Si le réseau a été rétabli entre le président de la République et le prédécesseur de l’actuel Premier ministre, limogé début juillet dernier, suite à sa défaite aux Locales à Grand-Yoff, c’est grâce à… Me Alioune Badara Cissé et à l’affaire Hissène Habré. Récit d’un rebondissement inédit !
Coup de théâtre! Un coup de fil entre Macky Sall et Aminata Touré ! Cela s’est passé la semaine dernière, peu avant le départ du chef de l’Etat pour Dubaï pour y participer à une conférence internationale de bailleurs de fonds sur l’initiative «Investir dans l’Uemoa». L’information avait été déflorée par le quotidien « L’Enquête » qui annonçait un début de dégel des relations entre le Président de l’Alliance pour la République (Apr) et celle qui fut présentée, un moment, comme sa potentielle dauphine. Seulement, ce coup de fil entre les deux personnalités politiques cache bien des dessous. Ces « retrouvailles » entre Macky Sall et Aminata Touré ne sont pas le fruit d’une médiation menée par des tiers, ou de la volonté des deux ou l’une des parties de renouer le fil du dialogue. Bien au contraire. D’après des investigations menées par L’Observateur, le déclenchement des événements, qui ont mené à ce fameux coup de fil, s’est produit le 22 août 2014. Et il a été provoqué par l’affaire Hissène Habré. Ce jour, les avocats de l’ancien Président tchadien jugé pour crime contre l’Humanité, à Dakar, par les Chambres africaines extraordinaires (Cae), interpellent Me Alioune Badara Cissé, ancien ministre des Affaires étrangères, pour qu’il dise la vérité «devant le peuple sénégalais, devant l’Afrique, devant l’Histoire et devant Dieu» sur le document confectionné par Aminata Touré, ancien ministre de la Justice, ayant servi à la signature, le 22 août 2012, d’un accord portant création des Chambres africaines extraordinaires entre le Sénégal et l’Union africaine pour juger leur client.
L’interpellation est directe. D’abord, Me El Hadj Diouf et son collègue Me Ibrahima Diawara demandent à Me Alioune Badara Cissé, «ministre des Affaires étrangères qu’il a été, s’il a eu une délégation de pouvoirs du président de la République pour agir et signer l’accord de création des Chambres Africaines». Ensuite, enchaînent-ils : «Le jour de la signature de cet accord entre le Sénégal et l’Union africaine, était-il à Dakar ?» Enfin, «Mme la ministre Aminata Touré a présenté et fait usage d’un document lui conférant les pleins pouvoirs pour signer l’accord, devant la cour de justice de la Cedeao et a posé des actes d’une gravité extrême. Monsieur le ministre, avez-vous signé ce document ? Ou bien ce document est un faux ?»
Avant même que Me Alioune Badara Cissé ne réponde à ces interrogations, les avocats de Habré embraient et révèlent «disposer de nombreux éléments, aujourd’hui, attestant que Aminata Touré n’avait aucune compétence pour signer un tel acte, son forcing par la fabrication et l’usage d’un faux dans le cadre d’une procédure judiciaire apporte la preuve de la nullité de l’accord portant création des Cae». Et que cette nullité ne devrait être sans conséquence. Selon eux, elle «devrait avoir pour conséquence la nullité de toute la procédure engagée contre le Président Hissène Habré et qui lui a valu de perdre sa liberté depuis plus d’un an».
Mankeur Ndiaye livre à Mimi Touré les armes pour descendre Me Alioune Badara Cissé
Trois jours après cette interpellation, le 25 août 2014, l’avocat et ancien ministre des Affaires étrangères réplique en rendant public un communiqué dans lequel il «rappelle à ses valeureux confrères qu’il ne doit rendre compte qu’à celui d’ordre et pour le compte de qui (le Président Macky Sall: Ndlr), de par sa volonté exprimée, il a eu le privilège de servir (le Sénégal) à ce niveau de responsabilité qu’il a assumée avec toute la conscience qui sied pour ce poste de souveraineté (Ndlr : ministre des Affaires étrangères).» Maître Alioune Badara Cissé ajoute «n’évoquer aucun événement relatif à son passage au ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur que si, comparaissant devant un juge ou une commission d’enquête parlementaire ou à tout le moins, levé par le président de la République, de toute obligation de réserve ou de préservation d’informations secrètes et confidentielles dont il n’aurait jamais eu connaissance n’eussent été les fonctions à lui confiées.»
Seulement, l’ancien candidat malheureux à la mairie de Saint-Louis «s’offre (une) entorse à sa position de principe aux seules fins d’apaiser famille et alliés dont le traumatisme est encore violent suite à son départ précipité du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur et des raisons infamantes et mensongères relatées par une certaine presse à l’appui de celui-ci alors qu’il n’avait cœur qu’à servir et n’y a servi qu’en son honneur et conscience». Et c’est pour «préciser (…) qu’il n’a pris part à aucune réunion au Sénégal ou à l’étranger ni signé ou paraphé un acte constitutif des Chambres africaines extraordinaires en dépit de sa présence à Dakar le jour de la signature de l’acte dont il s’agit.»
Il relève des informations confiées par des membres très influents du cabinet présidentiel que ces affirmations de l’ancien ministre, qui confortent explicitement l’accusation de faux des avocats de Habré, ont fait bondir le Président Macky Sall. Car des documents existent attestant de la fausseté des déclarations de Me Alioune Badara Cissé. Alors, pour confondre ce dernier, le Président Macky Sall appelle le même jour le remplaçant de Me Alioune Badara Cissé aux Affaires étrangères, et l’instruit de remettre les fameux documents à l’ancien Premier ministre pour sa défense. Mankeur Ndiaye s’exécute immédiatement : il joint Aminata Touré à qui il fait parvenir le paquet. L’opération est déclenchée. L’ancien Premier ministre rend public un communiqué dans lequel il dézingue Me Alioune Badara Cissé. Elle y indique avoir reçu les pleins pouvoirs de ce dernier, alors ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur d’alors. Laquelle délégation de pouvoir est contenue dans un document authentique en date du 22 août 2012, présenté à la Commission des Lois de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi portant ratification de l’accord entre l’Union africaine (Ua) et l’Etat du Sénégal et le Statut des Chambres africaines extraordinaires.
Ce que Macky et Mimi se sont dits
Pour prouver la véracité de ses écrits, Aminata Touré fait scanner la procuration de Abc. Sur le papier, il est écrit : «Nous, Me Alioune Badara Cissé, ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, donnons, par les présentes, à Madame Aminata Touré, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, les pleins pouvoirs, à l’effet de signer, au nom de la République du Sénégal, les instruments ci-après : l’accord entre l’Union africaine et le gouvernement du Sénégal sur la création des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises ; le statut des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. Fait à Dakar le 22 août 2012.»
Me Alioune Badara Cissé est Ko. Quelques jours après l’offensive de Mimi Touré, pour la première fois depuis leur séparation brutale du 4 juillet 2014, Macky Sall et Mimi s’entretiennent au téléphone. Un échange émaillé de franches rigolades au cours duquel ils ont parlé de politique intérieure, du virus Ebola et de l’actualité internationale. Depuis lors, plus rien…
L'Observateur