Alors que le Sénégal bénéficie depuis longtemps d'une image apaisée, le pays n'est pas épargné par la montée d' un islam rigoriste. La lutte contre le terrorisme demeure l’une des priorités du Sénégal», a répété le président sénégalais Macky Sall en marge du Sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, le 7 décembre dernier.
Au lendemain du déclenchement de l’opération Serval, il se félicitait d’une « belle synergie avec la France » et annonçait que « le nombre de soldats sénégalais présents au Mali au sein de la Mission africaine de soutien au Mali (Minusma) était passé de 700 à 815, afin de constituer un contingent complet [...] afin de poursuivre une mission de stabilisation pour toute la sous-région ».
En mai 2013, un rapport de la Cedeao (1) constatait : « Le Sénégal n’est pas totalement à l’abri d’une propagation de la menace djihadiste, ne serait-ce que sur le plan idéologique. » Chercheur au Centre d’études des religions de l’université de Saint-Louis au Sénégal, Bakary Sambe, l’un des auteurs du rapport, ajoutait :« il est temps de briser les tabous: les grandes confréries font elles-mêmes l’objet de contestation en leur sein.
L’autorité des khalifes est de plus en plus fragmentée. Elle est même disputée par des mouve- ments périphériques, des petits groupes dans lesquels des jeunes sont embrigadés sous l’emprise de chefs charisma- tiques et sur fond de frustrations sociales. ». L’enquête sur la mort des quatre touristes français le 24 décembre 2007 à Aleg(sud de la Mauritanie, à 250 km à l’est de Nouakchott) a fait apparaître que les assassins ont bénéficié de plusieurs structures d’accueil et de ravitaillement durant leur traversée du Sénégal et de la Gambie, avant de gagner la Guinée-Bissau où ils ont été arrêtés.
Le 29 mai 2010, trois djihadistes ont été interpellés à l’aéro- port de Dakar par la Division des investigations criminelles (Dic). En février 2011, deux membres présumés d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) étaient arrêtés dans la banlieue dakaroise.. Enfin, en juillet 2012, l’arrestation à Dagana, dans le nord du Sénégal, de dix personnes suspec- tées d’appartenir à un réseau terroriste a fait aussi réagir le président Macky Sall.
Outre la porosité des frontières, les enquêteurs conti- nuent aujourd’hui à mettre en cause la multiplication des medersas (écoles coraniques) et leurs modes de financement. La plupart du temps, ceux-ci demeurent très opaques, ramenant presque toujours à des ONG des pays du Golfe, sinon indirectement à des structures plus officielles dépendant de l’Organisation de la conférence islamique (Oci) et de la Banque islamique de développement (Bid). .
Depuis le milieu des années 1980 est apparue au Sénégal une myriade d’associations et d’organisations islamistes d’inspiration wahhabite : Al-Falah, mouvement ouvertement wahhabite financé par des donateurs saoudiens ; l’Istiqamat, organisation concurrente agissant sur le même terreau idéologique, avec des fonds eux aussi saoudiens ; le Ibad Rahmane, association salafiste qui cherche à capter le soutien de la Confrérie des frères musulmans et des financements en provenance du Qatar.
Dans la même mouvance, plusieurs sources autorisées relèvent des connexions entre certaines confréries soufies et le nord du Nigeria où s’est développée la secteBoko Haram qui met à feu et à sang une grande partie du pays. Moins préoccupante, l’influence chiite bénéficie d’une forte communauté libanaise. Les mêmes sources pointent le développement d’un groupe chiite de souche sénégalaise dans la région de Kolda, en Casamance. Initialement fondée par le cheikh Mohamed Ali Aïdara, cette structure travaillerait au développement d’écovillages, activité pour le moment religieuse et philanthropique soutenue par des fonds iraniens.
« En définitive, explique un universitaire de Saint-Louis qui requiert l’anonymat, l’évolution inquiétante de la menace wahhabite au Sénégal est doublement favorisée par la progression de la langue arabe et de ses structures d’enseignement échappant à tout contrôle étatique, ainsi que par l’ensemble des outils d’aide au développement financés par l’Arabie Saoudite.. Cette aide, qui ne résulte pas d’un pur philanthropisme, correspond à un agenda caché, mais parfaitement établi : la wahhabisation de l’islam africain.
Et ces dernières années, la surenchère entre l’Arabie et le Qatar s’est avérée particulièrement catastro- phique pour toute l’Afrique subsaharienne. Cette compétition entre champions du wahhabisme est absolument destructrice parce qu’elle place l’argent – l’argent facile – au cœur des pratiques sociales des jeunesses universitaires et prolétaires en déshérence... ». L’implication saoudienne en Afrique de l’Ouest remonte au lendemain du premier choc pétrolier de 1973. S’appuyant sur l’islamisme et le dollar, cette évolution n’a cessé de s’amplifier en confortant ses produits dérivés terroristes, des côtes de laMauritanie jusqu’au golfe de Bab el-Mandeb.... 1)
La Cedeao est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée le 28 mai 1975. C’est la principale structure destinée à coordonner les actions des pays de l’Afrique de l’Ouest. Son but principal est de promouvoir la coopération et l’intégration, avec pour objectif de créer une union économique et monétaire ouest- africaine. En 1990, son pouvoir est étendu au maintien de la stabilité régionale avec la création de l’Ecomog, groupe militaire d’intervention qui devient permanent en 1999. La Cedeao compte aujourd’hui quinze États membres.
Par Richard Labévière
Cet article est paru dans le magazine Afrique-Asie.
Au lendemain du déclenchement de l’opération Serval, il se félicitait d’une « belle synergie avec la France » et annonçait que « le nombre de soldats sénégalais présents au Mali au sein de la Mission africaine de soutien au Mali (Minusma) était passé de 700 à 815, afin de constituer un contingent complet [...] afin de poursuivre une mission de stabilisation pour toute la sous-région ».
En mai 2013, un rapport de la Cedeao (1) constatait : « Le Sénégal n’est pas totalement à l’abri d’une propagation de la menace djihadiste, ne serait-ce que sur le plan idéologique. » Chercheur au Centre d’études des religions de l’université de Saint-Louis au Sénégal, Bakary Sambe, l’un des auteurs du rapport, ajoutait :« il est temps de briser les tabous: les grandes confréries font elles-mêmes l’objet de contestation en leur sein.
L’autorité des khalifes est de plus en plus fragmentée. Elle est même disputée par des mouve- ments périphériques, des petits groupes dans lesquels des jeunes sont embrigadés sous l’emprise de chefs charisma- tiques et sur fond de frustrations sociales. ». L’enquête sur la mort des quatre touristes français le 24 décembre 2007 à Aleg(sud de la Mauritanie, à 250 km à l’est de Nouakchott) a fait apparaître que les assassins ont bénéficié de plusieurs structures d’accueil et de ravitaillement durant leur traversée du Sénégal et de la Gambie, avant de gagner la Guinée-Bissau où ils ont été arrêtés.
Le 29 mai 2010, trois djihadistes ont été interpellés à l’aéro- port de Dakar par la Division des investigations criminelles (Dic). En février 2011, deux membres présumés d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) étaient arrêtés dans la banlieue dakaroise.. Enfin, en juillet 2012, l’arrestation à Dagana, dans le nord du Sénégal, de dix personnes suspec- tées d’appartenir à un réseau terroriste a fait aussi réagir le président Macky Sall.
Outre la porosité des frontières, les enquêteurs conti- nuent aujourd’hui à mettre en cause la multiplication des medersas (écoles coraniques) et leurs modes de financement. La plupart du temps, ceux-ci demeurent très opaques, ramenant presque toujours à des ONG des pays du Golfe, sinon indirectement à des structures plus officielles dépendant de l’Organisation de la conférence islamique (Oci) et de la Banque islamique de développement (Bid). .
Depuis le milieu des années 1980 est apparue au Sénégal une myriade d’associations et d’organisations islamistes d’inspiration wahhabite : Al-Falah, mouvement ouvertement wahhabite financé par des donateurs saoudiens ; l’Istiqamat, organisation concurrente agissant sur le même terreau idéologique, avec des fonds eux aussi saoudiens ; le Ibad Rahmane, association salafiste qui cherche à capter le soutien de la Confrérie des frères musulmans et des financements en provenance du Qatar.
Dans la même mouvance, plusieurs sources autorisées relèvent des connexions entre certaines confréries soufies et le nord du Nigeria où s’est développée la secteBoko Haram qui met à feu et à sang une grande partie du pays. Moins préoccupante, l’influence chiite bénéficie d’une forte communauté libanaise. Les mêmes sources pointent le développement d’un groupe chiite de souche sénégalaise dans la région de Kolda, en Casamance. Initialement fondée par le cheikh Mohamed Ali Aïdara, cette structure travaillerait au développement d’écovillages, activité pour le moment religieuse et philanthropique soutenue par des fonds iraniens.
« En définitive, explique un universitaire de Saint-Louis qui requiert l’anonymat, l’évolution inquiétante de la menace wahhabite au Sénégal est doublement favorisée par la progression de la langue arabe et de ses structures d’enseignement échappant à tout contrôle étatique, ainsi que par l’ensemble des outils d’aide au développement financés par l’Arabie Saoudite.. Cette aide, qui ne résulte pas d’un pur philanthropisme, correspond à un agenda caché, mais parfaitement établi : la wahhabisation de l’islam africain.
Et ces dernières années, la surenchère entre l’Arabie et le Qatar s’est avérée particulièrement catastro- phique pour toute l’Afrique subsaharienne. Cette compétition entre champions du wahhabisme est absolument destructrice parce qu’elle place l’argent – l’argent facile – au cœur des pratiques sociales des jeunesses universitaires et prolétaires en déshérence... ». L’implication saoudienne en Afrique de l’Ouest remonte au lendemain du premier choc pétrolier de 1973. S’appuyant sur l’islamisme et le dollar, cette évolution n’a cessé de s’amplifier en confortant ses produits dérivés terroristes, des côtes de laMauritanie jusqu’au golfe de Bab el-Mandeb.... 1)
La Cedeao est une organisation intergouvernementale ouest-africaine créée le 28 mai 1975. C’est la principale structure destinée à coordonner les actions des pays de l’Afrique de l’Ouest. Son but principal est de promouvoir la coopération et l’intégration, avec pour objectif de créer une union économique et monétaire ouest- africaine. En 1990, son pouvoir est étendu au maintien de la stabilité régionale avec la création de l’Ecomog, groupe militaire d’intervention qui devient permanent en 1999. La Cedeao compte aujourd’hui quinze États membres.
Par Richard Labévière
Cet article est paru dans le magazine Afrique-Asie.