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AIDA NDIAYE, MATRONE DE BOPPU THIOR : " Il m’est arrivé, mainte fois, d’accoucher des femmes dans une pirogue"

Mercredi 1 Juillet 2020

Habitante de Boppu Thior, une île qui manque de tout, la matrone Aida Ndiaye accouche bénévolement, depuis plus de 20 ans, les femmes insulaires. Elle raconte, dans cette interview, les difficultés qu’elle rencontre pour exercer sa passion dans cette île où des femmes mettent au monde dans des pirogues, en cours d’évacuation vers l’hôpital de Saint-Louis.


AIDA NDIAYE, MATRONE DE BOPPU THIOR : " Il m’est arrivé, mainte fois, d’accoucher des femmes dans une pirogue"
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant que matrone de l’ile ?

Notre principal problème, c’est l’accès à l’eau portable. On a fermé notre case de santé à cause du manque d’eau et d’électricité. Les gens n’ont pas d’eau pour s’alimenter, à plus fort raison pour la case de santé. C’est cela la réalité de Boppu Thior. Il y a un manque criard d’eau. Et on l’a toujours réclamé partout. Le président Macky Sall nous avait aussi promis qu’il allait régler le problème, en installant une usine de filtrage de l’eau du fleuve pour diminuer le sel. Mais jusqu’à présent, on attend toujours. On n’a pas aussi d’électricité et cela pose problème pour les accouchements nocturnes.  Il faut savoir que Boppu Thior manque de tout. Il n’y aucune réalisation sur l’ile venant de nos autorités. Même la case de santé, c’est un don de l’ONG Plan International.

En effet, au début des années 2000, Plan International est venue au niveau de l’ile pour nous aider. Elle m’avait ainsi trouvée un stage de 4 mois à Rao. Après mon passage au centre de santé de Rao, je suis partie à l’hôpital régional de Saint-Louis pour me former. J’ai fait là-bas 4 ans et 3 mois. La fin de ma formation de matrone avait alors coïncidé avec la construction de l’hôpital Ousmane Ngom de Léon. On avait voulu me recruter là-bas, mais j’ai refusé et j’ai demandé qu’on me construise une case de santé à Boppu Thior pour y exercer. C’est à cet effet que l’ONG nous a offert la case de santé. J’y ai travaillé plus de 20 ans de manière bénévole. Personne ne me paie. Accoucher les femmes est ma passion. Mais avec le problème d’eau et de l’électricité, j’étais obligée de la fermer. Les nuits, j’utilisais des lampes à pétrole ou des bougies pour accoucher les femmes. C’était trop risqué. Dieu merci, je n’ai jamais eu de décès.

La case de santé avait-elle un infirmier ou une sage-femme avant sa fermeture ?

Non. On n’a jamais eu de sage-femme ou d’infirmier à Boppu Thior. C’est pourquoi on est toujours obligé d’aller à Goxu Mbacc pour se soigner. Quand les femmes enceintes arrivent à terme, elles m’avertissent pour que j’en parle avec les sages-femmes de Goxu Mbacc pour les visites postnatales et les vaccins. Toutes ces prises en charge se font au centre de santé de Goxu Mbacc. Mais il arrive aussi que j’accouche des femmes à domicile sans me rendre à Saint-Louis, à cause des problèmes de transport. Cependant, en cas de risque de complications, j’évacue les patientes au centre de santé de Goxu Mbacc ou à l’hôpital régional de Saint-Louis. Avant, j’étais toute seule pour accoucher les femmes à domicile au niveau de l’ile, mais j’ai fini par fermer la case de santé, à cause du manque d’eau.

En plus, à l’avènement du régime de Macky Sall, on a interdit les accouchements à domicile. L’autre chose qui a fait que j’ai arrêté, c’est que quand j’exerçais à l’hôpital régional de Saint-Louis, je voyais souvent des femmes qui ont accouché dans les villages venir avec des hémorragies et certaines finissaient par perdre la vie. C’est pourquoi les accouchements à domicile ont été interdits pour recommander les dispensaires les plus proches. Ainsi, je préfère conduire, actuellement, toutes mes patientes au dispensaire de Goxu Mbacc. Je n’accouche à domicile que quand il y a des problèmes de transport, comme c’est le cas les nuits où les hommes vont à la pêche.

On dit qu’il arrive que des femmes accouchent dans les pirogues en cours d’évacuation vers Saint-Louis. Vous le confirmez ?

C’est tout à fait vrai. Il y a effectivement beaucoup de femmes qui ont accouché dans des pirogues. Cela m’est arrivé maintes fois que j’accompagne une femme à l’hôpital et qu’elle accouche dans la pirogue. C’est pourquoi, pour chaque évacuation, je me prépare à toute éventualité. J’amène avec moi tout le matériel nécessaire pour faire l’accouchement n’importe où y compris dans une pirogue. Pour ce faire, j’aménage un matelas et une toile sur la pirogue pour coucher la femme en cours de route. Après, on continue au dispensaire pour les autres soins. Les accouchements sont très compliqués, ici. On dit même que la majeure partie des habitants de l’île sont nés dans les pirogues et c’est vrai. Pour taquiner même, on dit souvent qu’on n’est pas de Boppu Thior, si on n’est pas né dans une pirogue.

Cependant, notre principal problème, ce n’est pas le poste santé, mais plutôt l’accès à l’eau. N’oublions pas que pour faire accoucher une femme, il faut beaucoup d’eau pour le toilettage. Après les accouchements, on va puiser de l’eau des puits. Mais maintenant, l’eau des puits n’est douce que les 3 mois de l’hivernage.

Comment vous faites donc pour l’achat du matériel médical pour les accouchements ?

C’est grâce à la contribution des patientes que j’arrive à acheter certains matériels médicaux comme les alcools et les autres détergents nécessaires pour l’accouchement. La mairie de Gandon aussi me faisait des dons de matériels d’accouchement, des détergents et des médicaments.

Abba Ba
Enqueplus
 


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