Le chef de l'État le promet: «Le français sera la première langue d'Afrique», et hésite-t-il, «peut-être du monde». En novembre dernier, Emmanuel Macron alors en déplacement au Burkina Faso, faisait la promesse d'incarner le renouveau de la francophonie. Lui, le «président soleil» au «pays des Hommes intègres» affirmait pouvoir redonner son éclat à la langue et «faire vivre le français pluriel, qui n'est plus seulement français».
L'annonce avait de quoi nous faire crier cocorico! D'autant que pour réaliser son «projet pour la francophonie», le président annonçait vouloir faire appel au prix Renaudot 2006, Alain Mabanckou. Oui, mais voilà, le soufflé est retombé. Dans une lettre ouverte publiée sur le site de Bibliobs , l'écrivain indique son refus de participer aux travaux de réflexion autour de la langue française. Il reproche au président ses erreurs d'expression et rappelle, incisif, l'hypocrisie historique du pouvoir qui existe encore et toujours en matière de «francophonie» en Afrique.
«Au XIXème siècle, lorsque le mot «francophonie» avait été conçu par le géographe Onésime Reclus, il s'agissait alors, dans son esprit, de créer un ensemble plus vaste, pour ne pas dire de se lancer dans une véritable expansion coloniale.» Les premiers mots d'Alain Mabanckou sont vindicatifs.
Aux discours poétiques et conceptuels du président de la République, lui, oppose un point de vue idéologique. Ce qui fait, à ses yeux, la réalité d'un terme. Et a fortiori ici avec la francophonie, son histoire. «La Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies». En cause, selon l'écrivain, la vision autocentrée du français. «Repenser la Francophonie, écrit-il, ce n'est pas seulement «protéger» la langue française qui, du reste n'est pas du tout menacée comme on a tendance à le proclamer dans un élan d'auto-flagellation propre à la France. La culture et la langue françaises gardent leur prestige sur le plan mondial.»
La langue française n'a en effet rien de «ringarde», comme le confiait la représentante personnelle d'Emmanuel Macron. Avec près de 275 millions de locuteurs francophones, la langue française arrive à la cinquième place -derrière le mandarin, l'anglais, l'espagnol et l'arabe- des langues les plus parlées dans le monde. Elle devrait, selon diverses conjectures, devenir le premier idiome à l'horizon 2050. La francophonie est «extrêmement vivace» à l'étranger. Alors pourquoi ne pas prendre en compte ce réveil mondial, s'insurge Alain Mabanckou qui constate que «les étudiants d'Amérique du Nord sont plus sensibilisés aux lettres francophones que leurs camarades français».
«La plupart des universités américaines créent et financent sans l'aide de la France des départements de littérature française et d'études francophones.[...] La littérature française ne peut plus se contenter de la définition étriquée qui, à la longue, a fini par la marginaliser alors même que ses tentacules ne cessent de croître grâce à l'émergence d'un imaginaire-monde en français.»
La France, doit-on comprendre en filigrane, aurait bien plus besoin de la francophonie que celle-ci n'aurait besoin d'elle. Et ce constat-là, dénonce Alain Mabanckou, Emmanuel Macron l'a oublié dans sa parole politique. Il rappelle la maladresse langagière du président lors de la Foire du livre de Francfort qui opposait «la France et la Francophonie». «Comme si la France n'était pas un pays francophone!», s'agace l'écrivain dans sa lettre .
Pour convaincre ses lecteurs Alain Mabanckou critique une forme de colonialisme culturel et pointe un manque de cohérence idéologique à parler de francophonie avec ces mêmes pays Africains qui ont subi et subissent toujours, selon lui, des régimes dictatoriaux en français. «Dois-je rappeler aussi que le grand reproche qu'on adresse à la Francophonie «institutionnelle» est qu'elle n'a jamais pointé du doigt en Afrique les régimes autocratiques, les élections truquées, le manque de liberté d'expression, tout cela orchestré par des monarques qui s'expriment et assujettissent leurs populations en français?»
Très critique à l'égard du politique, Alain Mabanckou réclame une ligne claire de la part du président en matière de francophonie pour sortir de ce qu'il décrit tel un obscurantisme, comme il l'écrivait déjà en 2016. «Il serait utile, Monsieur le Président, que vous prouviez à ces jeunes gens que vous êtes d'une autre génération, que vous avez tourné la page et qu'ils ont droit, ici et maintenant, à ce que la langue française couve de plus beau, de plus noble et d'inaliénable: la liberté», a conclu l'auteur avant de décliner l'offre du président de la République.
LE FIGARO