l’air anxieux.
Elle serra très fort les enfants contre elle, les couvant comme une mère poule le ferait avec ses poussins. « Attends ma chérie, ne bouge pas je vais aller au balcon voir de quoi il en retourne » répondis-je d’une voix que je m’efforçai de rendre ferme.
« Habib, fais attention…tu ne cois pas que c’est dangereux, avec tous ces coups de feu que l’o n entend depuis tout à l’heure ? »
« C’est vrai Sophie, il y a de quoi avoir peur, mais il faut bien que nous sachions de quoi il s’agit, pour notre propre sécurité ! » Et sur ces mots, j’ouvris la porte de notre chambre à coucher qui donnait sur le balcon d’où l’on surplombait la rue principale Khalifa Ababacar Sy qui traverse le quartier « Nord » de l’île dans toute sa longueur Le spectacle qui s’offrit alors à mes yeux me fit un instant penser que j’étais peut-être en train d’assister au tournage d’un film américains de série B ayant pour cadre l’un de ces pays tropicaux toujours en proie à la violence et à d’incessantes émeutes dont on ne parvient jamais à déterminer les véritables causes. Puis croyant que j’étais victime d’une hallucination, je me frottai énergiquement les yeux et me pinçai la joue : mais rien ne changea et le « film » continuait de plus belle ! J’étais à la fois abasourdi et terrifié par ce que je voyais dans cette rue habituellement si calme et qui, du plus loin qu’il m’en souvînt, avait toujours baigné dans une atmosphère paisible et même un peu douceâtre. Dans la fraîcheur de cette matinée éclairée par les doux rayons d’un soleil aux teintes encore pâles, des colonnes de fumée noirâtre s’élevaient dans l’azur. Des dizaines de pneus de voiture flambaient en grésillant sinistrement au milieu de la chaussée.
De part et d’autre d’un no man’s land spontané se faisaient face une foule innombrable de jeunes gens surexcités, armés de cailloux, de cocktails Molotov improvisés et d’un arsenal d’autres projectiles tout aussi dangereux, et des militaires en tenue de combat qui brandissaient de redoutables fusils d’assaut, des kalachnikovs flambants neufs et des lance-grenades pointés en l’air. L’ait était saturé de l’odeur âcre des gaz lacrymogènes se mélangeant à la fumée des pneus qui brûlaient tels des bûchers, allumés par de jeunes manifestants déchaînés et visiblement prêts à en découdre. La foule grossissait à vue d’œil, devenait de plus en plus agressive et la manif semblait sur le point de virer à l’émeute !
Pétrifié par cette hallucinante vision, je restai debout sur le balcon les bras ballants, mon pyjama flottant au gré de la brise qui soufflait depuis l’océan tout proche. A la fois incrédule et traumatisé, j’en étais encore à me demander si j’étais bien à Saint-Louis du Sénégal, Ndar-gééj, ou dans un de ces pays ravagés par une violence dont on ne pouvait se faire qu’une vague idée à travers les images que l’on voyait à la télévision.
C’était tout simplement surréaliste, inimaginable et je commençais même à douter de la réalité de ce que je voyais lorsqu’une grenade lacrymogène balancée à toute volée par un policier vint exploser dans un bruit d’enfer au beau milieu de la rue. Une folle panique s’empara alors du camp opposé. Mais elle fut de courte durée et la riposte ne se fit pas attendre car l’explosion de la grenade fut presqu’aussitôt suivie de jets de pierre et de bouteilles d’essence enflammées balancées par de jeunes manifestants téméraires, bandeaux rouges ou noirs noués autour de la tête comme des pirates, qui bravaient la troupe et criaient à tue-tête : « Libérez Thiémokho ! Libérez Thiémokho !... » ( à suivre…)
Aussi pieuse qu’une nonne, Sophie a l’habitude de se lever aux premières lueurs de l’aube pour faire ses prières et accomplir quelques autres rites auxquels je ne comprends pas grand-chose mais qui au fond ne me dérangent nullement. Sans le lui avoir jamais dit, j’apprécie même ces pratiques mystiques qui ont l’air de lui faire du bien et de lui apporter un regain d’équilibre. Bien sûr, je ne puis m’empêcher d’esquisser un sourire sceptique lorsque Sophie parle assez pompeusement de la « force spirituelle » qu’elle en tire, à moi, son agnostique de mari ! J’ai lu trop de livres de philosophie pour pouvoir être un « bon croyant », mais par un accord tacite elle et moi ne nous attardons jamais trop longtemps sur les discussions religieuses et chacun respecte les convictions de l’autre. Néanmoins je sais que ma douce moitié est convaincue de détenir la vérité et d’avoir raison sur moi. Mais bon ce n’est pas bien grave, dans la mesure où cela n‘altère pas les sentiments que nous avons l’un pour l’autre.
Sophie avait donc elle aussi entendu le vacarme qui montait de la rue et maintenant elle était là, en chemise de nuit, assise au bord de notre grand lit conjugal, la tête recouverte d’un châle mauve, égrenant avec des gestes nerveux les perles nacrées de son chapelet tout en marmonnant à voix basse des versets protecteurs. Quant à Marianne et Malick, les jumeaux, ils étaient collés à leur mère, pareils à deux oisillons apeurés. Tout à coup une forte explosion ébranla les murs de notre chambre et nous bondîmes tous les quatre en même temps :
« Habib !...Tu as entendu ?!... » bégaya Sophie d’une voix craintive,
« Oui Sophie, j’ai tout entendu, répondis-je dans un souffle, c’est d’ailleurs tour ce boucan qui m’a réveillé ! »
« Mais qu’est-ce qui se passe ? Lu xéw ? » interrogea de nouveau Sophie l’air anxieux.
Elle serra très fort les enfants contre elle, les couvant comme une mère poule le ferait avec ses poussins. « Attends ma chérie, ne bouge pas je vais aller au balcon voir de quoi il en retourne » répondis-je d’une voix que je m’efforçai de rendre ferme.
« Habib, fais attention…tu ne cois pas que c’est dangereux, avec tous ces coups de feu que l’o n entend depuis tout à l’heure ? »
« C’est vrai Sophie, il y a de quoi avoir peur, mais il faut bien que nous sachions de quoi il s’agit, pour notre propre sécurité ! » Et sur ces mots, j’ouvris la porte de notre chambre à coucher qui donnait sur le balcon d’où l’on surplombait la rue principale Khalifa Ababacar Sy qui traverse le quartier « Nord » de l’île dans toute sa longueur Le spectacle qui s’offrit alors à mes yeux me fit un instant penser que j’étais peut-être en train d’assister au tournage d’un film américains de série B ayant pour cadre l’un de ces pays tropicaux toujours en proie à la violence et à d’incessantes émeutes dont on ne parvient jamais à déterminer les véritables causes. Puis croyant que j’étais victime d’une hallucination, je me frottai énergiquement les yeux et me pinçai la joue : mais rien ne changea et le « film » continuait de plus belle ! J’étais à la fois abasourdi et terrifié par ce que je voyais dans cette rue habituellement si calme et qui, du plus loin qu’il m’en souvînt, avait toujours baigné dans une atmosphère paisible et même un peu douceâtre. Dans la fraîcheur de cette matinée éclairée par les doux rayons d’un soleil aux teintes encore pâles, des colonnes de fumée noirâtre s’élevaient dans l’azur. Des dizaines de pneus de voiture flambaient en grésillant sinistrement au milieu de la chaussée.
De part et d’autre d’un no man’s land spontané se faisaient face une foule innombrable de jeunes gens surexcités, armés de cailloux, de cocktails Molotov improvisés et d’un arsenal d’autres projectiles tout aussi dangereux, et des militaires en tenue de combat qui brandissaient de redoutables fusils d’assaut, des kalachnikovs flambants neufs et des lance-grenades pointés en l’air. L’ait était saturé de l’odeur âcre des gaz lacrymogènes se mélangeant à la fumée des pneus qui brûlaient tels des bûchers, allumés par de jeunes manifestants déchaînés et visiblement prêts à en découdre. La foule grossissait à vue d’œil, devenait de plus en plus agressive et la manif semblait sur le point de virer à l’émeute !
Pétrifié par cette hallucinante vision, je restai debout sur le balcon les bras ballants, mon pyjama flottant au gré de la brise qui soufflait depuis l’océan tout proche. A la fois incrédule et traumatisé, j’en étais encore à me demander si j’étais bien à Saint-Louis du Sénégal, Ndar-gééj, ou dans un de ces pays ravagés par une violence dont on ne pouvait se faire qu’une vague idée à travers les images que l’on voyait à la télévision.
C’était tout simplement surréaliste, inimaginable et je commençais même à douter de la réalité de ce que je voyais lorsqu’une grenade lacrymogène balancée à toute volée par un policier vint exploser dans un bruit d’enfer au beau milieu de la rue. Une folle panique s’empara alors du camp opposé. Mais elle fut de courte durée et la riposte ne se fit pas attendre car l’explosion de la grenade fut presqu’aussitôt suivie de jets de pierre et de bouteilles d’essence enflammées balancées par de jeunes manifestants téméraires, bandeaux rouges ou noirs noués autour de la tête comme des pirates, qui bravaient la troupe et criaient à tue-tête : « Libérez Thiémokho ! Libérez Thiémokho !... » ( à suivre…)