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Gueleem Sarr, le Français professeur de wolof

Vendredi 29 Septembre 2017

Entretien à bâtons rompus avec le professeur de wolof le plus couru de Dakar. Arrivé au Sénégal en 2003 à 18 ans – il en a aujourd’hui 33 – Guilhem alias Gueleem Sarr revient sur la nécessité des cours en langues vernaculaires et survole la longue histoire de sa famille avec l’Afrique.


En France, quel fut votre premier contact avec le continent africain ? Quelle image de lui aviez-vous avant de vous y rendre ?

Je suis né à Lyon mais ma famille vient d’Afrique. Je raconte souvent que parmi plein de déclencheurs, une photo avec mon père et ses deux sœurs au pied d’un gros baobab. On te dit : « c’est de là d’où tu viens ». et tu te dis : « Pourquoi il n’a pas de baobab dans le jardin ? » Parce que finalement on te montre les photos de famille…. Le Congo ok… Tu cherches Fort Lami sur une carte, ça n’existe même plus. Ma grand-mère était à Bamako, elle est pratiquement née à Bamako. Mon arrière grand- père est mort au Maroc. Mon grand-père était médecin au Maroc et est né en Algérie, parlait arabe etc. Pour moi, la question de l’Afrique a toujours été là.

Comment se sent-on lorsque l’on est appelé par un autre nom que le sien, en l’occurrence passant de Guilhem à Geleem Sarr ?


Par exemple à Lyon par exemple il y a des gens qui m’appellent Guigui…. Tes parents peuvent avoir un petit nom pour toi donc de toute façon, c’est naturel. La question c’est quand tu arrives dans un pays [le Sénégal] et que l’on te demande comment tu t’appelles et tu dis que l’on t’appelle Guilhem. Et chaque fois j’en ai pour 5 minutes d’éclats de rire et à expliquer parce que mon prénom veut dire « le chameau » en wolof. Les gens ne me croient même pas et me demandent même de montrer mes papiers en me disant : « comment on peut t’avoir appelé « le chameau » » ? Ça c’est la première chose.
Maintenant, le « chameau » au Sénégal c’est totem de la famille Sarr, on t’attribue ce nom là. Tu acceptes et tu en fais ton identité parce que cela le devient petit à petit.


Dans quels pays africains avez-vous vécu ?

Moi, j’ai vécu essentiellement au Sénégal et au Gabon.

Pourquoi avoir choisi de vous installer au Sénégal ?

La question du choix… Je suis venu au Sénégal il y a un an, pour enseigner le wolof. Je ne suis pas venu « au Sénégal » mais dans un pays où il y a énormément d’opportunités pour faire quelque chose que j’aime.
Avant de venir au Sénégal, j’ai enseigné pendant cinq ans le wolof en France, à Lyon plus précisément. Un jour je me suis dit : là, je n’ai plus envie de faire que ça. J’écrivais déjà des textes de slam en wolof, je lis beaucoup en wolof, je faisais des prestations slam en wolof etc.

Cela faisait 16 ans que je faisais du journalisme, là j’avais envie de parler en wolof, d’écrire en wolof... Maintenant si vous me demandez ma terre natale, la terre où je suis réellement né, c’est le Gabon. La situation du Gabon est complexe et pour des raisons x ou y, je ne suis pas actuellement installé au Gabon.

Actuellement, je travaille sur mon projet de développement du wolof. Depuis les années 2000 je suis très engagé dans le panafricanisme, pour la promotion des cultures africaines. J’anime ici des ateliers en lingala…

Le fait d’enseigner le wolof et donner ses lettres de noblesse à la langue de Kocc Barma Fall, il faut bien noter cela : tout comme Shakespeare représente la langue anglaise ou Molière représente la langue française, Kocc Barma Fall représente le wolof…. Cela me vient aussi de mes premières lectures à l’université de Cheikh Anta Diop « Nations nègres et cultures » qui pour moi est un texte fondateur, « lLêtre en soi », « La pacification de l’histoire » : j’étais d’accord avec un grand nombre de choses… J’ai toujours eu l’impression – que ce soit ici ou ailleurs – qu’on raconte n’importe quoi sur l’histoire de l’Afrique.

Avez-vous envie d’écrire un livre pour rectifier le tir ?

J’ai envie d’écrire sur beaucoup de choses, après je pense qu’il faut que chaque chose aille en son temps. J’enseigne le wolof, j’essaye de développer des choses. Je fais des formations dans les entreprises pour essayer de développer des paradigmes qui soient différents sur la manière de penser les choses par rapport à l’Afrique.

J’interviens dans des entreprises sénégalaises qui me demandent d’enseigner le wolof à des Sénégalais par exemple. La question n’est pas de voir le Blanc, c’est de voir le travail que fait une personne. Moi je m’intéresse et je suis passionnée par la question. Il y a des gens qui travaillent dans un domaine et qui sont très théoriques. Il y a des gens qui ont un niveau cent milles fois meilleur que le mien je ne sais pas, que ce soit en grammaire etc ; qui sont des universitaires mais en terme de transmission, ils n’ont pas la pédagogie.

La question n’est pas de savoir si je suis blanc, la question est de savoir si les gens ont progressé en venant à mes cours. Je sais comment expliquer les choses. J’ai réussi à montrer que le wolof était facile, c’est comme 1+1= 2.

Le wolof présente t-il plusieurs registres de langage ?

Énormément. Le wolof c’est très varié. Rien qu’à Dakar il y a plusieurs de type de wolof, il y a le wolof lébou, le wolof de la radio qui n’est pas le même que le wolof de Pikine etc. Et quand tu sors de Dakar il y a le wolof de Saint-Louis, le wolof de Louga…. Le wolof qu’on appelle diakhassé c’est-à-dire mélangé avec le français ; et si tu vas plus loin en Gambie, tu as un wolof diakhassé avec l’anglais.

Par exemple au Sénégal on dit graoul. « Graoul » est un mot français, c’est « grave » et « oul » la négation. Énormément de mots qui viennent du français dans le wolof. Tu as une différence de wolof en terme de classe sociale, en terme de culture, en terme d’ethnie. On estime à 80 % la population sénégalaise qui parle le wolof avec 40 % dont c’est la langue maternelle. C’est une langue qui vit, qui se transforme et on a plein de nouvelles expressions chaque jour.

On voit fleurir des initiatives favorisant le wolof comme vecteur de connaissance – cours de maths en wolof initiées par l’ARED par exemple. Ce qui est une très bonne chose. Mais d’un autre côté, ne court-on pas le risque d’une amplification de la fracture entre ceux ayant suivi un cursus en français et ceux l’ayant suivi en wolof ?

Déjà, je ne suis pas d’accord. On ne favorise pas l’enseignement en wolof actuellement au Sénégal, ce n’est pas une réalité. Hier on avait un secrétaire d’État, maintenant on n’a plus personne, le parent pauvre du Sénégal c’est la langue. Le boulot d’ARED est formidable.

Nombre de Sénégalais pourraient être ingénieurs parce qu’ils ont les compétences en terme de cognition dans le domaine des mathématiques etc. Le problème est que le développement d’un enfant passe par la langue et si tu bloques à cause de celle-ci…
Moi je suis le premier à avoir des problèmes : j’étais dyslexique etc. Si on te dit que tu dois être bon en français avant d’être bon en maths et que l’on te dit que tu ne passes pas en classe supérieure parce que ton niveau de français n’est pas assez bon… Alors que tu es très logique mais pas littéraire alors bon…

On pousse ceux qui ont une intelligence littéraire mais pas ceux qui ont une intelligence mathématique. On favorise une société littéraire. Si on enseignait en pular, en wolof etc. on pousserait vraiment à l’intelligence mathématique. La fracture est réelle au Sénégal : elle est sociale, linguistique, culturelle. Le problème de l’enseignement en wolof est de dire que l’on enseigne en wolof toujours. On parle de moins en moins le français au Sénégal. Cela se voit à la télévision à la radio, les émissions sont de plus en plus en wolof. La question est : comment on fait pour que tout le monde ait accès à la connaissance ?

Aujourd’hui, quand le président de la République veut s’adresser à toute la population, il s’exprime en wolof. Quand il s’exprime en français, il y a beaucoup moins de gens qui le comprennent. La réalité elle est là. Le sens de l’histoire, il est là. Au Sénégal ,le wolof domine la langue. Mais il n’y pas que le wolof : dans le Fouta, ils demandent à être enseignés en pular. La solution est peut-être d’enseigner en pular et en wolof et d’avoir le français comme une langue d’enseignement étrangère, il y a plusieurs pistes possibles.

Je le répète ARED fait un travail formidable mais ils ont très peu de moyens l’État sénégalais ne finance que les enseignants. Dire qu’ARED fait du bon boulot oui, dire qu’il ya une politique de l’État pour promouvoir le wolof, moi je ne suis pas d’accord. La fracture dont vous parlez existe mais le jour où le wolof sera enseigné partout, cette fracture n’existera plus.

Dans un monde de plus en plus mondialisé, où les compétences d’un habitant d’Afrique peuvent être sollicité aux USA ou ailleurs ; l’enseignement en wolof ne rogne t-il pas les ailes des apprenants ? Regardez l’Allemagne. Où parle t-on réellement l’allemand à part en Allemagne ? Aujourd’hui la France diminue en terme d’implantation en Afrique, de perception positive etc il faut apprendre le français, après il faudra apprendre le chinois, le portugais etc.

Non. Au moins formons une classe en wolof jusqu’au collège et on introduit le wolof au Lycée. Mais que les petites classes soient enseignées en françaiS, en anglais ? Elles ne vont jamais pouvoir évoluer, voila. Un jeune peul dans le Fouta,, si tu l’enseignes en français, il va décrocher ; pas parce qu’il n‘est pas intelligent, mais parce qu’il n’a pas l’intelligence de la langue et peut-être même qu’il a du rejet vis-à-vis de celle-ci. Il y a des parents qui refusent d’envoyer leurs enfants à l’école communale, ils disent « l’ école toubab » : c’est une réalité. Les Peuls sont fiers de leur langue. On peut faire l’enseignement en peul et donner des cours de français et wolof à coté, ce n’est pas un problème. Enseigner dans les langues locales pousse les gens à aimer apprendre.

Dans la vie courante, les Sénégalais parlent-ils bien le wolof ?

Non. Ils ne parlent pas bien le wolof parce qu’on ne leur apprend pas. Un exemple : à Dakar, la plupart des boutiquiers sont des Guinéens ; ils parlent très mal le wolof. Le gardien vient de Kolda par exemple et parle un wolof de la rue parce que chez lui on ne parle pas cette langue. Tout comme il y a des Français qui parlent très mal le français, là n’est pas le problème.

On parle bien une langue parce qu’on lit dans cette langue. Les gens qui ont la plus grande imprégnation du wolof sont ceux qui viennent de la culture musulmane car la culture chrétienne est plus axée sur le français et l’école coloniale française. Cheikh Anta Diop a allié une culture musulmane à une formation européenne toubab. Le problème est que les gens ne sont que toubabisés et n’ont plus cette culture arabe. L’écriture en wolof n’est pas originairement avec des lettres latines mais avec des lettres arabes.

Aujourd’hui, au Sénégal, beaucoup de gens sont lettrés en lettre arabe mais pas en lettres latines. Un texte en wolof écrit en arabe, ils vont le comprendre. Les plus grands écrivains, les premiers écrivains écrivaient en wolof, avec des lettres arabes.

Enfin, on dit l’italien la langue de l’amour. Selon votre ressenti, le wolof serait la langue de quoi ?

Le oulof initialement est la langue du commerce. Le Sénégal s’appelle Sénégal Ndiaye. Ndiaye c’est la vente. C’est une langue de partage, de commerce, d’échange. Si on va au fond du concept de téranga…. peut être la générosité, différente de l’hospitalité. La première chose qu’on voit dans la manière des Sénégalais de vous servir un verre d’eau, il faut que l’eau déborde : c’est ce que j’appelle la générosité, le don de quelque chose.

Au-senegal.com
 


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