Extrait du procès-verbal du Conseil Privé de Saint-Louis ayant décidé, le 5 Septembre 1895, de l’exil de Cheikh A. Bamba au Gabon : ‘Le Conseil Privé, après avoir entendu la lecture des rapports de M. Merlin et Leclerc et fait comparaître Ahmadou Bamba, a été d'avis, à l'unanimité, qu'il y avait lieu de l'interner au Gabon, jusqu'à ce que l'agitation causée par ses enseignements soit oubliée au Sénégal.’ Plus d’un siècle après cette décision visant à faire ‘oublier’ aux Sénégalais les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba, peut-on estimer aujourd’hui que ‘l’agitation’ que ces enseignements ont, depuis lors, créée dans son pays, et même bien au-delà aujourd’hui, ait cessé ? Comment se faisait-il que la prophétie de la ‘désintégration de la confrérie mouride’ faite par M. Marty, l’un des auteurs et observateurs considérés comme les plus attentifs de l’Islam ‘noir’ au Sénégal, ne se soit pas encore réalisée et que le Magal, célébré plus de quatre-vingts ans après la disparition de Cheikh A. Bamba, soit devenu, malgré toutes les critiques et les attaques quotidiennes contre les mourides, le plus important évènement du pays et l’un des plus grands du monde, car regroupant des millions de visiteurs dans la ville qu’il avait fondée, devenue aujourd’hui la seconde du pays ?
Autant de questions qu’il nous a semblé intéressant et judicieux de nous poser, à l’heure où la plupart des analyses dans les médias et l’essentiel des commentaires sur le récent Magal se focalisent encore sur le fourmillant évènementiel, les incursions exubérantes des politiques à Touba, les gênantes intrusions de la République dans le Magal et la décision d’en faire un jour férié critiquées par les brûlots des politologues, le croustillant des ‘petites phrases’, la luxuriante diversité sociologique des faits divers du Magal, l’effet éphémère de la ‘Toubamania’ médiatique s’estompant, les scoops sur le rang de Touba au top 10 des recherches sur Google au Sénégal etc.
L’arme du Magal
L’exemple de la récente polémique sur la décision de faire du Magal un jour férié national, soulevée récemment dans la presse, nous semble ainsi représenter un cas d’école assez intéressant du combat mouridophobe qui mérite, à notre avis, d’être analysé avec une autre approche (malgré notre conscience du caractère souvent puéril et éphémère de ce genre de débats au Sénégal). En effet, il a semblé à certains analystes légitime de condamner cette décision dans leurs articles et blogs, ou au moins de s’interroger publiquement sur son opportunité, dans le cadre d’une république laïque et en regard surtout du devoir de traitement équitable que l’Etat, dans ses fonctions régaliennes, se doit d’assurer à l’ensemble des communautés (religieuses, ethniques, raciales etc.) de la nation. Soupçon ou plutôt malaise aggravé par l’attitude ostensiblement ‘pro-mouride’ depuis toujours affichée par le régime de l’alternance dont les prises de position publiques en la matière du leader n’ont jamais cessé de créer des frustrations et des tensions dans le landerneau politico-médiatique.
Cependant, une analyse plus sereine et plus approfondie des soubassements réels et inexprimés de cette polémique montre que cette question n’est en réalité qu’une façade, une ‘arme’ supplémentaire dans le long combat souterrain que l’emprise progressive de la vérité du mouridisme sur la réalité spatiotemporelle n’a jamais cessé de susciter. En effet, en abordant le problème sous l’angle de l’équilibre social, la plupart des analystes se sont laissés emporter et piéger (et même obnubiler, bien que sans l’exprimer ouvertement ou même le percevoir clairement) par la peur du pouvoir mouride, son envahissement bruyant et incontrôlable du champ du réel, accéléré par les incursions politiques (les évidentes tentatives de récupération politicienne de cette décision par le régime contribuant davantage à épaissir le débat). Ceci, tout en négligeant de le poser sous des termes beaucoup plus simples et plus scientifiques, à savoir : quel est le principe fondamental à la base des jours fériés qui fait qu’une nation décide, parmi les 365 jours de l’année, d’en choisir juste quelques-uns et de les particulariser dans le ‘calendrier républicain’ ?
Une définition communément acceptée du jour férié ressemblera assez, à notre avis, à celle proposée, par exemple, dans Wikipédia qui nous apprend ‘qu’un jour férié est un jour de fête civile ou religieuse, ou commémorant un événement. ’. Le Magal commémorant le départ en exil d’une grande figure historique sénégalaise de l’envergure de Cheikh A. Bamba, qui lui a donné lui-même une signification religieuse profonde (acte de reconnaissance à Dieu), selon la perspective de l’Islam, religion à laquelle se reconnaît plus de 95 % de la nation, ne réunit-il pas ces critères aux yeux de la République ? Le terme ‘magal’, qu’il a lui-même créé (pour éviter notamment toute confusion hétérodoxe avec les fêtes traditionnelles musulmanes) ne signifie-t-il pas justement en wolof ‘commémoration’ ? L’évènement historique qu’il permet de célébrer et les dures souffrances que sa victime eut à endurer pour son peuple, avec pour seules armes contre l’oppression la piété, la foi infinie en Dieu et à Son Prophète, la dignité, l’endurance et la non-violence ne méritent-ils pas aux yeux de la République du Sénégal, au-delà de toute considération d’obédience ou de religion, nonobstant toutes les tentatives de récupération électoraliste, parmi les 365 jours de l’année civile ne serait-ce qu’un seul jour officiel de gratitude, d’adoration de Dieu, de retrouvailles des Sénégalais autour des valeurs qu’il défendait ?
Si ce n’est pas le cas, en quoi les autres jours décrétés fériés depuis plus d’un demi-siècle par cette même République (Fête du Travail, Saint Sylvestre, Pentecôte, Toussaint, Pâques, etc.), dont certains même ne sont pas célébrés par plus de 5 % de Sénégalais, rassemblent-ils plus ces critères que le départ en exil du Serviteur du Prophète ? Fêtes chrétiennes ou laïques particularisées par la République ‘laïque et équitable’ au point de faire aujourd’hui partie de l’inconscient collectif des 95 % du pays ne s’y reconnaissant pas (précisons que, n’ayant rien contre les chrétiens, le débat porte ici sur les mêmes questions de principe invoqués par les analystes) ? En d’autres mots, si c’était véritablement le souci de la juste équidistance entre les communautés religieuses du pays qu’entraînera ce jour férié de plus qui anime nos analystes, pourquoi n’avaient-ils pas antérieurement posé le débat en des termes aussi virulents et aussi critiques qu’ils s’y emploient tous depuis maintenant ? N’est-ce pas plutôt une ultime résurgence du piège de la division des musulmans à travers la trame confrérique que nous ont légué les vrais pères coloniaux de cette même République ?
Sous ce rapport, il nous paraît hautement insuffisant et de mauvaise foi d’invoquer l’argument neutralisant souvent avancé de la ‘laïcité républicaine’ à la sénégalaise, qui perpétue actuellement le statu quo politique et continue d’opposer artificiellement les communautés religieuses du pays, en diabolisant sciemment et en excluant tout choix de valeurs émanant de l’une d’entre elles, sous prétexte d’un prétendu ’équilibre confrérique’. Dans la simple mesure où cet argument promeut, en lieu et place, le choix arbitraire d’idées et de perspectives élaborées par d’autres maîtres à penser appartenant à d’autres cultures ou ‘confréries’ républicaines, athées, maçonniques ou déistes. Aussi, sous ce rapport, cette rivalité artificielle entre confréries musulmanes du Sénégal n’est, dans une certaine mesure, qu’une perpétuation de la cynique stratégie de divisions entretenue jadis par les colonisateurs français, qui y voyaient un moyen de les affaiblir toutes ensemble pour mieux les dominer, selon l’esprit de cette machiavélique prédiction de Paul Marty : ‘Où sera le mal, quand, dans un demi-siècle, les islamisés du Sénégal seront partagés en cinq ou six sectes différentes, très divisées entre elles, d’autant plus divisées que chaque secte sera un produit national, et que ces rivalités religieuses viendront se greffer sur des animosités de race ?’.
Il est bien vrai, il faut l’avouer, que cette anomalie religieuse ‘mourides contre tidianes’ n’a pu perdurer jusqu’ici, à notre avis, que grâce au piège de la rivalité entre communautés religieuses artificiellement entretenue par différents acteurs (politiques, intellectuels ou même religieux) adeptes du ‘diviser pour régner’. Rivalité artificielle, car il n’existe en réalité aucune réelle contradiction de fond justifiant cette incompatibilité dans les démarches et idées de nos valeureux penseurs qui, comble de chance, appartiennent tous à la même école malékite dont ils partagent unanimement la doctrine, qui est celle des Ahl Sunna wa Jama’a (adhérents de la tradition et du consensus des savants), tout en adhérant à une même vision tolérante et ouverte de l’Islam, contrairement aux dissensions idéologiques sanglantes divisant d’autres pays musulmans. Cette religion, qui est la nôtre, a pour vocation naturelle, il faut le savoir une fois pour toutes, d’unir le Sénégal et non de le diviser, de le faire évoluer et nullement régresser…
Si, par contre, il s’avère que ce soit les ‘pertes pour l’économie nationale’ occasionnées par ce jour férié qui sont réellement en jeu, qu’en est-il de celles entraînées par les autres jours déjà énumérés ? Pourquoi ne proposent-ils pas plutôt de diminuer ceux-là qui ne sont nullement plus légitimes ‘nationalement’ parlant que le Magal ? A contrario, pourquoi tous ces analystes font-ils mine d’ignorer l’impact positif économique réel, pourtant très facilement perceptible, même sans statistiques, du boom de la consommation entraîné par l’un des plus grands rassemblements religieux d’Afrique au point que certaines grandes entreprises de la place avouent réaliser l’essentiel de leur chiffre d’affaires annuel lors du Magal ? Si ce n’était point le cas, comment expliquer l’engouement de tous les secteurs économiques (agro-alimentaires, télécommunications, transports, finances etc.) lors de cet évènement ? Est-ce le même esprit de ‘favoritisme confrérique’ qui anime les politiciens que Orange, Tigo, Expresso, la Bicis, la Bhs, Western Union, les multinationales étrangères, les organes de presse et l’ensemble des médias, les compagnies d’eau minérale, de boissons gazeuses, les éleveurs et agriculteurs, les vendeurs ambulants, les commerçants formels et informels (cette catégorie pour laquelle la moindre occasion de foire constitue une aubaine inespérée) etc. mettent les bouchées doubles pour se positionner à Touba lors du Magal, d’une manière qu’ils ne pourraient, économiquement parlant, reconduire nulle part ailleurs au Sénégal ? Autant de questionnements qui méritent aussi bien, à notre avis, d’être abordés avec le même esprit critique par les mêmes analystes qui, assez étrangement et malgré toute leur pertinence, ne se posent jamais des questions aussi élémentaires, aveuglés en réalité par les phobies inexprimées auxquelles nous fîmes référence ou le piège des paradigmes faussés légués par leurs ‘ancêtres gaulois’…
En vérité, la perspective sous laquelle il convenait d’aborder cette problématique, assez triviale du reste n’eussent été les scories analytiques, consiste à prendre conscience du niveau croissant de réalité qu’a atteint aujourd’hui le mouridisme, quelle que soit la vision positive ou négative que l’on puisse en avoir. Ce ne sont que les lois qu’impose cette rR-éalité visible et incontournable au Sénégal auxquelles se conforment de façon pragmatique les composantes de l’économie que nous avons énumérées, dont beaucoup, détenues par des non mourides ou même par des non croyants, n’ont aucune préférence ou affinité particulière avec le mouridisme. Ni plus, ni moins. Auraient-elles la même perception ailleurs, nul doute qu’elles n’hésiteraient nullement à recentrer immédiatement leur ‘marketing’ vers cet ailleurs, sans aucun état d’âme. La plupart des politiciens qui se bousculent aujourd’hui à Touba, de même que beaucoup d’hommes d’affaires et de stars, fonctionnent à peu près selon les mêmes logiques d’intérêt et de ‘marketing politique’ conforme à la réalité du terroir, qu’ils se réclament mourides ou non. (A suivre)
Abdoul Aziz MBACKE Majalis azizmbacke@yahoo.fr
Autant de questions qu’il nous a semblé intéressant et judicieux de nous poser, à l’heure où la plupart des analyses dans les médias et l’essentiel des commentaires sur le récent Magal se focalisent encore sur le fourmillant évènementiel, les incursions exubérantes des politiques à Touba, les gênantes intrusions de la République dans le Magal et la décision d’en faire un jour férié critiquées par les brûlots des politologues, le croustillant des ‘petites phrases’, la luxuriante diversité sociologique des faits divers du Magal, l’effet éphémère de la ‘Toubamania’ médiatique s’estompant, les scoops sur le rang de Touba au top 10 des recherches sur Google au Sénégal etc.
L’arme du Magal
L’exemple de la récente polémique sur la décision de faire du Magal un jour férié national, soulevée récemment dans la presse, nous semble ainsi représenter un cas d’école assez intéressant du combat mouridophobe qui mérite, à notre avis, d’être analysé avec une autre approche (malgré notre conscience du caractère souvent puéril et éphémère de ce genre de débats au Sénégal). En effet, il a semblé à certains analystes légitime de condamner cette décision dans leurs articles et blogs, ou au moins de s’interroger publiquement sur son opportunité, dans le cadre d’une république laïque et en regard surtout du devoir de traitement équitable que l’Etat, dans ses fonctions régaliennes, se doit d’assurer à l’ensemble des communautés (religieuses, ethniques, raciales etc.) de la nation. Soupçon ou plutôt malaise aggravé par l’attitude ostensiblement ‘pro-mouride’ depuis toujours affichée par le régime de l’alternance dont les prises de position publiques en la matière du leader n’ont jamais cessé de créer des frustrations et des tensions dans le landerneau politico-médiatique.
Cependant, une analyse plus sereine et plus approfondie des soubassements réels et inexprimés de cette polémique montre que cette question n’est en réalité qu’une façade, une ‘arme’ supplémentaire dans le long combat souterrain que l’emprise progressive de la vérité du mouridisme sur la réalité spatiotemporelle n’a jamais cessé de susciter. En effet, en abordant le problème sous l’angle de l’équilibre social, la plupart des analystes se sont laissés emporter et piéger (et même obnubiler, bien que sans l’exprimer ouvertement ou même le percevoir clairement) par la peur du pouvoir mouride, son envahissement bruyant et incontrôlable du champ du réel, accéléré par les incursions politiques (les évidentes tentatives de récupération politicienne de cette décision par le régime contribuant davantage à épaissir le débat). Ceci, tout en négligeant de le poser sous des termes beaucoup plus simples et plus scientifiques, à savoir : quel est le principe fondamental à la base des jours fériés qui fait qu’une nation décide, parmi les 365 jours de l’année, d’en choisir juste quelques-uns et de les particulariser dans le ‘calendrier républicain’ ?
Une définition communément acceptée du jour férié ressemblera assez, à notre avis, à celle proposée, par exemple, dans Wikipédia qui nous apprend ‘qu’un jour férié est un jour de fête civile ou religieuse, ou commémorant un événement. ’. Le Magal commémorant le départ en exil d’une grande figure historique sénégalaise de l’envergure de Cheikh A. Bamba, qui lui a donné lui-même une signification religieuse profonde (acte de reconnaissance à Dieu), selon la perspective de l’Islam, religion à laquelle se reconnaît plus de 95 % de la nation, ne réunit-il pas ces critères aux yeux de la République ? Le terme ‘magal’, qu’il a lui-même créé (pour éviter notamment toute confusion hétérodoxe avec les fêtes traditionnelles musulmanes) ne signifie-t-il pas justement en wolof ‘commémoration’ ? L’évènement historique qu’il permet de célébrer et les dures souffrances que sa victime eut à endurer pour son peuple, avec pour seules armes contre l’oppression la piété, la foi infinie en Dieu et à Son Prophète, la dignité, l’endurance et la non-violence ne méritent-ils pas aux yeux de la République du Sénégal, au-delà de toute considération d’obédience ou de religion, nonobstant toutes les tentatives de récupération électoraliste, parmi les 365 jours de l’année civile ne serait-ce qu’un seul jour officiel de gratitude, d’adoration de Dieu, de retrouvailles des Sénégalais autour des valeurs qu’il défendait ?
Si ce n’est pas le cas, en quoi les autres jours décrétés fériés depuis plus d’un demi-siècle par cette même République (Fête du Travail, Saint Sylvestre, Pentecôte, Toussaint, Pâques, etc.), dont certains même ne sont pas célébrés par plus de 5 % de Sénégalais, rassemblent-ils plus ces critères que le départ en exil du Serviteur du Prophète ? Fêtes chrétiennes ou laïques particularisées par la République ‘laïque et équitable’ au point de faire aujourd’hui partie de l’inconscient collectif des 95 % du pays ne s’y reconnaissant pas (précisons que, n’ayant rien contre les chrétiens, le débat porte ici sur les mêmes questions de principe invoqués par les analystes) ? En d’autres mots, si c’était véritablement le souci de la juste équidistance entre les communautés religieuses du pays qu’entraînera ce jour férié de plus qui anime nos analystes, pourquoi n’avaient-ils pas antérieurement posé le débat en des termes aussi virulents et aussi critiques qu’ils s’y emploient tous depuis maintenant ? N’est-ce pas plutôt une ultime résurgence du piège de la division des musulmans à travers la trame confrérique que nous ont légué les vrais pères coloniaux de cette même République ?
Sous ce rapport, il nous paraît hautement insuffisant et de mauvaise foi d’invoquer l’argument neutralisant souvent avancé de la ‘laïcité républicaine’ à la sénégalaise, qui perpétue actuellement le statu quo politique et continue d’opposer artificiellement les communautés religieuses du pays, en diabolisant sciemment et en excluant tout choix de valeurs émanant de l’une d’entre elles, sous prétexte d’un prétendu ’équilibre confrérique’. Dans la simple mesure où cet argument promeut, en lieu et place, le choix arbitraire d’idées et de perspectives élaborées par d’autres maîtres à penser appartenant à d’autres cultures ou ‘confréries’ républicaines, athées, maçonniques ou déistes. Aussi, sous ce rapport, cette rivalité artificielle entre confréries musulmanes du Sénégal n’est, dans une certaine mesure, qu’une perpétuation de la cynique stratégie de divisions entretenue jadis par les colonisateurs français, qui y voyaient un moyen de les affaiblir toutes ensemble pour mieux les dominer, selon l’esprit de cette machiavélique prédiction de Paul Marty : ‘Où sera le mal, quand, dans un demi-siècle, les islamisés du Sénégal seront partagés en cinq ou six sectes différentes, très divisées entre elles, d’autant plus divisées que chaque secte sera un produit national, et que ces rivalités religieuses viendront se greffer sur des animosités de race ?’.
Il est bien vrai, il faut l’avouer, que cette anomalie religieuse ‘mourides contre tidianes’ n’a pu perdurer jusqu’ici, à notre avis, que grâce au piège de la rivalité entre communautés religieuses artificiellement entretenue par différents acteurs (politiques, intellectuels ou même religieux) adeptes du ‘diviser pour régner’. Rivalité artificielle, car il n’existe en réalité aucune réelle contradiction de fond justifiant cette incompatibilité dans les démarches et idées de nos valeureux penseurs qui, comble de chance, appartiennent tous à la même école malékite dont ils partagent unanimement la doctrine, qui est celle des Ahl Sunna wa Jama’a (adhérents de la tradition et du consensus des savants), tout en adhérant à une même vision tolérante et ouverte de l’Islam, contrairement aux dissensions idéologiques sanglantes divisant d’autres pays musulmans. Cette religion, qui est la nôtre, a pour vocation naturelle, il faut le savoir une fois pour toutes, d’unir le Sénégal et non de le diviser, de le faire évoluer et nullement régresser…
Si, par contre, il s’avère que ce soit les ‘pertes pour l’économie nationale’ occasionnées par ce jour férié qui sont réellement en jeu, qu’en est-il de celles entraînées par les autres jours déjà énumérés ? Pourquoi ne proposent-ils pas plutôt de diminuer ceux-là qui ne sont nullement plus légitimes ‘nationalement’ parlant que le Magal ? A contrario, pourquoi tous ces analystes font-ils mine d’ignorer l’impact positif économique réel, pourtant très facilement perceptible, même sans statistiques, du boom de la consommation entraîné par l’un des plus grands rassemblements religieux d’Afrique au point que certaines grandes entreprises de la place avouent réaliser l’essentiel de leur chiffre d’affaires annuel lors du Magal ? Si ce n’était point le cas, comment expliquer l’engouement de tous les secteurs économiques (agro-alimentaires, télécommunications, transports, finances etc.) lors de cet évènement ? Est-ce le même esprit de ‘favoritisme confrérique’ qui anime les politiciens que Orange, Tigo, Expresso, la Bicis, la Bhs, Western Union, les multinationales étrangères, les organes de presse et l’ensemble des médias, les compagnies d’eau minérale, de boissons gazeuses, les éleveurs et agriculteurs, les vendeurs ambulants, les commerçants formels et informels (cette catégorie pour laquelle la moindre occasion de foire constitue une aubaine inespérée) etc. mettent les bouchées doubles pour se positionner à Touba lors du Magal, d’une manière qu’ils ne pourraient, économiquement parlant, reconduire nulle part ailleurs au Sénégal ? Autant de questionnements qui méritent aussi bien, à notre avis, d’être abordés avec le même esprit critique par les mêmes analystes qui, assez étrangement et malgré toute leur pertinence, ne se posent jamais des questions aussi élémentaires, aveuglés en réalité par les phobies inexprimées auxquelles nous fîmes référence ou le piège des paradigmes faussés légués par leurs ‘ancêtres gaulois’…
En vérité, la perspective sous laquelle il convenait d’aborder cette problématique, assez triviale du reste n’eussent été les scories analytiques, consiste à prendre conscience du niveau croissant de réalité qu’a atteint aujourd’hui le mouridisme, quelle que soit la vision positive ou négative que l’on puisse en avoir. Ce ne sont que les lois qu’impose cette rR-éalité visible et incontournable au Sénégal auxquelles se conforment de façon pragmatique les composantes de l’économie que nous avons énumérées, dont beaucoup, détenues par des non mourides ou même par des non croyants, n’ont aucune préférence ou affinité particulière avec le mouridisme. Ni plus, ni moins. Auraient-elles la même perception ailleurs, nul doute qu’elles n’hésiteraient nullement à recentrer immédiatement leur ‘marketing’ vers cet ailleurs, sans aucun état d’âme. La plupart des politiciens qui se bousculent aujourd’hui à Touba, de même que beaucoup d’hommes d’affaires et de stars, fonctionnent à peu près selon les mêmes logiques d’intérêt et de ‘marketing politique’ conforme à la réalité du terroir, qu’ils se réclament mourides ou non. (A suivre)
Abdoul Aziz MBACKE Majalis azizmbacke@yahoo.fr