Agence nationale de la conférence islamique : Tunnel de la «mal gouvernance financière»
Il était attendu. Le rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) sur le fonctionnement de l’Agence nationale de la conférence islamique (Anoci) est noir d’exemples «de mal gouvernance». Cet audit, qui couvre toute la période d’existence de l’Anoci (de sa création en 2004 jusqu’à sa dissolution en 2009), dirigée par Karim Wade, emprisonné depuis plus d’un an pour le délit présumé d’enrichissement illicite, a dévoilé plusieurs «anomalies» dans l’exécution des états financiers. Le rapport cite l’achat d’un luminaire à 8 millions 782 mille 610 Francs Cfa ainsi que deux appareils photos Canon et de trois objectifs pour un montant de 26 millions 103 mille 610 francs Cfa.
Le rapport s’est également penché sur l’utilisation «autorisée» par le Conseil de surveillance des cartes bancaires pour le président du Conseil de surveillance dirigé par Karim Wade et le directeur exécutif, Abdoulaye Baldé, mis aussi en demeure par la procureur spécial de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). En détails, l’Ige a constaté que le fils de l’ex-chef de l’Etat a utilisé à outrance sa carte bancaire : du 22 août 2005 au 28 août 2007, il l’a utilisée pour honorer un montant total de dépenses de 275 millions 808 mille 568 francs Cfa. Alors que Baldé n’en a jamais fait usage durant l’exercice de ses fonctions.
Par ailleurs, le bateau Musica, qui a charrié un une vague de polémiques, maintient l’Anoci dans les eaux troubles. D’après l’Ige, ce bateau-hôtel a été loué pour un montant de 1 milliard 771 millions 200 mille francs Cfa payé par… la direction générale du Port autonome de Dakar sans l’autorisation de son Conseil d’administration. Pis, il est reparti au bout de trois jours alors qu’il était pour 7 journées. Quid de la rénovation de l’hôtel King Fahd Palace ? L’Ige met en gras les violations du Code des marchés notamment «le défaut de mise en œuvre de concurrence» dans le relooking de l’ex-Méridien Président sur financement de l’Arabie Saoudite pour un montant total de plus de 5, 353 milliards de francs Cfa.
Karim, prince dépensier
Dans la même veine, l’audit a aussi montré que la plupart des investissements prévus pour cette manifestation n’ont pas été réalisés. Il cite l’exemple des infrastructures hôtelières et la construction des villas présidentielles prévue et budgétisée. Si le projet routier de l’Anoci a contribué, dit l’Ige, à améliorer la mobilité urbaine dans l’agglomération dakaroise, sa réalisation a occasionné de nombreux manquements comme l’absence fréquente d’avant-projet. Laquelle a «conduit assez souvent à des modifications qui ont renchéri le coût des ouvrages». Sans oublier des insuffisances dans l’élaboration des dossiers d’appels d’offres et dans la conduite des étapes techniques de mise en œuvre comme l’exécution, le contrôle-qualité et les essais divers. En d’autres termes, les imperfections notées, estime l’Ige, dans les études techniques préalables, ont abouti à des défauts d’exécution majeurs et à de nombreuses modifications débouchant sur des avenants et marchés complémentaires. «Toutes ces limites ont engendré, au regard de la qualité et des coûts des infrastructures réalisées, un véritable problème d’efficience. L’audit technique actuellement en cours pourrait permettre d’approfondir la question», avance l’Ige.
En définitive, les auditeurs ont relevé des manquements dans les opérations de clôture des activités de l’Anoci. Ils estiment que les décrets portant dissolution et fixant les modalités de transfert du patrimoine de l’agence au ministère des Infrastructures, dirigé ensuite par Karim Wade, ont mis en place un comité composé quasiment des membres du personnel de celle-ci en «violation des dispositions législatives et réglementaires qui prévoient la nomination d’un liquidateur». A quelle fin ?
Gestion du Fesman : Festival de milliards dilapidés
Il faut scruter sa silhouette dans les rallyes. Perdue de vue au Sénégal depuis la chute du régime libéral, Sindiély Wade a été rattrapée par la patrouille. La troisième édition du Festival mondial des arts nègres, tenue en décembre 2010, a drainé dans la capitale sénégalaise, une bonne brochette de stars internationales mais a plongé les finances nationales dans un état peu reluisant. La vérification administrative du Fesman a mis en lumière de «nombreuses irrégularités et des pratiques se situant aux antipodes des lois et règlements ainsi que de la bonne gouvernance». Comme l’avait suggéré le précédent rapport de l’Ige. En menant des investigations supplémentaires, ces irrégularités et pratiques ont été davantage certifiées dans la gestion du Festival drivé à l’époque par Aziz Sow et la fille de l’ex-Président Wade. Relativement à l’exécution financière et comptable, il a été noté, dit l’Ige, que des intervenants ont réalisé des recettes et des dépenses sans aucune habilitation à cet effet. Les fonctions d’ordonnateur et de comptable, ajoute-t-elle, ont été souvent cumulées en violation des dispositions légales. Cas illustratif : l’Ige épingle des pratiques inédites et malsaines du ministère de l’Economie et des finances qui a constitué un simple particulier comptable public de fait. Il était chargé de manipuler des deniers publics mis à sa disposition par une banque privée dans le cadre d’un prêt consenti au Fesman d’un montant de 15 milliards.
Dans son rapport, l’Inspection générale d’Etat estime que le président de la République d’alors (Me Wade) est apparu comme un acteur principal du Fesman en «choisissant des entreprises devant effectuer de travaux, tout comme en se constituant ordonnateur et exécutant de dépenses, même étrangères à cette manifestation» pour un montant total de plus de 6, 425 milliards de francs Cfa. En plus, la contribution d’un pays ami du Sénégal d’un milliard lui a été remise par un plénipotentiaire de ce pays. Or, note l’Ige, aucune trace de cette somme n’a été trouvée dans les comptes du Fesman. «Dès lors, se pose la question de la transparence dans l’utilisation de l’argent reçu», regrettent les inspecteurs généraux.
Me Wade a été, bien sûr, le véritable acteur du Fesman. Dans le cadre de la réalisation de deux sites d’hébergement des festivaliers, l’ex-chef de l’Etat a «acquis à titre personnel» à partir des ressources publiques un terrain à Ngor d’une superficie de 5 433 m² pour un montant d’un peu plus d’un milliard. «Cette transaction a également été marquée par des irrégularités fiscales, les droits d’enregistrement, la taxe sur la plus-value immobilière et les pénalités pour dépôt n’ayant pas été acquittées pour des montants respectifs de 177 307 449 F Cfa, 174 372 549 F Cfa et 94 621 721 F Cfa», détaillent les auditeurs. Il faut ajouter à ces exemples, des transactions suspectes opérées dans le cadre de la réalisation des sites d’hébergement des festivaliers. Le montant global des surfacturations estimé, évalue l’Ige à plus de 5, 460 milliards de F Cfa.
Marqué «globalement par une absence de démarche planifiée» et des improvisations et un pilotage à vue et la mal gouvernance, le Fesman a finalement coûté plus de 80 milliards. Alors que les prévisions initiales étaient de 5 milliards. Sans compter les sommes dues à «divers créanciers» estimées à plus de 1,768 milliard.
Pour l’Ige, une certaine opacité, voulue et entretenue, dans les transactions financières du Fesman, fait naître de fortes présomptions de fraude, de corruption et de blanchiment d’argent. Car, elle a constaté que de nombreux paiements ont été effectués par des remises directes d’espèces pour des montants particulièrement élevés en violation du règlement général de la comptabilité publique. L’Ige est formelle : «Des pratiques opaques, en marge de la réglementation financière et contraires à toute logique d’efficacité, ont été aussi initiées. Des dérives ont été également constatées dans le recours abusif aux décrets d’avance pour financer le Fesman. S’y ajoute le gaspillage des ressources publiques engagées dans des opérations exécutées, au surplus, dans l’illégalité manifeste. Enfin, toutes les transactions faites dans le cadre du Fesman ont été marquées par une violation manifeste du Code des marchés publics, aucune mise en concurrence n’ayant été organisée.»
Secteur énergétique : Gestion sous haute tension
La période va de pair avec les délestages. En cette période de chaleur, les coupures de courant ont repris à un rythme qui fait craindre le pire. Cela repose évidemment la question de la gestion de l’électricité. Dans son rapport, l’Inspection générale d’Etat a fouillé dans ce secteur qui vit depuis plusieurs décennies une crise profonde qui affecte gravement l’Economie nationale. Alors qu’elle a «fortement contribué à remettre en cause la compétitivité».
En réalité, elle grève «durablement» les finances publiques à cause des subventions consenties sur le prix de l’électricité et la politique de soutien à la Senelec. En fouillant ce secteur, l’Ige rappelle que le Plan takkal, adapté sur la période 2011-2015, a englouti 1 900 milliards de F Cfa. La mise en œuvre prévoyait son financement par le Fonds de soutien au secteur de l’énergie (Fse) pour canaliser le soutien de l’Etat au sous-secteur de l’énergie.
1 900 milliards dans le Plan Takkal
Malgré cela, plusieurs dysfonctionnements, comme la faiblesse de la capacité de la production de la Senelec et la vétusté de son infrastructure technique continuent de plomber ce secteur. Il faut y ajouter la forte dépendance au pétrole dont le «niveau élevé des prix et les fluctuations exercent une pression insupportable sur l’exploitation». Le système de «sécurisation de l’approvisionnement en combustible» provoque une «situation de monopole de la Sar» qui détient l’exclusivité de la fourniture de combustible à la Senelec. Cette situation, juge l’Ige, expose les deux sociétés au risque permanent lié au transfert de difficultés financières de l’une sur l’autre.
Aujourd’hui, le succès du Fse est la sécurisation de l’approvisionnement en combustible avec la baisse des «délestages intempestifs dus à des problèmes de disponibilité du combustible». La réussite de l’action du Fse, ajoute l’Ige, s’est traduite par la garantie financière qu’il a apportée à la Senelec auprès des banques et à la Sar. Cela a permis à la Société nationale d’exploitation de l’électricité de «soigner» son déficit d’exploitation qui est passé de 55 à 5 milliards entre 2010 et 2011.
Au-delà de cette embellie, il reste d’autres véritables questions liées à la gestion du secteur de l’énergie. Entre les objectifs atteints et les moyens engagés, on peut relativiser ces succès. «La question se pose quand on fait le bilan du Fse de savoir si les 900 milliards de F Cfa injectés dans le sous-secteur de l’électricité, entre 2011 et 2013, ont entraîné des mutations réellement positives sur le plan structurel et durable», s’interroge l’Ige. Sans doute non. Dans son rapport, l’Ige étale des raisons valables pour relativiser les succès engendrés. Car, entre 2011 et 2012, 120 milliards en combustible et 30 milliards pour la location de groupes électrogènes ont été dépensés au «détriment des investissements structurels attendus».
La recherche de moyens financiers du Fse a provoqué une véritable «inflation fiscale» avec la création «effrénée de taxes parafiscales». En effet, la Contribution au développement du service universel des télécommunications et du secteur de l’énergie (Codete), le Prélèvement au titre du Cosec, la Taxe de développement du secteur de l’énergie (Tde) et la Contribution au développement sdu secteur de l’énregie (Cdse) ont été mis en place pour alimenter le Fse. Ces taxes ont, dévoile l’Ige, peu après, fait l’objet d’une kyrielle de décrets et d’arrêtés d’élargissement d’assiette et de relèvement de taux, qui ensuite ont été sans application pour certains, modifiés ou simplement abrogés pour d’autres.
815 millions de commissions à la Banque atlantique et Black Pearl Finance
La gestion des moyens mis à sa disposition n’a pas été catholique. En 2011, rappelle l’Ige, le fonds a emprunté auprès de la Banque atlantique 34 milliards qu’il a rétrocédé à la Senelec aux conditions de l’emprunt pour lui permettre d’épurer ses arriérés vis-à-vis de la Sar et Itoc. En plus des «frais de commission» de 815 millions ont été prélevés au bénéfice de la banque et du «conseiller et lead-arrangeur Black Pearl Finance (Ndlr : cette société a été versée dans le patrimoine de Karim par le Procureur spécial près la Crei) dans des «conditions qui fondent une présomption de collusion d’intérêts d’autant que le commissaire aux comptes du Fse conteste le bien-fondé de ces frais et commissions en estimant que l’intervention d’un conseiller financier n’était pas nécessaire dans l’opération».
Par ailleurs, d’importantes ressources «financières ont été mobilisées» sur les marchés internationaux en 2009 et 2011 à la faveur d’émissions obligataires d’euro bonds. Il faut savoir qu’une partie de cet argent était destinée à l’acquisition d’une centrale Pps de 70 MW à 17 milliards. Finalement, ce projet a été abandonné.
Sur le plan du management, le Conseil d’administration et l’administrateur général du Fse se «sont arrogé des libertés en matière de fixation des indemnités au point de créer les conditions d’un cumul indu de rémunérations au profit de l’Agent comptable».
Maison du Sénégal à New York : Une surfacturation de plus de 1,888 milliard F Cfa
La Maison du Sénégal à New York, comprenant l’acquisition du terrain et l’édification d’un immeuble de 8 étages à usage multiple, est bâtie sur la «surfacturation et le non-respect des règles de contractualisation». Dans son rapport, l’Ige a noté un surenchérissement du coût d’acquisition de l’immeuble de plus de 1,888 milliard de francs Cfa. En détails, l’audit montre que le coût d’acquisition de la propriété, qui avait été négocié, est passé de 26 650 000 à 30 386 698 dollars. Elle a aussi mis l’accent sur le coût exorbitant des frais architecturaux évalués à 5 millions de dollars dont 2,5 millions payés à titre d’avance.
Dans leurs investigations, les auditeurs se sont rendu compte qu’il n’existe pas dans tout l’Etat de New York, un immeuble dont le coût de l’esquisse architecturale dépasse 6 dollars par pied carré. «L’architecte dont la signature est l’une des plus recherchées de la ville de New York applique ce taux», dit l’Ige. En se fiant à cela, elle juge que les frais auraient dû être de 500 mille dollars au lieu de 2 millions 50 mille dollars. Il en résulte, soutient le rapport, une surestimation d’au moins 1,550 million dollars.
Il faut rappeler que le Sénégal avait décidé d’acquérir en 2009, un terrain dans cette ville américaine d’une superficie de 630 m² (équivalent de 6781 pieds carrés). Jusqu’en 2011, les locaux qui abritaient la Chancellerie du Sénégal à New York, avant son déménagement dans un local loué à 5 millions de F Cfa par mois et la villa qui servait de résidence à l’ambassadeur, n’étaient pas jugés «dignes du Sénégal». Notre pays avait décidé d’acquérir un immeuble situé aux alentours du siège des Nations-Unies.
La Maison du Sénégal à New York, comprenant l’acquisition du terrain et l’édification d’un immeuble de 8 étages à usage multiple, est bâtie sur la «surfacturation et le non-respect des règles de contractualisation». Dans son rapport, l’Ige a noté un surenchérissement du coût d’acquisition de l’immeuble de plus de 1,888 milliard de francs Cfa. En détails, l’audit montre que le coût d’acquisition de la propriété, qui avait été négocié, est passé de 26 650 000 à 30 386 698 dollars. Elle a aussi mis l’accent sur le coût exorbitant des frais architecturaux évalués à 5 millions de dollars dont 2,5 millions payés à titre d’avance.
Dans leurs investigations, les auditeurs se sont rendu compte qu’il n’existe pas dans tout l’Etat de New York, un immeuble dont le coût de l’esquisse architecturale dépasse 6 dollars par pied carré. «L’architecte dont la signature est l’une des plus recherchées de la ville de New York applique ce taux», dit l’Ige. En se fiant à cela, elle juge que les frais auraient dû être de 500 mille dollars au lieu de 2 millions 50 mille dollars. Il en résulte, soutient le rapport, une surestimation d’au moins 1,550 million dollars.
Il faut rappeler que le Sénégal avait décidé d’acquérir en 2009, un terrain dans cette ville américaine d’une superficie de 630 m² (équivalent de 6781 pieds carrés). Jusqu’en 2011, les locaux qui abritaient la Chancellerie du Sénégal à New York, avant son déménagement dans un local loué à 5 millions de F Cfa par mois et la villa qui servait de résidence à l’ambassadeur, n’étaient pas jugés «dignes du Sénégal». Notre pays avait décidé d’acquérir un immeuble situé aux alentours du siège des Nations-Unies.
Le Quotidien