Comme souvent les personnalités publiques, Aminata Touré est une médaille à deux faces. Sous ses dehors austères et solennels de Premier ministre, somnole une citoyenne ordinaire. Taquine, sportive pluridisciplinaire dans sa jeunesse, folle de soupou kandja, cordon bleu, «spécialiste» en thiébou dieune, «maman poule»… Plus connue côté pile, elle a révélé à www.seneplus.com son côté face dans son vaste bureau à la déco sobre et dont le blanc des murs et des rideaux illumine le marron du mobilier.
Ce jeudi 12 juin, elle reçoit entre la réunion hebdomadaire du conseil des ministres et une série de rencontres politiques. Elle a les traits tirés. Effet des interminables journées qui s’allongent, parfois jusqu’à 3 heures du matin, avec cette période préélectorale ? Signe d’un cerveau qui gambade à l’approche de l’heure de vérité ?
Difficile de se mouiller. Aminata Touré a placé sa garde très haut. Visiblement, elle ne veut rien laisser paraître. Surtout pas donner l’impression qu’elle est inquiète, tétanisée par l’enjeu et sur les rotules avant même de monter sur le ring. En se calant dans le fauteuil de son salon en cuir, d’un air détendu, elle glisse : «Je suis en forme physiquement et mentalement. Disons, je suis d’attaque. Positivement. On va aller chercher la victoire.» Et pour convaincre son monde sur son état d’esprit positif, elle affiche sa «spéciale» : tête inclinée d’un côté, clignement de cils et sourire lumineux.
Un général d’armée
Pourtant, la pression est là. Évidente. Palpable. Forte. Pour une raison simple : les enjeux sont monstres. Candidate à la mairie de Grand-Yoff, Aminata Touré livre sans doute le plus grand combat de sa carrière politique personnelle. Rien à voir avec l’expédition de la présidentielle de 1993, lorsqu’elle était directrice de campagne du candidat d’Aj/Pads, Landing Savané. Ni même avec la bataille de la présidentielle de 2012 ayant abouti au succès de Macky Sall dont elle fait partie des concepteurs du programme de gouvernance, Yonnu Yokkute.
Une présidentielle est plus cruciale que des Locales certes, mais cette fois-ci Aminata Touré est elle-même candidate. Elle monte donc au front non pas en officier subalterne, mais plutôt en général d’armée. Galonnée. Debout aux avant-postes, elle dirige la manœuvre. Se battant davantage pour sa propre survie politique que pour, comme prétendu, titiller Khalifa Sall, un danger potentiel en vue de la réélection de Macky Sall.
L’entreprise est d’autant plus délicate que son rival est coriace. Fort de son bilan à la tête de la mairie de Dakar, jugé positif même dans le camp présidentiel, et de son expérience de cacique socialiste, rompu aux joutes électorales, l’édile de la capitale part avec les faveurs des pronostics. Sans le dire ouvertement, Mimi Touré lui reconnaît le statut de favori, confiant avoir choisi de l’affronter «par conviction mais aussi par défi». «J’avais le choix. Je pouvais me présenter par exemple à Kaolack, mais j’ai opté pour Grand-Yoff parce que j’ai un porjet pour cette commune et la victoire n’en sera que plus savoureuse», prévient-elle. C’est dire.
Champ des possibles ou horizon bouché
Un succès lui ouvrirait un vaste champ de possibles avec en perspective, logiquement la très stratégique mairie de Dakar, probablement le très convoité poste de numéro 2 de l’Alliance pour la République (Apr) et peut-être, au bout du bout, le Graal. La magistrature suprême. Elle en est encore loin.
Une défaite, par contre, lui boucherait tous ces horizons enchanteurs. Elle lui coûterait certainement son poste de Premier ministre, mais pas uniquement. Plus que la perte de ce maroquin moelleux qui en découlerait en toute logique, un revers à Grand-Yoff sonnerait définitivement le glas de sa fulgurante ascension. Macky Sall avait prévenu. Tout responsable de l’Apr battu aux Locales sera frappé de sanction. Et le moindre mal serait la perte de son strapontin de ministre, de directeur général ou Pca d’entreprise publique, entre autres responsabilités étatiques.
Mais cette mise en garde présidentielle n’effraie pas la tête de liste de la coalition Bennoo bokk yaakaar à Grand-Yoff. «Un politicien doit aller à la recherche du suffrage universel ou bien il n’est pas un politicien. C’est ma conviction, clame Aminata Touré. Notre légitimité est d’essence populaire. Vous pouvez être brillant et ne pas vous faire comprendre, cela veut dire que vous n’avez pas réussi. Mais je suis optimiste, je pense gagner.» Comprendre : je ne suis pas défaitiste, au contraire. Mais, si le 29 juin je suis sanctionnée par les urnes, sachez que ça ne sera pas à cause d’une quelconque incompétence en tant que Premier ministre, mais plutôt parce que j’aurai été incomprise des électeurs.
Dès lors, en cas de défaite dimanche, Mimi Touré prendrait-elle seule, sans y être contrainte par le chef de l’État, l’initiative de démissionner de son poste de Premier ministre ? «On verra après, mais je pense que je vais gagner», rétorque-t-elle d’une voix posée.
La Dame de fer
Aminata Touré n’a pas été surnommée par hasard la «Dame de fer». Elle est réputée pour sa rigueur et sa détermination ; d’aucuns préfèrent plutôt parler de sévérité et de témérité. Bien que prônant au sein de son cabinet un management «participatif», aimant «écouter pour recueillir différents avis» et «encourager la prise d’initiative», elle «décide toujours seule en fin de compte». Aussi, elle sait mettre la «pression pour un respect des délais». «Je suis un peu perfectionniste sur les bords», justifie-t-elle.
Ce caractère trempé et cette rigueur, le Premier ministre les tient de sa mère, Nafi Sow. Une sage-femme à la retraite de 79 ans. Qui, révèle Mimi Touré, «tient ce caractère de sa mère qui, elle-même, le tient de sa mère ainsi de suite». Une lignée de «femmes fortes». Aujourd’hui, madame Touré (Nafi Sow) veille toujours sur sa fille de chef du gouvernement. «Ma maman me demande de faire toujours ce que j’ai à faire sans écouter les médias, confie-t-elle. Je ne lui demande pas moins. Je lui dis tout le temps elle aussi : ‘surtout n’écoute pas les radios’.»
Ministre de la Justice, Mimi Touré avait déclenché la traque aux biens mal acquis et, plus tard, manifesté une farouche opposition à toute idée de médiation pénale. Icône du nouveau régime, qui prône la gouvernance vertueuse, chouchou du Président de la République, aux aurores de la deuxième alternance, et jouissant d’une cote énorme auprès des populations, elle ne tardera pas à être propulsée à la tête du gouvernement.
Le 1er septembre 2013, elle est nommée Premier ministre en remplacement d’Abdoul Mbaye. Sa mission : accélérer la cadence des réformes promises par Macky Sall et, in fine, baliser le chemin de sa réélection. Moins d’un an après sa nomination, les fruits tardent à tenir toute la promesse des fleurs. Malgré quelques avancées sous sa direction (mise en œuvre de la loi sur la baisse des prix du loyer, effectivité de la Couverture maladie universelle, lancement du programme des bourses de sécurité familiale...), la demande sociale est toujours prégnante.
Ce n’est certainement pas sa faute. Mais en tant que chef d’équipe, elle ne pourrait se dédouaner. Coupable, mais pas responsable. Sa côte en pâtit. Et pour ne rien arranger, au plan politique ça coince. Ses relations avec le chef de l’État ont comme pris un coup de froid. À preuve, Macky Sall n’est jamais intervenu publiquement contre les éléments de la Majorité qui font d’elle leur punching-ball.
L’histoire d’un surnom
C’est sous cette météo peu clémente, qu’Aminata Touré décide de monter au front des Locales. Et de choisir un challenge difficile : convaincre les 400 mille âmes de Grand-Yoff qu’elle est meilleure que Khalifa Sall et, au final, lui chiper son poste de maire de Dakar.
Pour trouver la racine de cette combativité, il faudra replonger dans le passé du Premier ministre. Dans l’album des souvenirs de son enfance. Troisième d’une fratrie de huit, Mimi Touré était condamnée à jouer des coudes pour exister au milieu de ses trois frères et quatre sœurs. Elle raconte : «Troisième, c’est presqu’au milieu. Quand on est ni le premier ni le dernier enfant d’une famille nombreuse, on apprend à exister sinon on ne vous remarque pas.»
Mais parfois, ce besoin d’exister lui brûle les ailes. Aujourd’hui bien sûr. Hier, aussi. Une anecdote : indignée par les sandales délabrées de la griotte de leur famille, la jeune Mimi va extraire «les plus belles chaussures» de la collection de sa mère pour en faire cadeau à la dame. La griotte chante ses louanges. Mise devant le fait accompli, madame Touré attendra d’être seule avec sa fille pour brandir la chicotte. «J’ai eu droit à une belle correction», se souvient Mimi Touré dans un éclat de rire.
Une femme de gauche venait de naître. Qui militera à Aj/Pads, en compagnie du frère du chef de l’État, Aliou Sall qu’il connut avant de rencontrer Macky Sall, des années plus tard.
Plutôt que mère-fouettard, Aminata Touré est maman-gâteau avec ses trois enfants, deux filles de 26 et 14 ans et un garçon de 18 ans. «Je suis une mère poule, très attachée à mes enfants, même s’ils sont grands, avoue-t-elle d’une voix douce nimbée d’émotion. Vous savez, on ne les voit jamais grandir. Je m’occupe parfois de certains détails. Par exemple mon fils doit aller à l’université à la rentrée prochaine, j’ai trouvé le temps de voir avec lui les candidatures, de les remplir avec lui, de m’assurer que c’est parti, qu’il y a eu des réponses, de rappeler, etc. Parfois il n’était même pas au courant.»
Aminata Touré est surnommée Mimi. Même ses enfants l’appellent ainsi. C’est toute une histoire. Qui remonte aux premiers jours de sa naissance et est l’œuvre de la nounou de son frère cadet. Au petit garçon qui avait du mal à prononcer «Aminata», elle souffle les quatre lettres qui resteront pour toujours collées au futur Premier ministre.
Sportive pluridisciplinaire
Rigoureuse, perfectionniste, tenace, mère-poule : Aminata Touré est tout cela à la fois, mais pas seulement. Le Premier ministre est une grande sportive. Elle fut, plutôt. Elle a joué au football jusqu’à l’âge de 17 ans. Elle était latérale. Savait fermer à double tour son couloir, mais aussi marquer des buts. Une latérale moderne. Dani Alves, Philippe Lahm et tous ces arrières modernes d’aujourd’hui n’étaient pas encore nés.
Mais en dehors du foot, la chef du gouvernement était internationale d’athlétisme (100M et 200M), a joué au basket, concouru en natation pour la traversée Dakar-Ngor et est ceinture marron de judo. Un pedigree qui lui sera utile dans sa vie d’adulte. «C’est bien de faire du sport, ça forge le mental et donne de l’endurance. C’est important en politique», indique Mimi Touré avec un sourire malicieux.
Aujourd’hui, tout cela est terminé. Son âge et, surtout, ses activités gouvernementales et politiques ne lui permettent plus de pratiquer du sport. La dernière fois qu’elle s’est pliée à une activité physique, «c’était il y a cinq mois, et c’était la marche». Elle le regrette : «Je devrais en faire un peu plus.»
À moins de s’attacher les services d’un coach qui la motiverait à renouer avec l’activité physique, elle risque de s’enfoncer dans la sédentarité. La faute à des journées très chargées. Elle raconte : «En période normale, je quitte le bureau à minuit. Il m’est arrivé de quitter à 3 heures du matin. Ces temps-ci, avec la campagne, je quitte entre 2 heures et 2 heures trente. J’essaie d’avoir 5 heures de sommeil pour pouvoir être au bureau à 8 heures trente. Mais quelle que soit l’heure à laquelle je me couche, s’il y a une réunion à 8 heures, j’y vais. C’est une activité prenante, le poste de Premier ministre.»
Madame Coulibaly
Pour compenser l’absence d’activités physiques, Mimi Touré fait attention à son alimentation. Au petit déjeuner, c’est souvent du fondé, du kinkéliba et un fruit. Au déjeuner et au dîner, elle aurait aimé goûter assez souvent à ses plats préférés, du soupou kandja et du tiéré. Mais histoire de «faire attention au poids», elle se contente de poisson et de légumes. Presqu’une végétarienne. Qui, «malheureusement», ne fait plus profiter à sa famille ses «talents de cordon bleu, spécialiste en thiébou dieune».
Quelques mois en arrière, une rumeur annonçait le remariage d’Aminata Touré. Le Premier ministre a préféré en rire plutôt que d’en pleurer. «Je me suis remariée il y a 13 ans, rectifie-t-elle d’un air moqueur. Je suis madame Coulibaly. Je rends hommage à mon époux. Si c’était un homme à qui l’on avait annoncé le mariage, ça allait être compliqué pour lui. Vous savez parfois les hommes ont des femmes inconnues, dans la nature…»
Ce précédent conforte Mimi Touré dans sa phobie d’internet, facebook, twitter, etc. «Je trouve qu’il est très difficile de préserver sa vie avec les réseaux sociaux. Même si je reconnais leur utilité, je reste prudente», assène-t-elle. Pourtant, elle est à la pointe de la technologie puisqu’elle ne voyage jamais sans sa tablette. C’est, avec sa brosse à dents, le seul bagage indispensable lors de ses déplacements. Sans compter que durant l’entretien elle avait à portée de main son Iphone 5 blanc, méticuleusement posé sur un des accoudoirs de son fauteuil douillet.
Un téléphone blanc, des murs et des rideaux de même ton, alors que sa couleur préférée est le saumon. On n’est pas à un contraste près avec le Premier ministre du Sénégal.
ifall@seneplus.com/bbadji@seneplus.com
PS : Dans la galerie de photos qui accompagne ce reportage, vous aurez remarqué des clichés jaunis par le temps. C’est Mimi Touré bébé, enfant, ado et jeune adulte. Avec sa famille, ses coéquipières footballeuses, ses camarades de parti à Aj/Pads, avec feu Mamadou Dia, ex-président du Conseil du Sénégal… SenePlus a délibérément choisi de ne pas légender les photos, une façon de vous laisser dénicher le Premier ministre vous-même dans chaque page de son album souvenir.
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