(Correspondance) - En dehors des enfants qui fréquentent la centaine d'écoles élémentaires de Saint-Louis et les milliers de daaras recensés, il y a une autre catégorie laissée en rade : les enfants qui n'ont pas été inscrits sur le registre d'état-civil à leur naissance, ou qui ont dépassé l'âge d'entrer à l'école. Il n'est pas surprenant de voir des enfants en âge d'aller à l'école flâner à longueur de journée dans les rues des quartiers qui connaissent surtout un pullulement humain notoire. Ce phénomène des enfants non scolarisés atteint des proportions inquiétantes à Guinaw Rails où les bambins batifolent aux heures normales de cours. Dans cette grisaille, un volontaire, militant de la lutte contre l'analphabétisme, apporte un peu de lumière, par ses propres moyens. Abdoulaye Sow récupère les marmots en âge, laissés pour compte, aux fins de les scolariser jusqu'au niveau du Ci. Cela, après les avoir régulièrement inscrits sur le registre de l’état-civil.
Frustré par le nombre incalculable d'enfants qui n'ont pas pu accéder à l'école, le mécène met sur pied son «école des oubliés». Une expérience qu'il a déjà tentée à Djeddah (Arabie Saoudite) où il était expatrié pendant plusieurs années. Donnant une explication à cette déscolarisation avancée, le sexagénaire souligne que le quartier ne dispose d’aucune structure de base : «ni école, ni dispensaire». Pour accéder à l'école la plus proche, souligne M. Sow, il fallait traverser la route nationale. «Certains parents évoquaient le danger lié à la traversée de la route nationale comme excuse pour ne pas scolariser leurs enfants», soutient cet enseignant formé au Cours normal de Mbour. Le volontaire déplore l'absence de prise en charge de ces enfants qui n'ont pas demandé à être dans cette situation. «On fait tout pour scolariser les enfants, des efforts sont effectués pour scolariser les talibés, mais cette catégorie d'enfants n'est prise en compte dans aucun programme», condamne Abdoulaye Sow.
Viatique des élèves refusés par le public
A Poly-Relais, nom donné à l’école, l’âge varie entre six et vingt ans. Pour Abdoulaye Sow, l’école est aussi fréquentée par les enfants allant de six à sept ans qui n’ont pas été reçus à l’ouverture des classes dans les écoles du public qui enregistrent des effectifs pléthoriques d’inscrits en classe de CI. La formation dure trois ans au maximum pour l’élémentaire. Au bout de cette scolarisation, ces enfants sont versés dans l'école publique. Là-bas, ils s'en sortent avec panache, dit M. Sow. Souvent même, mieux que ceux qu’ils retrouvent dans le public au point qu’ils sautent le CE2 pour se retrouver directement en Cm1. «Ce sont, en général, des enfants sur-motivés qui ont souffert de leur déscolarisation. Certains d’entre eux sautent la classe de cinquième pour être au même niveau que leurs camarades d'âge scolarisés avant eux».
Les déscolarisés précoces ont aussi leur place dans cette «école de la rue». Les filles, âgées entre 14 et 20 ans, qui n'ont pas pu terminer leur cycle sont formées aux petits métiers. «J'oriente vers la formation ceux que je ne peux pas verser dans l'école publique», fait noter M. Sow. L'analphabétisme n'est guère toléré dans cette structure. C'est pourquoi les non-alphabétisées reçoivent des cours parallèlement à leur formation en couture, teinture... Pour amoindrir davantage le nombre d’enfants déscolarisés, Abdoulaye Sow a élargi ses offres en ouvrant une maternelle. Ce qui lui permet de former ces petits dès le bas âge pour ensuite leur offrir la chance de fréquenter l’école élémentaire à sept ans.
A Poly-Relais, en maternelle, les enseignements sont faits en wolof. Une option loin d’être fortuite, si l’on en croit son initiateur. De son avis, «un enfant confronté à une triple difficulté liée au langage, à l'écriture et à la lecture souffre beaucoup plus que celui qui a déjà maîtrisé ces points dans sa langue maternelle». Le passage de cette langue au français sera moins difficile pour l’initié, dira-t-il, dès lors qu'il sait lire et écrire. C'est là une solution aux problèmes de l'usage de la langue française auxquels sont confrontés les écoliers.
Difficiles conditions de travail pour élèves et encadreurs
Assis au premier rang de la classe, sac à dos sur les jambes, le jeune Malick écoute, méticuleusement, les explications de sa maîtresse qu’il ne cesse de scruter. Il est un parmi les nombreux élèves dont les encadreurs ignorent l’âge, faute de pièce d’état-civil. Trois autres de ses camarades de classe sont assis sur le même banc, dépourvus de table. Le reste de la classe utilise des supports de fortune pour avoir un peu d’aise dans leur prise de note. L’effectif de la classe est excessif. «Ils sont une cinquantaine dans la classe», dit Khadidiatou Sow, enseignante. Dans les salles de cours, les élèves s’entassent comme des sardines. Ceux de la classe de CP et CE1, moins chanceux, partagent la même salle. Près d’une centaine d’élèves suivent des cours dans la pièce dont la toiture en paille laisse entrevoir les oiseaux qui voltigent à haute ou basse altitude. Les va-et-vient incessants et un chahut insoutenable y règnent. «J’ai en charge les deux classes, je suis appuyé en cela par M. Sow. Cette cohabitation est avantageuse parce qu’elle permet aux élèves de CP d’avoir un peu d’avance en suivant les cours du CE1», explique la maîtresse, Charlotte Sall Kane.
Pour suivre les cours, chacun des 250 élèves de cette école doit verser une cotisation mensuelle qui s’élève à mille francs. «Ce sont les parents qui retiennent le montant des cotisations. Au départ, le montant était fixé à 300 francs, puis 200, ensuite 500. Maintenant, il est à mille francs par mois et par élève», indique le volontaire. Qui précise que les versements ne sont, toutefois, jamais effectifs. Pourtant, c’est à partir de ces cotisations que sont payés les enseignants. «Chaque maître reçoit, comme paie, les versements effectués par ses élèves. C’est pour leur permettre d'avoir une vision claire de ce qui entre dans sa classe parce que la majorité ne cotise pas», souligne Abdoulaye Sow. Sur cent élèves, seuls trente sont en règle. Une situation qu'il explique par les moyens limités des parents qui tiennent néanmoins à la scolarisation de leurs enfants. Au début, dit le volontaire, l’administration renvoyait ceux qui n’étaient pas en règle. Cela ne poussait pas, pour autant, les parents à verser la mensualité. «Nous avons, par la suite, décidé de les garder tous».
Après neuf années d'exercice, M. Sow a déjà inséré près de 400 élèves dans le public. Malgré ses efforts et sa bonne volonté, les soucis financiers demeurent pour lui. Ce qui plombe le bon fonctionnement de sa structure qu’il a créée en 2004. La prise en charge de cette catégorie d’enfants reste sa seule inquiétude. Ainsi, en appelle-t-il à l’assistance de l’autorité étatique pour venir à bout du phénomène de la déscolarisation des enfants à Saint-Louis.
Aïda Coumba DIOP
Walf Quotidien
Frustré par le nombre incalculable d'enfants qui n'ont pas pu accéder à l'école, le mécène met sur pied son «école des oubliés». Une expérience qu'il a déjà tentée à Djeddah (Arabie Saoudite) où il était expatrié pendant plusieurs années. Donnant une explication à cette déscolarisation avancée, le sexagénaire souligne que le quartier ne dispose d’aucune structure de base : «ni école, ni dispensaire». Pour accéder à l'école la plus proche, souligne M. Sow, il fallait traverser la route nationale. «Certains parents évoquaient le danger lié à la traversée de la route nationale comme excuse pour ne pas scolariser leurs enfants», soutient cet enseignant formé au Cours normal de Mbour. Le volontaire déplore l'absence de prise en charge de ces enfants qui n'ont pas demandé à être dans cette situation. «On fait tout pour scolariser les enfants, des efforts sont effectués pour scolariser les talibés, mais cette catégorie d'enfants n'est prise en compte dans aucun programme», condamne Abdoulaye Sow.
Viatique des élèves refusés par le public
A Poly-Relais, nom donné à l’école, l’âge varie entre six et vingt ans. Pour Abdoulaye Sow, l’école est aussi fréquentée par les enfants allant de six à sept ans qui n’ont pas été reçus à l’ouverture des classes dans les écoles du public qui enregistrent des effectifs pléthoriques d’inscrits en classe de CI. La formation dure trois ans au maximum pour l’élémentaire. Au bout de cette scolarisation, ces enfants sont versés dans l'école publique. Là-bas, ils s'en sortent avec panache, dit M. Sow. Souvent même, mieux que ceux qu’ils retrouvent dans le public au point qu’ils sautent le CE2 pour se retrouver directement en Cm1. «Ce sont, en général, des enfants sur-motivés qui ont souffert de leur déscolarisation. Certains d’entre eux sautent la classe de cinquième pour être au même niveau que leurs camarades d'âge scolarisés avant eux».
Les déscolarisés précoces ont aussi leur place dans cette «école de la rue». Les filles, âgées entre 14 et 20 ans, qui n'ont pas pu terminer leur cycle sont formées aux petits métiers. «J'oriente vers la formation ceux que je ne peux pas verser dans l'école publique», fait noter M. Sow. L'analphabétisme n'est guère toléré dans cette structure. C'est pourquoi les non-alphabétisées reçoivent des cours parallèlement à leur formation en couture, teinture... Pour amoindrir davantage le nombre d’enfants déscolarisés, Abdoulaye Sow a élargi ses offres en ouvrant une maternelle. Ce qui lui permet de former ces petits dès le bas âge pour ensuite leur offrir la chance de fréquenter l’école élémentaire à sept ans.
A Poly-Relais, en maternelle, les enseignements sont faits en wolof. Une option loin d’être fortuite, si l’on en croit son initiateur. De son avis, «un enfant confronté à une triple difficulté liée au langage, à l'écriture et à la lecture souffre beaucoup plus que celui qui a déjà maîtrisé ces points dans sa langue maternelle». Le passage de cette langue au français sera moins difficile pour l’initié, dira-t-il, dès lors qu'il sait lire et écrire. C'est là une solution aux problèmes de l'usage de la langue française auxquels sont confrontés les écoliers.
Difficiles conditions de travail pour élèves et encadreurs
Assis au premier rang de la classe, sac à dos sur les jambes, le jeune Malick écoute, méticuleusement, les explications de sa maîtresse qu’il ne cesse de scruter. Il est un parmi les nombreux élèves dont les encadreurs ignorent l’âge, faute de pièce d’état-civil. Trois autres de ses camarades de classe sont assis sur le même banc, dépourvus de table. Le reste de la classe utilise des supports de fortune pour avoir un peu d’aise dans leur prise de note. L’effectif de la classe est excessif. «Ils sont une cinquantaine dans la classe», dit Khadidiatou Sow, enseignante. Dans les salles de cours, les élèves s’entassent comme des sardines. Ceux de la classe de CP et CE1, moins chanceux, partagent la même salle. Près d’une centaine d’élèves suivent des cours dans la pièce dont la toiture en paille laisse entrevoir les oiseaux qui voltigent à haute ou basse altitude. Les va-et-vient incessants et un chahut insoutenable y règnent. «J’ai en charge les deux classes, je suis appuyé en cela par M. Sow. Cette cohabitation est avantageuse parce qu’elle permet aux élèves de CP d’avoir un peu d’avance en suivant les cours du CE1», explique la maîtresse, Charlotte Sall Kane.
Pour suivre les cours, chacun des 250 élèves de cette école doit verser une cotisation mensuelle qui s’élève à mille francs. «Ce sont les parents qui retiennent le montant des cotisations. Au départ, le montant était fixé à 300 francs, puis 200, ensuite 500. Maintenant, il est à mille francs par mois et par élève», indique le volontaire. Qui précise que les versements ne sont, toutefois, jamais effectifs. Pourtant, c’est à partir de ces cotisations que sont payés les enseignants. «Chaque maître reçoit, comme paie, les versements effectués par ses élèves. C’est pour leur permettre d'avoir une vision claire de ce qui entre dans sa classe parce que la majorité ne cotise pas», souligne Abdoulaye Sow. Sur cent élèves, seuls trente sont en règle. Une situation qu'il explique par les moyens limités des parents qui tiennent néanmoins à la scolarisation de leurs enfants. Au début, dit le volontaire, l’administration renvoyait ceux qui n’étaient pas en règle. Cela ne poussait pas, pour autant, les parents à verser la mensualité. «Nous avons, par la suite, décidé de les garder tous».
Après neuf années d'exercice, M. Sow a déjà inséré près de 400 élèves dans le public. Malgré ses efforts et sa bonne volonté, les soucis financiers demeurent pour lui. Ce qui plombe le bon fonctionnement de sa structure qu’il a créée en 2004. La prise en charge de cette catégorie d’enfants reste sa seule inquiétude. Ainsi, en appelle-t-il à l’assistance de l’autorité étatique pour venir à bout du phénomène de la déscolarisation des enfants à Saint-Louis.
Aïda Coumba DIOP
Walf Quotidien