Mais, acquérir une distinction sociale aussi héréditaire que le tooroddagu d’aujourd’hui, n’est pas sans surprendre et susciter d’interrogations. En effet, attribuer ce titre de noblesse des Halpulaar à un Sereer, fût-il Guelewar, comme Pape Faye, parait saugrenu pour qui ne connait pas l’origine du groupe social qu’il a engendré.
Ainsi, nous parait-il nécessaire de revenir sur l’histoire statutaire du Tooroodo, de la formation de sa classe et sur l’œuvre de l’Artiste Pape Faye. Ce qui permettrait de mieux apprecier l’acte solennellement posé qui, il est vrai, est sans précédent.
Le Tooroodo et son groupe social
La société humaine, étant aussi structurée par des guerres et différentes sortes de tensions, se caractérise souvent par les catégories qui la composent. La plupart des observateurs s’accordent à dire que la société ouest-africaine s’est, globalement, constituée en trois groupes : Les dirigeants ou les riches, les hommes de métiers ou du savoir en plus des serviteurs. La société fuutaŋke n’a pas échappé à la règle. A partir du XVIème siècle, les Peuls, descendants de Koli Teŋella Ba ou Deeniyaŋkooɓe, étaient au sommet de l’échelle sociale et politique. Ils s’y maintenaient et par leur naissance et par leur bravoure. Les griots y étaient les conservateurs de la mémoire et dépositaires des connaissances collectives. Mais, la multiplication des foyers d’enseignement au Fuuta et la formation d’un nombre important d’hommes de sciences n’étaient pas sans bouleverser cette hiérarchie socio-politique. Les pensionnaires de ce système éducatif avaient acquis une considération sociale qui leur avait valu la jalousie de la classe régnante des fulɓe. Ces derniers, par mépris, leur avaient donné le sobriquet de Torotooɓe (Mendiants), et leurs lançaient des diatribes telles que: « le Tooroodo n’est qu’un serviteur devenu lettré, sans sébile ou tablette il ne vaut rien ». « Qu’Allah casse ces petites sébiles des toorobbes, contenant de pourritures d’aliments nauséabonds » invoquaient-ils. Mais, l’expansion du système éducatif et son ouverture à toutes les couches sociales renforçaient le groupe des Torotooɓe. Celle-ci s’est vite transformée en une importante classe sociale facilement accessible. En effet, tout membre de la société pouvait acquérir le statut de Tooroodo, il suffisait seulement de devenir lettré. De cette nouvelle classe sociale est née une élite qui a eu l’ambition de réformer la société. C’est cette dernière qui, en plus de porter le savoir partout en Afrique de l’Ouest et au-delà, a mené la Révolution au Fuuta-Tooro et à Sokoto au Nigeria actuelle pour faire tomber les régimes qui y régnaient depuis plusieurs siècles et pour y achever l’islamisation. Autant que Sileymaani Baal et Maalik Sy Daouda, Usmaan Danfojo revendiquait aussi son statut de tooroodo de Sokoto. Ainsi, même Askia Mohammed de Songhaï, qui est originaire de Silla dans la vallée du fleuve, pourrait s’en réclamer.
Partant de cette acception originelle du concept qui montre que le groupe s’est fondé sur le savoir déclanisé, ouvert et accessibles à tous, on peut bien concevoir, au-delà des vicissitudes de l’histoire et des restrictions malheureuses constatées aujourd’hui, que ce titre ou statut socio-scientifique soit acquis par le mérite individuel. Ce faisant, on établirait l’équivalence entre Tooroodo, gentlemen et honnête homme chez les Européens du XVII et XVIIIème siècle.
L’œuvre de Pape FAYE
L’œuvre de l’artiste Pape Faye est difficile à cerner. Mais, il importe ici de mettre le curseur sur ses éléments saillants.
• Ecrivain Poète, il a publié : Nègre de feu (Anthologie) aux Editions Maguilen ; Paroles de l’infini (recueil de poèmes) aux Editions Feu de brousse ; Le bal des cormorans (Recueil de poésie) aux Abis Editions ; Les lueurs tragiques (Théâtre) aux Abis Editions.
• Professeurs de technique de communication et d’art oratoire dans plusieurs établissements d’enseignement supérieur.
• Conteur et communicateur social intervenant dans plusieurs programmes de sensibilisations et de formation.
• Acteur dans plusieurs films et séries. Il a incarné : Lat Dior de Alioune Badara Bèye et Amadou Cissé Dia dans une série diffusée par la Radio Télévision du Sénégal (RTS) ; Le choix de Madior de Ibrahiam Sall à la RTS ; Damel Macodou Fall au Grand Théâtre ; le Prince Yerim Mbagnik Mbodj dans Nder en flammes d’Alioune Badar Beye au Grand Théâtre,
• Metteur en scène de la bataille de Paoskoto
• Metteur en onde des histoires et œuvres du Prophète Mouhammed (SAWS), de Ceerno Sileymaani Baal, d’El Hadj Malick Sy, de Cheikh Ahmadou Bamba, de Limamou Laye, etc.
Distinction méritée
Considérant que le titre « Tooroodo d’honneur » est institué pour rendre hommage à tout acteur engagé dans la promotion du patrimoine intellectuel et les valeurs culturelles africaines, compte tenu de toute son œuvre relative à la diffusion du savoir, son incarnation remarquable des figures historiques du Sénégal ainsi que son dévouement pour le renforcement de la conscience historique des jeunes, Pape Faye mérite bien d’être distingué et honoré par le Centre de Recherche. A travers lui, c’est le théâtre d’inspiration historique qui est magnifié pour sa portée pédagogique et sociétale.
Mamadou Youry Sall
Chercheur-Enseignant à l’UGB
Directeur de Baajoorɗo