Tafsir Ndické Dièye : Monsieur le Président de la Communauté Africaine de Culture/ Sénégal (CACSEN), votre association contribue de plus en plus à l’animation de l’espace culturel sénégalais et pourtant jusqu’ici, elle n’est pas suffisamment connue.
Le Président de la Communauté Africaine de Culture/Sénégal: C’est vrai que, pratiquement de 2005 à 2010, la CACSEN a été plutôt discrète dans ses initiatives et actions culturelles. Mais, elle a toujours pensé et continue de penser que la vie culturelle ne peut se mesurer à l’aune de sa médiatisation même si nous sommes dans un monde où la communication joue un rôle de plus en plus important.
Tafsir Ndické Dièye: Mais pourquoi ce repère de 2005 ?
Parce qu’il s’agit d’un tournant qui consacre cette mutation par laquelle la Société Africaine de Culture, créée en 1956, au lendemain du Premier Congrès des Artistes et Écrivains noirs, devient la Communauté Africaine de Culture. Ce changement, dont certains ont contesté la pertinence, ne participait d’une quelconque coquetterie intellectuelle ; il traduisait plutôt le défi de relever l’adaptation de l’action des intellectuels et artistes noirs aux enjeux du XXIème siècle, en s’appuyant sur les nouvelles générations. Dans ce contexte, d’éminents hommes de culture et intellectuels sénégalais fondèrent la section sénégalaise de la Communauté Africaine de Culture. Au nombre de ceux-ci : les Professeurs Amadou Makhtar Mbow, feu Assane Seck, feu Alassane Ndaw, Abdoulaye Bathily, Thierno Mouctar Bah, Mohamed Fadel Dia, Andrée-Marie Diagne, Mamoussé Diagne, Amady Aly DIENG, Abdoulaye Bara Diop, Penda Mbow, Abdourahmane Sow, et Ibrahima Thioub, Mesdames Marie-Aïda Diop Wane, Madeleine Devès Senghor, Marie-Thérèse Senghor Basse et Messieurs Cheikh Hamidou Kane, Sada Kane, Abdoul Almamy Wane.
Ils seront rejoins, à partir de 2010, par Pr Maïmouna Kane, Alpha Amadou Sy, Pr Ibrahima Wane, Malamine Diouf, Pr Saliou Mbaye et Mme Annie Coly.
Vous voyez donc que cette filiation historique, une fois établie, rend la CACSEN, disons moins insolite (rires). La CACSEN sera présidée par Pr Assane Seck de 2005 à 2011, avant que je ne sois choisi pour assurer la relève de son vivant.
Tafsir Ndické Dièye
Vous avez parlé d’initiatives et d’actions plutôt discrètes pouvez –vous nous édifier davantage ?
À l’actif de la CACSEN, il convient de citer :
– La commémoration à Dakar et à Saint-Louis, en janvier 2010, du 100ème anniversaire de la naissance du Fondateur de Présence Africaine. Le sommet de cette commémoration aura été le Colloque International, Alioune Diop, l’Homme et l’œuvre face aux défis contemporains. Ce banquet fut organisé du 03 au 05 mai 2010, au Palais des Congrès de l’Hôtel Méridien Président, à Dakar, sous la présidence effective du président de la République du Sénégal de l’époque, Son Excellence Monsieur Abdoulaye Wade. Les actes de cet important colloque ont déjà été publiés par Présence Africaine.
– Un vibrant hommage, rendu le 30 novembre 2013, au Professeur et Homme d’État Assane Seck, son premier président, arraché à l’affection des Sénégalais le 27 novembre 2012. Les textes produits à cette occasion sont sous presse ;
– L’initiation, en novembre 2014, à l’occasion de l’organisation, en terre sénégalaise du 15ème Sommet de la Francophonie, d’une caravane culturelle dénommée Parole de femmes à travers la littérature francophone de Madame de Sévigné à Ken Bugul. L’objectif de cette singulière randonnée littéraire était de redonner aux jeunes le goût de la lecture, voire de l’écriture dans l’espace francophone. Cette expérience a été d’autant plus appréciée que, en plus d’avoir offert aux apprenants et leurs enseignants, l’opportunité de rencontrer des auteurs « en chair et en os », elle avait été résolument inscrite dans la politique de décentralisation culturelle. Ainsi, des villes comme Rufisque, Thiès Kaolack Saint-Louis, Ziguinchor, Tambacounda et, bien sûr, Dakar en avaient largement profité. Du reste, nous nourrissons l’ambition de poursuivre cette caravane en nous rendant dans les autres communes ;
– Colloque International « L’Afrique et l’héritage d’Alioune Diop : le dialogue des religions et les défis du temps présent » Cinquantenaire du Concile Œcuménique Vatican II (1962 – 1965), Dakar du 26 au 29 janvier 2016, Hôtel King Fahd Palace, sous la présidence effective du président de la République du Sénégal, Son Excellence Monsieur Macky Sall.
Dans vos interventions, vous parlez souvent de légitimité de l’implication de la CACSEN au sujet de la commémoration du cinquantenaire du 1er Festival Mondial des Arts Nègres. Pouvez-vous être plus explicite ?
Plus qu’une implication, il s’agit d’une initiative et de l’organisation de cet important événement. Cette question de la légitimité est résolue par la mise en évidence de la filiation historique entre la CAC et la SAC. Je ne vous apprends rien : c’est au lendemain de la tenue, en terre française, du Premier Congrès des Écrivains et Artistes Noirs que l’idée avait germé dans la tête d’Alioune Diop. Mais, édifié par la lourdeur des tâches de l’époque, il était convaincu que ni La Maison d’édition Présence Africaine encore moins la Revue du même nom ne pouvaient gérer cet événement. Ainsi fut créée la Société Africaine de Culture dont l’objectif est décliné dans ces termes : « d’unir, par des liens de solidarité et d’amitié, les hommes de culture du monde noir, de contribuer à la création des conditions nécessaires à l’épanouissement de leurs propres cultures et de coopérer au développement et à l’assainissement de la culture universelle ». Et très précisément, l’organisation de festivals, pour mettre en évidence le riche patrimoine culturel des Noirs, sera une des fortes recommandations formulées par la Commission des Arts du Deuxième Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs, tenu à Rome, en 1059 ! Senghor, poète et chantre de la Négritude, devenu Président à la faveur des indépendances politiques des années 1960, se chargera, de la manière que l’on sait, d’accueillir ce premier grand rendez-vous culturel sous le ciel africain.
Pensez-vous au hasard quand vous affirmez, dans votre adresse, à l’occasion de l’ouverture officielle le 16 avril, à Sorano, que le Festival, « est venu « échouer » sur ce bout de terre, sur cette bande de terre, ouverte sur la mer » en parlant du pays d’accueil le Sénégal ? Depuis Marx au moins l’on sait que la nécessité se fraie un chemin sur une foule de hasards. En l’occurrence, il était rare de voir ceux qui pouvaient raisonnablement parier qu’un petit aussi pays que le nôtre, tant au plan géographique que démographique, un pays dont l’unique richesse était une agriculture au demeurant en souffrance de sa monoculture, une Nation en édification drainant, dans la douleur, les contrecoups de sa première déchirure politique de décembre 1962 , que ce pays allait accueillir, et avec un succès des plus éclatants, le Premier Festival Mondial des Arts Nègres.
Du reste, comme l’avait dit Pr Saliou Mbaye, dans sa Note introductive du 16 avril, par hasard parmi les figures de proue des mouvements de revalorisation de la culture africaine, Léopold Sédar Senghor aura été l’un des rares, pour ne pas dire le seul, à avoir accédé à la magistrature suprême.
Certes, mais rendre compte de ces conditions d’accueil n’explique sans doute pas le succès quasi unanimement crédité à ce banquet culturel ?
Les hommes de culture et intellectuels, engagés dans cette action, avaient cette grandeur d’âme qui les autorise à s’inscrire dans une dynamique résolument unitaire. Le fondement de ce choix tenait en ce qu’ils étaient conscients que, quoiqu’appartenant à des sensibilités politiques et idéologiques différentes, ils se reconnaissaient dans les mêmes idéaux de justice, de paix et d’égalité. Cet engagement a bénéficié au moins de ces deux facteurs. Le premier est que le Sénégal de 1966 n’était pas un no man’s land culturel : héritier d’un riche patrimoine culturel, il avait aussi des fils, outre Senghor, qui avaient contribué à façonner très positivement l’image du Sénégal. Je pense évidemment à Cheikh Anta Diop, Ousmane Sembene, Cheikh Hamidou Kane, David Diop, Birago Diop, Alioune Diop…
Le second est la touche étatique que Senghor a réussi à imprimer à cette rencontre. D’avoir eu dans cette trajectoire, un président acquis « à l’esprit d’organisation et de méthode » de l’envergure de Senghor aura été déterminant. L’enfant de Joal s’était donné tous les moyens de réussir ce rendez-vous des plus singuliers avec l’Histoire avec toute une panoplie de structures créées dans cette dynamique. Last but not least, dans une large mesure le poète-président avait imprimé à ce Festival un cachet populaire. Ce n’est guère un hasard si, aujourd’hui encore, bien des personnes d’un certain âge ont la chair de poule quand ils entendent des chansons dédiées à ce type de rendez-vous du donner et du recevoir, pour parler comme Senghor !
Cette idée de commémoration n’est-elle pas sous-tendue par une certaine nostalgie voire tout simplement enfermement dans le passéisme ?
Vous soulevez là un débat très intéressant qui pose, quant au fond, notre rapport avec le passé. Parler du passé ne relève pas ipso facto du passéisme. Dès lors que l’homme est inscrit dans la temporalité, il est mis en demeure de prendre connaissance de son passé pour préfigurer l’avenir à partir d’un ancrage dans son présent. Soit dit en passant, c’est l’un des sens du combat des militants de la culture comme Cheikh Anta Diop et Alioune Diop. Dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit de créer les conditions d’un bilan lucide, afin d’être dans la perspective, je veux dire le Projet.
Ainsi, on ferait l’état des lieux en s’interrogeant sur ce que sont devenues toutes ces infrastructures citées plus haut. Ce que sont advenus des engagements qui avaient été pris avec ferveur à l’époque et je n’en évoquerai que deux : une des fortes recommandations de ce banquet de 1966 était d’organiser, tous les deux ans, un festival de cette envergure. Pourquoi sa réédition a-t-elle toujours été si irrégulière, si problématique voire cahoteuse ? Autre recommandation : la formation de chercheurs, spécialistes et experts dans les multiples et différents domaines de l’art nègre, la création de musées nationaux et régionaux, la conservation et la protection des œuvre d’art, la défense et la promotion des artistes et, enfin, l’éducation artistique pour la jeunesse et le peuple. Ces questions sont-elles toujours devant nous ? Le colloque de novembre, 1er Festival Mondial des Arts Nègres (1966-2016): Mémoire et actualité, dont le discours inaugural sera donné par Wolé Soyinka, premier auteur noir lauréat du prix Nobel de littérature qu’il reçoit en 1986, tentera d’apporter des éléments de réponses à ces interrogations d’une légitimité crève- l’œil. Ceci ce fera devant un public de sommités intellectuelles pluridisciplinaires au Centre de Conférence Abdou Diouf de Diamniadio.
Pouvons- nous avoir le programme tout au moins dans ses grandes lignes ?
Outre le colloque dont je viens de parler, la commémoration, dont l’acte inaugural a été posé le 16 avril 2016, au Théâtre National Daniel Sorano, sera campée dans la période circonscrite entre avril et novembre, 2016. Nous avons prévu, à Dakar et dans les régions, des conférences, visites, expositions et projections de films sur l’étendue du territoire et un Salon International spécialisé des éditeurs des livres d’art africain. La toute prochaine activité est prévue le mercredi 04 mai de 16h à 19h au Musée L.S.Senghor, en partenariat avec la Fondation George Arthur Forrest. Ce sera une conférence-spectacle, Il était une fois le 1er Festival Mondial des Arts Nègres, introduite par le poète Hamidou Sall et l’artiste –peintre Ibou Diouf réalisateur de l’affiche du 1e festival de 1966.
Où en êtes-vous avec le budget ?
Nous sommes des Sénégalais de bonne volonté qui avons eu l’idée de commémorer un événement de portée mondiale. Du coup, nous avons contribué à rassurer, un tant soit peu, certains de nos compatriotes frustrés qu’ils étaient parce qu’ils considéraient comme une indifférence coupable des autorités sénégalais. Nous avons fini de décliner notre programme dont l’exécution reste tributaire de la réaction, que nous espérons positive, de nos différents partenaires. Déjà l’Etat sénégalais a fait montre de dispositions relativement satisfaisantes. Le Ministre de la Culture et de la Communication a donné des signaux très forts comme en témoignent l’appui qu’il nous a assuré par le biais de Monsieur Koundoul, Directeur des Arts, et la présence remarquable de Monsieur Rémi Sagna, son Directeur de cabinet lors de la cérémonie de Lancement. Autre signal : la contribution de haute facture de Monsieur Lamine Sambe, Conseiller technique à la Culture et aux Affaires littéraires de Monsieur le Premier Ministre de la République du Sénégal. Des demandes d’audiences ont été envoyées à qui de droit et nous espérons que nous aurons les moyens de notre ambition.
Au lendemain de ce Lancement du 16 avril avez-vous des motifs de satisfaction qui puissent présager du succès qui va couronner vos activités ?
Satisfaction ? Peut- être que c’est trop dire ! Le premier élément qui rassure frise l’anecdotique non sans pour autant ne pas faire sens pour notre sujet. C’est à l’occasion de ce Lancement que bien des Sénégalais, et pas forcément des plus jeunes, ont enfin mis un visage sur le nom de l’artiste -peintre Ibou Diouf. Y en a qui ne savaient même pas qu’il a été l’auteur de cette belle affiche du 1er Festival Mondial des Arts Nègres !
Nous sommes plutôt rassurés. Rassurés par l’appréciation toute positive d’éminents acteurs culturels de ce pays ; rassurés par cette dynamique qui se structure harmonieusement autour de la CACSEN dans le seul souci d’organiser la sauvegarde de notre mémoire et de notre patrimoine. Ainsi, nous avons l’implication de Bouna Sémou Ndiaye qui mène un combat titanesque pour rapatrier au Sénégal des pans de notre patrimoine. Dans la logique de sa mobilisation, aux accents patriotiques remarquables, il s’est joint à nous pour permettre à nos compatriotes de voir un film soviétique consacré pas à un reportage intégral du festival, mais aux rythmes et danses en Afrique.
Ce film, dont la charge idéologique a été décriée par certains, à tort ou à raison, a au moins le mérite d’exister et constitue une source qui devrait, comme telle, être questionnée. Du coup, cette projection nous interpelle sur notre regard à nous sur cet événement d’envergure mondiale : existe-t-il des documents sur cette question ? Si oui où sont-ils, comment les revaloriser ou les récupérer ?
Dans le mêmes esprit, Hamidou Sall, ancien conseiller de son Excellence Monsieur Abdou Diouf à l’OIF et actuel Directeur de la Fondation George Arthur Forrest en Belgique, n’ a pas, un seul instant, hésité à collaborer avec la CACSEN pour commémorer ce Festival en pensant notamment à impliquer, d’une manière ou d’une autre, la diaspora. Nous allons d’ailleurs, par l’entremise de Pape Cissokho et de Hamidou Sall, nous approcher des étudiants africains de la Sorbonne, afin de développer des initiatives culturelles à Paris.
Rassurés par le fait que nous sommes déjà en train de rassembler des éléments de patrimoine qui nous permettront de venir en appui à tous ceux qui prendront l’initiative de commémorer, selon notre ligne directrice, ici ou ailleurs, le cinquantenaire du 1er Festivals Mondial des Arts Nègres. Nous avons le film soviétique, l’exposition déjà présentée au Théâtre National Daniel Sorano lors du Lancement, et des personnes- ressources disposées à animer des tables-rondes, des conférences et autres manifestations.
Toutefois, ce qui rassure le plus, et qui est à la base de ces acquis susmentionnés, c’est l’engagement bénévole de dizaines de Sénégalais, de divers horizons, qui travaillent dans une atmosphère relaxe pour la réussite du projet. Ils nous ont rejoins, convaincus, selon les mots du Pr Hamady Bocoum, que la CACSEN a exprimé « ce qui était dans nos cœurs à nous tous » ! Grâce à cette mobilisation admirable, au cours de laquelle chacun s’efforce de faire don de soi pour la réussite de tous, la CACSEN a revu son ambition à la hausse.
Initialement, il était question d’une manifestation tout à fait symbolique. Mais, avec le concours précieux d’intellectuels et hommes de culture de la trempe des Pr. Abdoulaye Élimane Kane, Bouba Diop, Magueye Kassé, Cyr Descamps, Raymond Aloyse Ndiaye, Ousmane Sène, Hamady Bocoum, des Dames Germaine Anta Gaye, Fatou Signaté Ly, Marthe Ndiaye, Annie Jouga, Fatou Kiné Sène, Dr Hadja Maï Niang, de Messieurs Cheikh Aliou Ndaw, Alioune Badiane, Raphaël Ndiaye, Ousmane Sow Huchard, M. Sahite Sarr Samb, Kalidou Kassé, Abdou Gningue, vous-même Tafsir Ndické Dièye, pour ne citer que ceux-là, nous avons étalé , comme dit plus haut, nos activités d’avril à novembre. Mieux, quotidiennement des compatriotes expriment le vœu de venir travailler à nos côtés. Et étant donné que, d’une part, l’homme est le capital le plus précieux et que, d’autre part, abondance de biens ne nuit pas, nous continuons à nous ouvrir à tous pour le bien de ce pays, pour le bien de ce continent nôtre.
Xalima.com
Le Président de la Communauté Africaine de Culture/Sénégal: C’est vrai que, pratiquement de 2005 à 2010, la CACSEN a été plutôt discrète dans ses initiatives et actions culturelles. Mais, elle a toujours pensé et continue de penser que la vie culturelle ne peut se mesurer à l’aune de sa médiatisation même si nous sommes dans un monde où la communication joue un rôle de plus en plus important.
Tafsir Ndické Dièye: Mais pourquoi ce repère de 2005 ?
Parce qu’il s’agit d’un tournant qui consacre cette mutation par laquelle la Société Africaine de Culture, créée en 1956, au lendemain du Premier Congrès des Artistes et Écrivains noirs, devient la Communauté Africaine de Culture. Ce changement, dont certains ont contesté la pertinence, ne participait d’une quelconque coquetterie intellectuelle ; il traduisait plutôt le défi de relever l’adaptation de l’action des intellectuels et artistes noirs aux enjeux du XXIème siècle, en s’appuyant sur les nouvelles générations. Dans ce contexte, d’éminents hommes de culture et intellectuels sénégalais fondèrent la section sénégalaise de la Communauté Africaine de Culture. Au nombre de ceux-ci : les Professeurs Amadou Makhtar Mbow, feu Assane Seck, feu Alassane Ndaw, Abdoulaye Bathily, Thierno Mouctar Bah, Mohamed Fadel Dia, Andrée-Marie Diagne, Mamoussé Diagne, Amady Aly DIENG, Abdoulaye Bara Diop, Penda Mbow, Abdourahmane Sow, et Ibrahima Thioub, Mesdames Marie-Aïda Diop Wane, Madeleine Devès Senghor, Marie-Thérèse Senghor Basse et Messieurs Cheikh Hamidou Kane, Sada Kane, Abdoul Almamy Wane.
Ils seront rejoins, à partir de 2010, par Pr Maïmouna Kane, Alpha Amadou Sy, Pr Ibrahima Wane, Malamine Diouf, Pr Saliou Mbaye et Mme Annie Coly.
Vous voyez donc que cette filiation historique, une fois établie, rend la CACSEN, disons moins insolite (rires). La CACSEN sera présidée par Pr Assane Seck de 2005 à 2011, avant que je ne sois choisi pour assurer la relève de son vivant.
Tafsir Ndické Dièye
Vous avez parlé d’initiatives et d’actions plutôt discrètes pouvez –vous nous édifier davantage ?
À l’actif de la CACSEN, il convient de citer :
– La commémoration à Dakar et à Saint-Louis, en janvier 2010, du 100ème anniversaire de la naissance du Fondateur de Présence Africaine. Le sommet de cette commémoration aura été le Colloque International, Alioune Diop, l’Homme et l’œuvre face aux défis contemporains. Ce banquet fut organisé du 03 au 05 mai 2010, au Palais des Congrès de l’Hôtel Méridien Président, à Dakar, sous la présidence effective du président de la République du Sénégal de l’époque, Son Excellence Monsieur Abdoulaye Wade. Les actes de cet important colloque ont déjà été publiés par Présence Africaine.
– Un vibrant hommage, rendu le 30 novembre 2013, au Professeur et Homme d’État Assane Seck, son premier président, arraché à l’affection des Sénégalais le 27 novembre 2012. Les textes produits à cette occasion sont sous presse ;
– L’initiation, en novembre 2014, à l’occasion de l’organisation, en terre sénégalaise du 15ème Sommet de la Francophonie, d’une caravane culturelle dénommée Parole de femmes à travers la littérature francophone de Madame de Sévigné à Ken Bugul. L’objectif de cette singulière randonnée littéraire était de redonner aux jeunes le goût de la lecture, voire de l’écriture dans l’espace francophone. Cette expérience a été d’autant plus appréciée que, en plus d’avoir offert aux apprenants et leurs enseignants, l’opportunité de rencontrer des auteurs « en chair et en os », elle avait été résolument inscrite dans la politique de décentralisation culturelle. Ainsi, des villes comme Rufisque, Thiès Kaolack Saint-Louis, Ziguinchor, Tambacounda et, bien sûr, Dakar en avaient largement profité. Du reste, nous nourrissons l’ambition de poursuivre cette caravane en nous rendant dans les autres communes ;
– Colloque International « L’Afrique et l’héritage d’Alioune Diop : le dialogue des religions et les défis du temps présent » Cinquantenaire du Concile Œcuménique Vatican II (1962 – 1965), Dakar du 26 au 29 janvier 2016, Hôtel King Fahd Palace, sous la présidence effective du président de la République du Sénégal, Son Excellence Monsieur Macky Sall.
Dans vos interventions, vous parlez souvent de légitimité de l’implication de la CACSEN au sujet de la commémoration du cinquantenaire du 1er Festival Mondial des Arts Nègres. Pouvez-vous être plus explicite ?
Plus qu’une implication, il s’agit d’une initiative et de l’organisation de cet important événement. Cette question de la légitimité est résolue par la mise en évidence de la filiation historique entre la CAC et la SAC. Je ne vous apprends rien : c’est au lendemain de la tenue, en terre française, du Premier Congrès des Écrivains et Artistes Noirs que l’idée avait germé dans la tête d’Alioune Diop. Mais, édifié par la lourdeur des tâches de l’époque, il était convaincu que ni La Maison d’édition Présence Africaine encore moins la Revue du même nom ne pouvaient gérer cet événement. Ainsi fut créée la Société Africaine de Culture dont l’objectif est décliné dans ces termes : « d’unir, par des liens de solidarité et d’amitié, les hommes de culture du monde noir, de contribuer à la création des conditions nécessaires à l’épanouissement de leurs propres cultures et de coopérer au développement et à l’assainissement de la culture universelle ». Et très précisément, l’organisation de festivals, pour mettre en évidence le riche patrimoine culturel des Noirs, sera une des fortes recommandations formulées par la Commission des Arts du Deuxième Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs, tenu à Rome, en 1059 ! Senghor, poète et chantre de la Négritude, devenu Président à la faveur des indépendances politiques des années 1960, se chargera, de la manière que l’on sait, d’accueillir ce premier grand rendez-vous culturel sous le ciel africain.
Pensez-vous au hasard quand vous affirmez, dans votre adresse, à l’occasion de l’ouverture officielle le 16 avril, à Sorano, que le Festival, « est venu « échouer » sur ce bout de terre, sur cette bande de terre, ouverte sur la mer » en parlant du pays d’accueil le Sénégal ? Depuis Marx au moins l’on sait que la nécessité se fraie un chemin sur une foule de hasards. En l’occurrence, il était rare de voir ceux qui pouvaient raisonnablement parier qu’un petit aussi pays que le nôtre, tant au plan géographique que démographique, un pays dont l’unique richesse était une agriculture au demeurant en souffrance de sa monoculture, une Nation en édification drainant, dans la douleur, les contrecoups de sa première déchirure politique de décembre 1962 , que ce pays allait accueillir, et avec un succès des plus éclatants, le Premier Festival Mondial des Arts Nègres.
Du reste, comme l’avait dit Pr Saliou Mbaye, dans sa Note introductive du 16 avril, par hasard parmi les figures de proue des mouvements de revalorisation de la culture africaine, Léopold Sédar Senghor aura été l’un des rares, pour ne pas dire le seul, à avoir accédé à la magistrature suprême.
Certes, mais rendre compte de ces conditions d’accueil n’explique sans doute pas le succès quasi unanimement crédité à ce banquet culturel ?
Les hommes de culture et intellectuels, engagés dans cette action, avaient cette grandeur d’âme qui les autorise à s’inscrire dans une dynamique résolument unitaire. Le fondement de ce choix tenait en ce qu’ils étaient conscients que, quoiqu’appartenant à des sensibilités politiques et idéologiques différentes, ils se reconnaissaient dans les mêmes idéaux de justice, de paix et d’égalité. Cet engagement a bénéficié au moins de ces deux facteurs. Le premier est que le Sénégal de 1966 n’était pas un no man’s land culturel : héritier d’un riche patrimoine culturel, il avait aussi des fils, outre Senghor, qui avaient contribué à façonner très positivement l’image du Sénégal. Je pense évidemment à Cheikh Anta Diop, Ousmane Sembene, Cheikh Hamidou Kane, David Diop, Birago Diop, Alioune Diop…
Le second est la touche étatique que Senghor a réussi à imprimer à cette rencontre. D’avoir eu dans cette trajectoire, un président acquis « à l’esprit d’organisation et de méthode » de l’envergure de Senghor aura été déterminant. L’enfant de Joal s’était donné tous les moyens de réussir ce rendez-vous des plus singuliers avec l’Histoire avec toute une panoplie de structures créées dans cette dynamique. Last but not least, dans une large mesure le poète-président avait imprimé à ce Festival un cachet populaire. Ce n’est guère un hasard si, aujourd’hui encore, bien des personnes d’un certain âge ont la chair de poule quand ils entendent des chansons dédiées à ce type de rendez-vous du donner et du recevoir, pour parler comme Senghor !
Cette idée de commémoration n’est-elle pas sous-tendue par une certaine nostalgie voire tout simplement enfermement dans le passéisme ?
Vous soulevez là un débat très intéressant qui pose, quant au fond, notre rapport avec le passé. Parler du passé ne relève pas ipso facto du passéisme. Dès lors que l’homme est inscrit dans la temporalité, il est mis en demeure de prendre connaissance de son passé pour préfigurer l’avenir à partir d’un ancrage dans son présent. Soit dit en passant, c’est l’un des sens du combat des militants de la culture comme Cheikh Anta Diop et Alioune Diop. Dans le cas qui nous préoccupe, il s’agit de créer les conditions d’un bilan lucide, afin d’être dans la perspective, je veux dire le Projet.
Ainsi, on ferait l’état des lieux en s’interrogeant sur ce que sont devenues toutes ces infrastructures citées plus haut. Ce que sont advenus des engagements qui avaient été pris avec ferveur à l’époque et je n’en évoquerai que deux : une des fortes recommandations de ce banquet de 1966 était d’organiser, tous les deux ans, un festival de cette envergure. Pourquoi sa réédition a-t-elle toujours été si irrégulière, si problématique voire cahoteuse ? Autre recommandation : la formation de chercheurs, spécialistes et experts dans les multiples et différents domaines de l’art nègre, la création de musées nationaux et régionaux, la conservation et la protection des œuvre d’art, la défense et la promotion des artistes et, enfin, l’éducation artistique pour la jeunesse et le peuple. Ces questions sont-elles toujours devant nous ? Le colloque de novembre, 1er Festival Mondial des Arts Nègres (1966-2016): Mémoire et actualité, dont le discours inaugural sera donné par Wolé Soyinka, premier auteur noir lauréat du prix Nobel de littérature qu’il reçoit en 1986, tentera d’apporter des éléments de réponses à ces interrogations d’une légitimité crève- l’œil. Ceci ce fera devant un public de sommités intellectuelles pluridisciplinaires au Centre de Conférence Abdou Diouf de Diamniadio.
Pouvons- nous avoir le programme tout au moins dans ses grandes lignes ?
Outre le colloque dont je viens de parler, la commémoration, dont l’acte inaugural a été posé le 16 avril 2016, au Théâtre National Daniel Sorano, sera campée dans la période circonscrite entre avril et novembre, 2016. Nous avons prévu, à Dakar et dans les régions, des conférences, visites, expositions et projections de films sur l’étendue du territoire et un Salon International spécialisé des éditeurs des livres d’art africain. La toute prochaine activité est prévue le mercredi 04 mai de 16h à 19h au Musée L.S.Senghor, en partenariat avec la Fondation George Arthur Forrest. Ce sera une conférence-spectacle, Il était une fois le 1er Festival Mondial des Arts Nègres, introduite par le poète Hamidou Sall et l’artiste –peintre Ibou Diouf réalisateur de l’affiche du 1e festival de 1966.
Où en êtes-vous avec le budget ?
Nous sommes des Sénégalais de bonne volonté qui avons eu l’idée de commémorer un événement de portée mondiale. Du coup, nous avons contribué à rassurer, un tant soit peu, certains de nos compatriotes frustrés qu’ils étaient parce qu’ils considéraient comme une indifférence coupable des autorités sénégalais. Nous avons fini de décliner notre programme dont l’exécution reste tributaire de la réaction, que nous espérons positive, de nos différents partenaires. Déjà l’Etat sénégalais a fait montre de dispositions relativement satisfaisantes. Le Ministre de la Culture et de la Communication a donné des signaux très forts comme en témoignent l’appui qu’il nous a assuré par le biais de Monsieur Koundoul, Directeur des Arts, et la présence remarquable de Monsieur Rémi Sagna, son Directeur de cabinet lors de la cérémonie de Lancement. Autre signal : la contribution de haute facture de Monsieur Lamine Sambe, Conseiller technique à la Culture et aux Affaires littéraires de Monsieur le Premier Ministre de la République du Sénégal. Des demandes d’audiences ont été envoyées à qui de droit et nous espérons que nous aurons les moyens de notre ambition.
Au lendemain de ce Lancement du 16 avril avez-vous des motifs de satisfaction qui puissent présager du succès qui va couronner vos activités ?
Satisfaction ? Peut- être que c’est trop dire ! Le premier élément qui rassure frise l’anecdotique non sans pour autant ne pas faire sens pour notre sujet. C’est à l’occasion de ce Lancement que bien des Sénégalais, et pas forcément des plus jeunes, ont enfin mis un visage sur le nom de l’artiste -peintre Ibou Diouf. Y en a qui ne savaient même pas qu’il a été l’auteur de cette belle affiche du 1er Festival Mondial des Arts Nègres !
Nous sommes plutôt rassurés. Rassurés par l’appréciation toute positive d’éminents acteurs culturels de ce pays ; rassurés par cette dynamique qui se structure harmonieusement autour de la CACSEN dans le seul souci d’organiser la sauvegarde de notre mémoire et de notre patrimoine. Ainsi, nous avons l’implication de Bouna Sémou Ndiaye qui mène un combat titanesque pour rapatrier au Sénégal des pans de notre patrimoine. Dans la logique de sa mobilisation, aux accents patriotiques remarquables, il s’est joint à nous pour permettre à nos compatriotes de voir un film soviétique consacré pas à un reportage intégral du festival, mais aux rythmes et danses en Afrique.
Ce film, dont la charge idéologique a été décriée par certains, à tort ou à raison, a au moins le mérite d’exister et constitue une source qui devrait, comme telle, être questionnée. Du coup, cette projection nous interpelle sur notre regard à nous sur cet événement d’envergure mondiale : existe-t-il des documents sur cette question ? Si oui où sont-ils, comment les revaloriser ou les récupérer ?
Dans le mêmes esprit, Hamidou Sall, ancien conseiller de son Excellence Monsieur Abdou Diouf à l’OIF et actuel Directeur de la Fondation George Arthur Forrest en Belgique, n’ a pas, un seul instant, hésité à collaborer avec la CACSEN pour commémorer ce Festival en pensant notamment à impliquer, d’une manière ou d’une autre, la diaspora. Nous allons d’ailleurs, par l’entremise de Pape Cissokho et de Hamidou Sall, nous approcher des étudiants africains de la Sorbonne, afin de développer des initiatives culturelles à Paris.
Rassurés par le fait que nous sommes déjà en train de rassembler des éléments de patrimoine qui nous permettront de venir en appui à tous ceux qui prendront l’initiative de commémorer, selon notre ligne directrice, ici ou ailleurs, le cinquantenaire du 1er Festivals Mondial des Arts Nègres. Nous avons le film soviétique, l’exposition déjà présentée au Théâtre National Daniel Sorano lors du Lancement, et des personnes- ressources disposées à animer des tables-rondes, des conférences et autres manifestations.
Toutefois, ce qui rassure le plus, et qui est à la base de ces acquis susmentionnés, c’est l’engagement bénévole de dizaines de Sénégalais, de divers horizons, qui travaillent dans une atmosphère relaxe pour la réussite du projet. Ils nous ont rejoins, convaincus, selon les mots du Pr Hamady Bocoum, que la CACSEN a exprimé « ce qui était dans nos cœurs à nous tous » ! Grâce à cette mobilisation admirable, au cours de laquelle chacun s’efforce de faire don de soi pour la réussite de tous, la CACSEN a revu son ambition à la hausse.
Initialement, il était question d’une manifestation tout à fait symbolique. Mais, avec le concours précieux d’intellectuels et hommes de culture de la trempe des Pr. Abdoulaye Élimane Kane, Bouba Diop, Magueye Kassé, Cyr Descamps, Raymond Aloyse Ndiaye, Ousmane Sène, Hamady Bocoum, des Dames Germaine Anta Gaye, Fatou Signaté Ly, Marthe Ndiaye, Annie Jouga, Fatou Kiné Sène, Dr Hadja Maï Niang, de Messieurs Cheikh Aliou Ndaw, Alioune Badiane, Raphaël Ndiaye, Ousmane Sow Huchard, M. Sahite Sarr Samb, Kalidou Kassé, Abdou Gningue, vous-même Tafsir Ndické Dièye, pour ne citer que ceux-là, nous avons étalé , comme dit plus haut, nos activités d’avril à novembre. Mieux, quotidiennement des compatriotes expriment le vœu de venir travailler à nos côtés. Et étant donné que, d’une part, l’homme est le capital le plus précieux et que, d’autre part, abondance de biens ne nuit pas, nous continuons à nous ouvrir à tous pour le bien de ce pays, pour le bien de ce continent nôtre.
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