lL ne se passe rien à Podor et c’est pour ça qu’il faut y aller : rien qu’y admirer le fleuve Sénégal vaut son pesant de noix de kola. Accéder à la beauté de cet extrême nord est simple : comptez sept heures de voiture depuis Dakar (500 km), par une route impeccable mais garnie de ralentisseurs. Il fut un temps, le Sénégal produisait des arachides. Aujourd’hui, il cultive des gendarmes couchés, mais ça rapporte peanuts, contrairement aux cacahuètes.
1/ Ce n’est pas Las Vegas
«Podor, tu dors ?» se demande-t-on, vu le calme ambiant dans la ville de 10 000 habitants. «Non ! A Podor, on dore et on adore !» nous glisse un familier des lieux. Le long du quai, bien refait et classé monument historique en 2004, comme quelques-unes des maisons de cet ancien comptoir colonial, on admire les merles à dos métallique et à courte queue, on déguste le capitaine ou le rouget du fleuve, tout en taquinant la Gazelle, la bière en bouteilles de 63 cl. Puis on saute à l’eau et une flopée de gamins taquins et rigolards proposent de faire «course course». Gaffe : ils sont rapides. En fin de journée, on attaque une pétanque sur le quai, au frais - un concept tout relatif dans une ville où le mercure drague facilement les 40°C.
Ici, vous ne pouvez pas vous perdre, les rues sont impeccablement tracées au cordeau. Et vous avez deux muezzins pour le prix d’un : celui du chef-lieu du département sénégalais et son collègue mauritanien, sur l’autre rive du fleuve. Alors que le duo international vous nourrit d’Allah akbar en stéréo, votre attention est attirée par un camion garé d’où l’on décharge de gros sacs immédiatement transférés sur des pirogues, qui les transportent côté mauritanien, où ils repartent sur des camionnettes chargées à bloc. Vous vous enquérez : «Mais qu’est-ce donc ?» «Du carton !» vous répond-on. On se paye votre tête ? Que nenni : ce carton d’emballage récupéré va nourrir les moutons mauritaniens. Bon appétit !
2/ Le village de Ngawlé
C’est le lieu de naissance du chanteur Baaba Maal, qu’on atteint après une balade facile à pied le long de la boucle du fleuve, où les jardins potagers prospèrent : persil, mangues, salades, oignons, poivrons, piments, bananes, papayes… Sur le chemin, une petite plage permet de se baigner. Des gamins font du thé, la motopompe tire l’eau du fleuve pour l’irrigation en pétaradant. On passe près de l’aéroport - immense et délaissé -, près de champs d’oignons qui se vendent mal, car il s’en produit trop, et les paysans n’ont que leurs yeux pour pleurer. Le sentier est balisé par l’association Podor rive gauche, mais il vaut mieux prendre un guide. De Podor, il y en a pour neuf kilomètres et deux heures.
A Ngawlé, on apprécie les maisons en adobe ou briques de banco, dont le style traditionnel est malheureusement concurrencé par de nouvelles habitations en parpaings. A l’heure de la récré, on peut discuter avec les enseignants de l’école primaire, qui reçoivent fort aimablement pour deviser sur les richesses de l’éducation en pays pauvre. Ensuite, retour en charrette.
3/ Fort à faire
Comme le fort de Podor est fermé, il faut téléphoner au gardien pour le visiter. Construit par les Français en 1743, pris par les Anglais entre 1758 et 1783, abandonné, reconstruit en 1854 sur les ordres du général Faidherbe, il domine la ville, seul monument d’importance. Le chevalier de Boufflers, qui y a séjourné, a gardé de la ville un merveilleux souvenir, la comparant en 1785 au «poêle de l’Afrique, avec sa garnison composée de 20 soldats agonisants… Et ces magasins où il n’y a presque rien». Selon le chevalier, le thermomètre explosait à midi. Un rien exagéré.
Vide d’occupants depuis 1997, le fort n’a été préservé puis restauré entre 2003 et 2005 par la coopération française que grâce à l’action têtue de deux habitants, dont le gardien actuel, qui vous guidera utilement à travers une petite expo et la reconstitution des lieux d’époque.
4/ Le circuit des mosquées, vers l’île à Morphil
Il s’effectue agréablement sur des pistes en latérite perchées sur des digues, à bord d’une 505 break baptisée «Air Podor». Elle a 33 ans, soit deux de moins que son chauffeur, Malik, et roule impeccablement sur les traces d’El Hadj Oumar Tall (1794-1864), le chef guerrier qui combattit Faidherbe, et inversement. Oumar Tall fonda l’immense Empire toucouleur et résista face à la colonisation. «Il se tailla, par le verbe et le sabre, un empire qui s’étendit de Tombouctou au Fouta Djalon [ex-Guinée, ndlr], avant de disparaître un jour de février 1864 dans le mystère des falaises de Deguembéré», près de Bandiagara (Mali), dit la légende - en fait, il serait mort dans l’explosion de ses réserves de poudre. On peut, suivant cette balade, retrouver les traces des «mosquées omariennes», comme celle d’Alwar, son village natal, en briques de terre séchée, de style soudanais. Elle n’a néanmoins pas été bâtie par Oumar Tall, ce serait trop simple.
5/ Le studio photo d’Oumar Ly
Le photographe reçoit au Thiofy Studio, à l’écart du marché de Podor, sur un petit banc. A l’intérieur, son studio, où il prend les gens en photo avec, en décor de fond, un magnifique Boeing 747. Oumar Ly, 72 ans, est un fils de marabout au regard malin. «Mon père était grand jardinier, je vendais les salades au marché.» Tout jeune, il achète son premier Kodak à la Maurel et Prom et ouvre son studio en 1963, faisant l’opérateur ambulant : baptêmes, mariages et photos d’identité, pour lesquels il parcourt les villages avec les autorités. «Je faisais les deux rives, Mauritanie et Sénégal. Quand un Maure refusait d’être photographié, je lui disais : "Si tu ne prends pas de photo, tu n’iras jamais à La Mecque, car tu n’auras pas de carte d’identité."» La combine marchait. Oumar Ly a pris tout le monde. «J’ai gardé tous les négatifs.»
En 2009, l’homme au Rolleiflex 6x6 devient célèbre, un des rois du portrait africain, à l’instar de Malick Sidibé, notamment grâce à une journaliste française, Frédérique Chapuis. Alors qu’il recadrait les visages, elle a imprimé les photos en entier et ça a fait la différence. «Frédérique a un seul défaut : elle ne m’appelle pas», tance Oumar Ly, qui a un petit problème : il a fort besoin de révélateur Ilford. La solution ? Lui en envoyer : Oumar Ly, quartier Thiofy, Podor, Sénégal. Ça arrivera, merci pour lui.
Michel Henry Envoyé spécial à Podor (Sénégal)
Liberation.fr
1/ Ce n’est pas Las Vegas
«Podor, tu dors ?» se demande-t-on, vu le calme ambiant dans la ville de 10 000 habitants. «Non ! A Podor, on dore et on adore !» nous glisse un familier des lieux. Le long du quai, bien refait et classé monument historique en 2004, comme quelques-unes des maisons de cet ancien comptoir colonial, on admire les merles à dos métallique et à courte queue, on déguste le capitaine ou le rouget du fleuve, tout en taquinant la Gazelle, la bière en bouteilles de 63 cl. Puis on saute à l’eau et une flopée de gamins taquins et rigolards proposent de faire «course course». Gaffe : ils sont rapides. En fin de journée, on attaque une pétanque sur le quai, au frais - un concept tout relatif dans une ville où le mercure drague facilement les 40°C.
Ici, vous ne pouvez pas vous perdre, les rues sont impeccablement tracées au cordeau. Et vous avez deux muezzins pour le prix d’un : celui du chef-lieu du département sénégalais et son collègue mauritanien, sur l’autre rive du fleuve. Alors que le duo international vous nourrit d’Allah akbar en stéréo, votre attention est attirée par un camion garé d’où l’on décharge de gros sacs immédiatement transférés sur des pirogues, qui les transportent côté mauritanien, où ils repartent sur des camionnettes chargées à bloc. Vous vous enquérez : «Mais qu’est-ce donc ?» «Du carton !» vous répond-on. On se paye votre tête ? Que nenni : ce carton d’emballage récupéré va nourrir les moutons mauritaniens. Bon appétit !
2/ Le village de Ngawlé
C’est le lieu de naissance du chanteur Baaba Maal, qu’on atteint après une balade facile à pied le long de la boucle du fleuve, où les jardins potagers prospèrent : persil, mangues, salades, oignons, poivrons, piments, bananes, papayes… Sur le chemin, une petite plage permet de se baigner. Des gamins font du thé, la motopompe tire l’eau du fleuve pour l’irrigation en pétaradant. On passe près de l’aéroport - immense et délaissé -, près de champs d’oignons qui se vendent mal, car il s’en produit trop, et les paysans n’ont que leurs yeux pour pleurer. Le sentier est balisé par l’association Podor rive gauche, mais il vaut mieux prendre un guide. De Podor, il y en a pour neuf kilomètres et deux heures.
A Ngawlé, on apprécie les maisons en adobe ou briques de banco, dont le style traditionnel est malheureusement concurrencé par de nouvelles habitations en parpaings. A l’heure de la récré, on peut discuter avec les enseignants de l’école primaire, qui reçoivent fort aimablement pour deviser sur les richesses de l’éducation en pays pauvre. Ensuite, retour en charrette.
3/ Fort à faire
Comme le fort de Podor est fermé, il faut téléphoner au gardien pour le visiter. Construit par les Français en 1743, pris par les Anglais entre 1758 et 1783, abandonné, reconstruit en 1854 sur les ordres du général Faidherbe, il domine la ville, seul monument d’importance. Le chevalier de Boufflers, qui y a séjourné, a gardé de la ville un merveilleux souvenir, la comparant en 1785 au «poêle de l’Afrique, avec sa garnison composée de 20 soldats agonisants… Et ces magasins où il n’y a presque rien». Selon le chevalier, le thermomètre explosait à midi. Un rien exagéré.
Vide d’occupants depuis 1997, le fort n’a été préservé puis restauré entre 2003 et 2005 par la coopération française que grâce à l’action têtue de deux habitants, dont le gardien actuel, qui vous guidera utilement à travers une petite expo et la reconstitution des lieux d’époque.
4/ Le circuit des mosquées, vers l’île à Morphil
Il s’effectue agréablement sur des pistes en latérite perchées sur des digues, à bord d’une 505 break baptisée «Air Podor». Elle a 33 ans, soit deux de moins que son chauffeur, Malik, et roule impeccablement sur les traces d’El Hadj Oumar Tall (1794-1864), le chef guerrier qui combattit Faidherbe, et inversement. Oumar Tall fonda l’immense Empire toucouleur et résista face à la colonisation. «Il se tailla, par le verbe et le sabre, un empire qui s’étendit de Tombouctou au Fouta Djalon [ex-Guinée, ndlr], avant de disparaître un jour de février 1864 dans le mystère des falaises de Deguembéré», près de Bandiagara (Mali), dit la légende - en fait, il serait mort dans l’explosion de ses réserves de poudre. On peut, suivant cette balade, retrouver les traces des «mosquées omariennes», comme celle d’Alwar, son village natal, en briques de terre séchée, de style soudanais. Elle n’a néanmoins pas été bâtie par Oumar Tall, ce serait trop simple.
5/ Le studio photo d’Oumar Ly
Le photographe reçoit au Thiofy Studio, à l’écart du marché de Podor, sur un petit banc. A l’intérieur, son studio, où il prend les gens en photo avec, en décor de fond, un magnifique Boeing 747. Oumar Ly, 72 ans, est un fils de marabout au regard malin. «Mon père était grand jardinier, je vendais les salades au marché.» Tout jeune, il achète son premier Kodak à la Maurel et Prom et ouvre son studio en 1963, faisant l’opérateur ambulant : baptêmes, mariages et photos d’identité, pour lesquels il parcourt les villages avec les autorités. «Je faisais les deux rives, Mauritanie et Sénégal. Quand un Maure refusait d’être photographié, je lui disais : "Si tu ne prends pas de photo, tu n’iras jamais à La Mecque, car tu n’auras pas de carte d’identité."» La combine marchait. Oumar Ly a pris tout le monde. «J’ai gardé tous les négatifs.»
En 2009, l’homme au Rolleiflex 6x6 devient célèbre, un des rois du portrait africain, à l’instar de Malick Sidibé, notamment grâce à une journaliste française, Frédérique Chapuis. Alors qu’il recadrait les visages, elle a imprimé les photos en entier et ça a fait la différence. «Frédérique a un seul défaut : elle ne m’appelle pas», tance Oumar Ly, qui a un petit problème : il a fort besoin de révélateur Ilford. La solution ? Lui en envoyer : Oumar Ly, quartier Thiofy, Podor, Sénégal. Ça arrivera, merci pour lui.
Michel Henry Envoyé spécial à Podor (Sénégal)
Liberation.fr