A Dakar, les sinistrés font face aux eaux de pluie. A Doune Baba Dièye, bourgade insulaire située près de Saint-Louis, la grande majorité des habitants a déménagé.
Ceux qui sont restés, faute de moyens, vivent un quotidien fait d’angoisse voire de terreur. Ils sont confrontés à l’assaut des vagues et à l’écroulement progressif de leurs maisons, si ce ne sont les restes de corps déterrés du cimetière du village. Pourtant, ici on ne connaît ni Téléthon ni plan Orsec. Reportage.
Doune Baba Dièye est situé à seulement quelque 7 kilomètres de la ville de Saint-Louis mais à des années lumières du point de vue modernité. Ce village qui s’enorgueillit d’être plus vieux que la capitale régionale ne dispose pas d’électricité et ne compte que trois points d’eau dont l’un est déjà englouti par la mer. Pour y accéder, il faut traverser les deux bras du fleuve à bord d’une pirogue de fortune, et tout cela entrecoupée d’une marche où l’on patauge dans les marécages et la boue. Mais ce problème d’accès n’est que l’arbre qui cache la forêt des grands maux qui assaillent Boune Baba Dièye.
C’est l’aménagement en 2003, d’une brèche de trois mètres en amont de l’embouchure du fleuve Sénégal pour sauver la ville de Saint-Louis des inondations qui a bouleversé la vie des habitants du village. Cette bourgade insulaire, que l’on dit plus âgée que Saint-Louis et qui vient de fêter ses 350 ans est en train, irrémédiablement, d’être rayée de la carte du monde. La furie des eaux mêlées du fleuve et de la mer a déjà dévoré une grande majorité des habitations. La mosquée gît désormais dans l’océan alors que les assauts répétés des vagues ont fini de démolir la morgue sise à l’entrée du cimetière. Spectacle encore plus désolant, des os humains font leur apparition dans ce cimetière bientôt marin. Le portail du lieu de sépulture est à terre et seul un amas de pierres informe de l’existence, jadis, d’une morgue.
Pour trouver un autre lieu de culte, c’est au daara du village qu’il revient désormais, de tenir lieu de salle de prière. Les pensionnaires en vacances forcées sont obligés de rester chez eux ou de se rendre individuellement chez le marabout. L’école élémentaire publique n’a pas encore été dévorée par la mer. Mais, du fait de la crue, elle est quelque fois atteinte par les eaux et la brise marine, offrant ainsi un hideux visage de murs décrépis, de fenêtres rouillées et de portes déglinguées. Construite par une Ong, elle était initialement prévue pour deux classes pédagogiques. Mais avec l’afflux des élèves, chaque salle a été réaménagée pour être divisée en deux, offrant ainsi quatre petits réduits, constituant chacun une classe. A quelque deux semaines de la rentrée des classes, même un remède de cheval ne pourrait garantir cette année l’accueil d’élèves.
«C’est le gouvernement qui est à l’origine de notre malheur»
Pendant ce temps, les villageois qui n’ont encore aucun moyen de s’extirper de la furie des vagues et de l’effondrement en cascade des maisons, sont plus que jamais dans l’œil du cyclone. Les maisons qui font face à l’océan tombent en ruines. Pourtant leurs occupants ne les abandonnent pas. Tout au long de ce littoral artificiel, sacs de sable et blocs de pierres sont entreposés pour faire office de digue de protection. Face à autant de risques on se demande pourquoi les populations s’entêtent à rester sur place. Qu’est ce qui les retient encore là, dans cette atmosphère de désolation ? « Il faut trouver un terrain », réplique Ousmane Wade, un père de famille. Ce dernier a eu la chance d’avoir pu compter sur un parent qui lui a trouvé un lopin au village voisin de Diél Mbane. Tel n’est pas le cas du vieux Ndiawar Sène, 75 ans, qui vit avec une famille nombreuse. Une bonne partie de sa concession a cédé sous les assauts des vagues. Le décor est hallucinant.
Paradoxalement, il ne se prépare pas encore à quitter et évoque une absence d’alternative liée à la pauvreté. «Si on m’octroyait un terrain, j’allais quitter, même si c’est pour y aménager une case», plaide t-il. En attendant, le patriarche n’indexe pas seulement l’avancée de la mer et ses effets dévastateurs, il en veut aussi aux solutions imposées par la construction des barrages et le sauvetage de Saint-Louis des inondations.Et d’expliquer : «Avant, nous menions une vie prospère avec une production maraîchère développée et diversifiée que nous vendions à Saint-Louis. Maintenant, avec la salinisation des sols due à ces changements causés par l’homme, nous avons tout perdu, y compris nos maisons.»
L’action de l’homme ? Le vieux El Hadji Diagne, 87 ans, imam ratib de Doune Baba Dièye et frère cadet du chef de village (90 ans), se veut plus précis : « c’est le gouvernement qui a pris la responsabilité d’ouvrir la brèche en 2003 qui est à l’origine de tous nos malheurs. S’il avait laissé les choses en l’état, nos maisons seraient intacts, le maraîchage et la pêche florissants », accuse t-il. Le vieux Diagne n’a plus la possibilité de se reposer dans la cour de sa demeure envahie par les eaux. Avec sa famille, il séjourne le jour sous le grand tamarinier qui trône dans son champ d’oseilles et de pastèques. La nuit, il joue le rôle de veilleur. Ainsi, dira-t-il : «La nuit dernière, je n’ai pas fermé l’œil un seul instant. Je suis resté en alerte pour, en cas de problème (rentrée des eaux dans les chambres ndlr), avertir mes enfants pour qu’ils dressent une digue de fortune avec des sacs de sables au cas où…»
Les tentes de Djibo Ka
Les tracas du village de Doune Baba Dièye ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis 2003, que d’autorités de chercheurs ou de journalistes ont défilé dans ce bout de terre. Beaucoup de solutions envisagées mais au finish, le problème reste entier. Le gouvernement sénégalais prévoit de recaser les habitants dans le village de Mbambara. Le site est aménagé, mais aucun terrain n’est encore livré. Interrogé, M. Dame Thiam, président du Conseil rural de Ndiabène-Gandiol, fait savoir que c’est le ministère de l’Urbanisme qui a en charge cette question. Le Pcr fait valoir que de son côté, il a fait le nécessaire en mettant à la disposition de l’autorité des terres pour recaser «non seulement les habitants de Doune Baba Dièye mais aussi ceux de Diél Mbane, Keur Barka et Mbambara». De leur côté, les habitants de Doune Baba Dièye dénoncent une insuffisance des parcelles mises à leur disposition. «On met à notre disposition une parcelle de 20 sur 15 m, pour trois à cinq chefs de ménages. Certains finissent par bouder, tandis que d’autres ont fini par vendre à leurs co-attributaires afin de trouver quelque chose de plus consistant ailleurs», a-t-on expliqué.
En février 2010, M. Djibo Ka, alors ministre de l’Environnement, avait, lors d’une visite du site, promis de trouver une solution d’urgence. Selon, Ndiawar Sène, un des responsables des jeunes du village : «M. Ka que nous avions reçu à la place du village maintenant engloutie par l’océan avait promis l’aménagement d’un site à Mbambara et l’installation, à court terme de tentes, en attendant l’octroi de terrains et les constructions. Mais, il n’y a pas eu de suite.»
Ceux qui ont les moyens ou la moindre possibilité se sont sauvés depuis belle lurette. Les familles se sont dispersées entre les différents villages environnants. Cette séparation des parents est durement ressentie pour des villageois souvent unis par des liens de sang. Ce ressentiment éprouvé pour la dispersion des parents l’est aussi pour les morts. Auparavant, Doune Baba Dièye ne disposait que d’un unique cimetière où les parents disparus étaient portés à terre. Maintenant que les caprices des eaux les en dissuadent, les disparus sont portés en terre à travers les nécropoles des différents villages environnants.
«Nous aurions bien aimé qu’ils se reposent au même endroit», conclut, avec un brin de regret un notable du village. Les vivants eux, attendent une opération sauvetage du gouvernement, et accessoirement, une assistance ponctuelle à l’instar des sinistrés de Dakar.
par Cheikh Lamane DIOP
Sud Quotidien
Ceux qui sont restés, faute de moyens, vivent un quotidien fait d’angoisse voire de terreur. Ils sont confrontés à l’assaut des vagues et à l’écroulement progressif de leurs maisons, si ce ne sont les restes de corps déterrés du cimetière du village. Pourtant, ici on ne connaît ni Téléthon ni plan Orsec. Reportage.
Doune Baba Dièye est situé à seulement quelque 7 kilomètres de la ville de Saint-Louis mais à des années lumières du point de vue modernité. Ce village qui s’enorgueillit d’être plus vieux que la capitale régionale ne dispose pas d’électricité et ne compte que trois points d’eau dont l’un est déjà englouti par la mer. Pour y accéder, il faut traverser les deux bras du fleuve à bord d’une pirogue de fortune, et tout cela entrecoupée d’une marche où l’on patauge dans les marécages et la boue. Mais ce problème d’accès n’est que l’arbre qui cache la forêt des grands maux qui assaillent Boune Baba Dièye.
C’est l’aménagement en 2003, d’une brèche de trois mètres en amont de l’embouchure du fleuve Sénégal pour sauver la ville de Saint-Louis des inondations qui a bouleversé la vie des habitants du village. Cette bourgade insulaire, que l’on dit plus âgée que Saint-Louis et qui vient de fêter ses 350 ans est en train, irrémédiablement, d’être rayée de la carte du monde. La furie des eaux mêlées du fleuve et de la mer a déjà dévoré une grande majorité des habitations. La mosquée gît désormais dans l’océan alors que les assauts répétés des vagues ont fini de démolir la morgue sise à l’entrée du cimetière. Spectacle encore plus désolant, des os humains font leur apparition dans ce cimetière bientôt marin. Le portail du lieu de sépulture est à terre et seul un amas de pierres informe de l’existence, jadis, d’une morgue.
Pour trouver un autre lieu de culte, c’est au daara du village qu’il revient désormais, de tenir lieu de salle de prière. Les pensionnaires en vacances forcées sont obligés de rester chez eux ou de se rendre individuellement chez le marabout. L’école élémentaire publique n’a pas encore été dévorée par la mer. Mais, du fait de la crue, elle est quelque fois atteinte par les eaux et la brise marine, offrant ainsi un hideux visage de murs décrépis, de fenêtres rouillées et de portes déglinguées. Construite par une Ong, elle était initialement prévue pour deux classes pédagogiques. Mais avec l’afflux des élèves, chaque salle a été réaménagée pour être divisée en deux, offrant ainsi quatre petits réduits, constituant chacun une classe. A quelque deux semaines de la rentrée des classes, même un remède de cheval ne pourrait garantir cette année l’accueil d’élèves.
«C’est le gouvernement qui est à l’origine de notre malheur»
Pendant ce temps, les villageois qui n’ont encore aucun moyen de s’extirper de la furie des vagues et de l’effondrement en cascade des maisons, sont plus que jamais dans l’œil du cyclone. Les maisons qui font face à l’océan tombent en ruines. Pourtant leurs occupants ne les abandonnent pas. Tout au long de ce littoral artificiel, sacs de sable et blocs de pierres sont entreposés pour faire office de digue de protection. Face à autant de risques on se demande pourquoi les populations s’entêtent à rester sur place. Qu’est ce qui les retient encore là, dans cette atmosphère de désolation ? « Il faut trouver un terrain », réplique Ousmane Wade, un père de famille. Ce dernier a eu la chance d’avoir pu compter sur un parent qui lui a trouvé un lopin au village voisin de Diél Mbane. Tel n’est pas le cas du vieux Ndiawar Sène, 75 ans, qui vit avec une famille nombreuse. Une bonne partie de sa concession a cédé sous les assauts des vagues. Le décor est hallucinant.
Paradoxalement, il ne se prépare pas encore à quitter et évoque une absence d’alternative liée à la pauvreté. «Si on m’octroyait un terrain, j’allais quitter, même si c’est pour y aménager une case», plaide t-il. En attendant, le patriarche n’indexe pas seulement l’avancée de la mer et ses effets dévastateurs, il en veut aussi aux solutions imposées par la construction des barrages et le sauvetage de Saint-Louis des inondations.Et d’expliquer : «Avant, nous menions une vie prospère avec une production maraîchère développée et diversifiée que nous vendions à Saint-Louis. Maintenant, avec la salinisation des sols due à ces changements causés par l’homme, nous avons tout perdu, y compris nos maisons.»
L’action de l’homme ? Le vieux El Hadji Diagne, 87 ans, imam ratib de Doune Baba Dièye et frère cadet du chef de village (90 ans), se veut plus précis : « c’est le gouvernement qui a pris la responsabilité d’ouvrir la brèche en 2003 qui est à l’origine de tous nos malheurs. S’il avait laissé les choses en l’état, nos maisons seraient intacts, le maraîchage et la pêche florissants », accuse t-il. Le vieux Diagne n’a plus la possibilité de se reposer dans la cour de sa demeure envahie par les eaux. Avec sa famille, il séjourne le jour sous le grand tamarinier qui trône dans son champ d’oseilles et de pastèques. La nuit, il joue le rôle de veilleur. Ainsi, dira-t-il : «La nuit dernière, je n’ai pas fermé l’œil un seul instant. Je suis resté en alerte pour, en cas de problème (rentrée des eaux dans les chambres ndlr), avertir mes enfants pour qu’ils dressent une digue de fortune avec des sacs de sables au cas où…»
Les tentes de Djibo Ka
Les tracas du village de Doune Baba Dièye ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis 2003, que d’autorités de chercheurs ou de journalistes ont défilé dans ce bout de terre. Beaucoup de solutions envisagées mais au finish, le problème reste entier. Le gouvernement sénégalais prévoit de recaser les habitants dans le village de Mbambara. Le site est aménagé, mais aucun terrain n’est encore livré. Interrogé, M. Dame Thiam, président du Conseil rural de Ndiabène-Gandiol, fait savoir que c’est le ministère de l’Urbanisme qui a en charge cette question. Le Pcr fait valoir que de son côté, il a fait le nécessaire en mettant à la disposition de l’autorité des terres pour recaser «non seulement les habitants de Doune Baba Dièye mais aussi ceux de Diél Mbane, Keur Barka et Mbambara». De leur côté, les habitants de Doune Baba Dièye dénoncent une insuffisance des parcelles mises à leur disposition. «On met à notre disposition une parcelle de 20 sur 15 m, pour trois à cinq chefs de ménages. Certains finissent par bouder, tandis que d’autres ont fini par vendre à leurs co-attributaires afin de trouver quelque chose de plus consistant ailleurs», a-t-on expliqué.
En février 2010, M. Djibo Ka, alors ministre de l’Environnement, avait, lors d’une visite du site, promis de trouver une solution d’urgence. Selon, Ndiawar Sène, un des responsables des jeunes du village : «M. Ka que nous avions reçu à la place du village maintenant engloutie par l’océan avait promis l’aménagement d’un site à Mbambara et l’installation, à court terme de tentes, en attendant l’octroi de terrains et les constructions. Mais, il n’y a pas eu de suite.»
Ceux qui ont les moyens ou la moindre possibilité se sont sauvés depuis belle lurette. Les familles se sont dispersées entre les différents villages environnants. Cette séparation des parents est durement ressentie pour des villageois souvent unis par des liens de sang. Ce ressentiment éprouvé pour la dispersion des parents l’est aussi pour les morts. Auparavant, Doune Baba Dièye ne disposait que d’un unique cimetière où les parents disparus étaient portés à terre. Maintenant que les caprices des eaux les en dissuadent, les disparus sont portés en terre à travers les nécropoles des différents villages environnants.
«Nous aurions bien aimé qu’ils se reposent au même endroit», conclut, avec un brin de regret un notable du village. Les vivants eux, attendent une opération sauvetage du gouvernement, et accessoirement, une assistance ponctuelle à l’instar des sinistrés de Dakar.
par Cheikh Lamane DIOP
Sud Quotidien