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Ablaye Cissoko : « Je veux qu’on fasse la différence entre les griots et les criards »

Mardi 17 Novembre 2015

Les pieds dans le fleuve Sénégal, la tête dans les étoiles. C’est là, dans le quartier-village de Keur Barka, un peu en retrait de Saint-Louis, l’ancienne capitale où il a grandi, qu’Ablaye Cissoko a appris à « écouter le clic de son cœur ». C’est ici, dans ce lieu qu’il dit chargé spirituellement que le joueur de kora de 45 ans a posé les fondations de son école : Kordaba, un lieu dédié à la kora, « le seul au Sénégal », assure-t-il. « J’ai l’idée de cette école depuis toujours. Mais je savais que cela prendrait du temps. Nous avons un devoir vis-à-vis de nos aînés. Nous aussi avons l’obligation de transmettre. C’est quelque chose de plus spirituel, de moins technique, qu’un enseignement académique. »


Ablaye Cissoko, ici en juin 2015 sur l'emplacement de sa future école de kora, près de Saint-Louis, au Sénégal. Crédits : Youri Lenquette
Ablaye Cissoko, ici en juin 2015 sur l'emplacement de sa future école de kora, près de Saint-Louis, au Sénégal. Crédits : Youri Lenquette
Comme tout griot, Ablaye Cissoko se réfère à une longue généalogie de musiciens messagers : il serait le descendant d’une famille dont les origines remonteraient au XVIe siècle. « Je porte le nom de celui qui a rassemblé les pièces pour fabriquer la kora. Ce n’est pas rien. » Certes, mais, pour ce projet, le natif de Kolda souhaite justement ouvrir aux non-initiés cet instrument longtemps réservé à la caste des griots. « La kora doit être accessible à tous. Comme la guitare. Au Sénégal, je ne connais qu’un conservatoire, à Dakar. Comment est-ce possible dans un tel pays de culture ? Il y a trop d’instruments traditionnels oubliés. »

Fils de la tradition

S’il a bien conscience d’être un des fils de la tradition, Ablaye Cissoko ne veut pas endosser le costume étriqué de gardien du temple. Bien au contraire. Depuis 2008 et la parution de l’album Sira, Ablaye Cissoko s’est distingué sur les scènes internationales en duo avec le trompettiste allemand Volker Goetze. Entre ces deux musiciens, une même envie d’aller par-delà les frontières établies. La complicité est telle qu’elle va déboucher sur plusieurs albums, qui font référence. Et, avec l’argent de ses premières tournées, le koriste a pu acheter le terrain pour cette école pas comme les autres. « C’est une petite école, artisanale, mais elle n’a pas de prix. Si l’on me donne des moyens, je l’embellirai. »
 
Pour l’heure, le Sénégalais n’a bénéficié d’aucune aide institutionnelle mais a pu compter sur la fondation BNP Paribas, mécène qui le soutient depuis 2012 par le biais de son association Boulokossi, à hauteur de 15 000 euros par an. « La culture ne semble pas avoir été la priorité de nos gouvernements. Je n’attends rien de l’Etat. Chacun dans notre coin, nous nous activons. Le jour de l’inauguration, je vais inviter les officiels. Pour qu’ils comprennent. Parce que, s’ils nous aident, on pourra encore faire mieux. »

« Tu es messager, les gens t’écoutent »

Epaulé par d’autres enseignants – ses frères, quelques oncles, d’autres aînés –, il compte suivre une poignée d’élèves « sur lesquels on mettra le paquet », mais aussi répondre aux demandes qui arrivent de partout : des musiciens confirmés comme des néophytes, de Dakar ou d’Europe, de tous âges. La kora semble être devenue le djembé du XXIe siècle. Avec toutes les dérives que cela suppose. A tous, il veut « enseigner les bons morceaux. Je veux qu’on puisse faire la différence entre les griots et les criards. Certains ont abusé du système pour faire juste du business, d’autres font du bien, au-delà de la musique. Jouer de la kora, c’est tout un savoir, des codes historiques. Le plus important, c’est que les enfants sachent pourquoi ils veulent la kora. Tu es messager, les gens t’écoutent. »
Prévue en octobre, l’ouverture officielle de Kordaba a finalement été repoussée au 15 décembre 2015. « Je préfère prendre le temps de bien faire les choses », assure le Sénégalais. Le premier cycle, jusqu’au printemps, aura ainsi valeur de test : deux classes de quatre élèves y recevront les préceptes fondateurs ; d’autres pourront suivre des cours particuliers. En parallèle, Ablaye Cissoko construit un autre lieu, Taliberté, en référence aux enfants de la rue. Toujours aux abords de Saint-Louis, c’est une résidence d’artistes (musiciens, peintres, sculpteurs et master classes) sur deux étages, où la kora sera aussi présente. D’ici là, il a sorti le 13 novembre, chez son label Ma Case, un nouvel album, Jardins migrateurs, avec le trio Constantinople. De quoi ajouter quelques briques aux projets dont il rêve pour son pays.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/16/ablaye-cissoko-je-veux-qu-on-fasse-la-difference-entre-les-griots-et-les-criards_4811047_3212.html#osvvHGwRdmOFh20P.99


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