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Religion, terrorisme et cohésion sociale - Par Cheikh Bamba Dieye - Bruno d'Erneville - Mamadou Lamine Ba

Mercredi 14 Janvier 2015

"Citoyens et responsables politiques dans ce pays, nous avons senti au vu de l'actualité mondiale le besoin de signer ensemble cette contribution comme témoignage de notre attachement à la préservation des valeurs qui fondent depuis plusieurs siècles notre pays."
(Cheikh Bamba Dieye - Bruno d'Erneville - Mamadou Lamine Ba)


L'histoire tumultueuse du monde après la terreur de l'esclavage, la colonisation, les pogroms, les deux guerres mondiales, la Shoah, les génocides et autres guerres civiles avait fini de convaincre que l'avènement d'un monde apaisé et assagi était enfin devenu une exigence universellement partagée.

Nous nous associons à la douleur de cette tragédie et sommes solidaires des familles si durement frappées.
Lorsqu'un esprit clairvoyant comme André Malraux disait que le "21ième siècle sera spirituel ou ne sera pas", on pouvait naïvement lui donner raison. Mais, ce qui est certain et fondamentalement vrai, c'est que la spiritualité et les valeurs humanistes de paix et de tolérance qui l'accompagnent sont en effet une solution contre une globalisation culturophage qui ne laisse aucune place aux particularités qui font la richesse du monde.

On se rend compte aujourd'hui de la grande difficulté de notre monde de faire de cette assertion une réalité, tellement les antagonismes sont profonds et l'opposition grande entre les extrêmes minorités que sont dans leur milieu d'origine l'occident libertaire et le fondamentalisme religieux.
Ce conflit risque de générer, si on n'y prend garde, un séisme tentaculaire qui pourrait plonger le monde dans une incertitude sans fin.

L'intégrisme, l'intransigeance et l'intolérance gouvernent les rapports sociaux. L'aveugle confiance en ce que nous sommes, fait du rejet de l'autre et du refus du dialogue le terreau de toutes les violences.
Nous avons besoin de comprendre nous autres musulmans, chrétiens, juifs, bouddhistes et autres croyants que l'exercice de notre foi sera de plus en plus difficile compte tenu de l'évolution du monde et des libertés. Cet exercice de notre foi va nous demander un grand sens des responsabilités, beaucoup d'habilité dans la communication, une bonne connaissance de nos religions et du message de paix qu'elles comportent.

L'usage de la violence ne pourra jamais dorer le blason de l'islam de même que la caricature et la dérision des religions ne seront des facteurs de cohésion. Tout comme le monde musulman, l’occident devra faire des efforts pour convaincre qu’il n’est pas dans la culture de la pensée unique et la politique du deux poids deux mesures. Les citoyens du monde épris de paix devront s'unir pour faire de l'éducation à la tolérance et de la promotion des valeurs humaines les ultimes remparts contre toutes les formes d'excès ou d'extrémismes.

En ce sens, nous Sénégalais qui vivons sur cette terre séculaire de paix, de tolérance et de respect de l'autre, nous n'avons pas le droit et nous ne devons pas rester indifférents. Nous avons un exemple de cohésion sociale à la fois inter-ethnique et inter-religieux qui est un début de réponse à cette crise. Le contexte géopolitique africain nous impose de la vigilance en matière de sécurité publique, de l'initiative tactique en matière de défense et de politique sous régionale.

La fragilité de nos Etats, la montée du communautarisme qu'un environnement de pauvreté exagérée ne simplifie pas sont autant de facteurs aggravants.

Sur douze siècles le Sénégal a su développer une singularité qui fait sa fierté et aussi sa force. Cette singularité résulte de notre capacité à comprendre, accepter et tolérer l'autre. Elle est aussi de notre ferme conviction que le fait de vivre ou de cohabiter avec l'autre différent est source d'enrichissement. C'est la menace réelle sur cette richesse et sa pérennisation qui sont la source de notre inquiétude et justifie ce plaidoyer que nous signons à trois pour symboliser l'importance d'une action mutuelle sur les grands enjeux d'Etat.

A l'ère des conflits asymétriques, les règles d'engagements ont changé. A la lourdeur et à la sophistication d'une armée conventionnelle le terroriste oppose aujourd'hui la radicalisation et la mobilité de loups solitaires. Si des pays suréquipées et à la pointe du développement technique sont atteints et parfois déstabilisés, on peut légitimement être inquiet.

Le souvenir de l'extrême fragilité de notre voisin malien face à l'avancée d'une colonne de centaines de djihadistes déterminés est encore très frais dans nos mémoires. Le Nigeria, géant de l'Afrique, n'arrive pas à résoudre l'équation Boko Haram. Notre sous-région est aujourd'hui très poreuse et l'écrasante majorité des djihadistes en Europe ont des origines africaines même s'ils ne sont pas nés sur le continent.

Au-delà de la sécurité du territoire qui est une mission régalienne de l'Etat, la meilleure des protections est la volonté du citoyen de protéger et surtout d'être le garant de notre commun vouloir vivre ensemble.

Cet engagement n'est pas spontané, il est la résultante d'un effort collectif de toutes les strates de la société particulièrement de nos élites à travers un projet de société et de citoyenneté porté par les lieux d'éducation et de socialisation. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, il appartient à notre élite religieuse de relever le niveau de sa participation et de faire preuve d'anticipation en offrant à la jeunesse de notre pays des raisons de placer sa confiance dans la foi commune que nous sommes arrivés à vivre ensemble et en harmonie pendant des siècles dans la paix et le respect de l'autre.

Il leur appartient aussi d'offrir à nos concitoyens la nourriture spirituelle faite d'amour, de respect des valeurs républicaines et religieuses dont on a besoin pour contrer l'idéologie djihadiste. C'est leur responsabilité d'éviter au Sénégal un fractionnement au nom de la promotion de son appartenance idéologique et ou confrérique qui serait fort préjudiciable à la quiétude de notre pays.

Il est aussi de la responsabilité des élites politiques, religieuses et sociales de nous éviter la perte d'autorité de l'Etat qui crée les lignes de failles propices à l'émergence de guildes, des structures parasites qui, au nom du communautarisme et du réflexe identitaire, vont saper les fondements de la République. Est-il nécessaire de rappeler que nous avons besoin de la République pour vivre nos particularités?
Ce pays, qui est le nôtre, est trop beau, trop singulier pour qu'on le laisse entrer dans l'inacceptable.
Méditons tous ensemble sur ces paroles sages qui nous rappellent que : " la véritable force d'une Nation réside dans le fait qu'aucun envahisseur ne puisse trouver sur son sol un collaborateur".

Cheikh Bamba Dieye
Bruno d'Erneville
Mamadou Lamine Ba


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