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Le désert de Lompoul sacrifié à l'autel du Zircon

Jeudi 20 Février 2025

L'exploitation intensive par Grande Côte Opération anéantit une économie locale florissante et un patrimoine culturel inestimable. Pendant ce temps, l'État sénégalais, actionnaire à 10%, n'a toujours pas perçu le moindre dividende en dix ans


Dans le nord-ouest du Sénégal, entre Dakar et Saint-Louis, s'étend le désert de Lompoul. Jadis havre de paix aux dunes dorées caressées par la brise marine, cette merveille naturelle unique en Afrique occidentale se métamorphose aujourd'hui sous l'effet d'une exploitation minière intensive. Derrière les sourires des touristes glissant sur les pentes ensablées se cache une réalité bien plus sombre.

Grande Côte Opération (GCO), filiale détenue à 90% par le groupe français Eramet et à 10% par l'État sénégalais, a étendu son emprise sur le désert de Lompoul avec le projet "Lompoul Crossing". Après avoir exploité pendant des années le zircon à Diogo dans la région de Thiès, l'entreprise a jeté son dévolu sur ce joyau naturel pour un projet quinquennal aux conséquences dévastatrices.

Les chiffres donnent le vertige : les dragues flottantes de GCO aspirent jusqu'à 7000 tonnes de sable minéralisé par heure. En 2021, l'entreprise a valorisé plus de 804 000 tonnes de concentré pour un chiffre d'affaires de 140 milliards de francs CFA (environ 24 millions d'euros). En 2023, avec un chiffre d'affaires équivalent, GCO a dégagé 21 milliards de francs CFA de bénéfice.

Le Sénégal, cinquième producteur mondial de zircon, a vu GCO devenir le quatrième producteur mondial en seulement une décennie. Ce minerai aux propriétés anti-abrasives et à la brillance comparable au diamant est principalement destiné au marché de la construction (peinture, carrelage, céramique) et à la joaillerie, où on le retrouve sous forme de dioxyde de zirconium.

Malgré dix années d'exploitation fructueuse et une participation de 10% dans l'entreprise, l'État sénégalais n'a jamais perçu le moindre dividende. Cette situation s'explique par un montage financier particulièrement controversé : au lieu d'investir en fonds propres, GCO a mis en place une structure avec seulement 10 millions de capital pour 495 milliards de dettes.

"Les entreprises minières en général procèdent ainsi, mais dans le cas de GCO, cela doit particulièrement attirer notre attention. Depuis 2017, GCO réalise environ 29 milliards de résultats nets. Ce montage permet en réalité une distribution anticipée des dividendes", explique un expert financier.

Plus troublant encore, selon les investigations menées, GCO vendrait son zircon à une autre filiale d'Eramet à un prix trois fois inférieur à celui du marché. Cette pratique maximiserait les profits du groupe français tout en réduisant drastiquement les revenus du Sénégal. "À part la redevance versée à l'État, il n'y a absolument rien qui revient au Sénégal", déplore un responsable local.

Face à ces irrégularités présumées, la Sonatrach (Société nationale de recherches et d'exploitations minières) a décidé de lancer un audit financier de toutes les sociétés minières du pays, dont GCO.

L'exploitation du zircon ne détruit pas seulement l'environnement ; elle arrache aussi des communautés entières à leurs terres ancestrales. Des témoignages accablants font état de délogements nocturnes de familles.

"Ils se sont rendus sur un village qui appartient à la commune de Diokoul avec des autorités administratives pour déloger une famille en pleine nuit, la reloger en location à Lompoul-sur-Mer, laissant derrière elle leur bétail, leurs traditions, leurs bagages, leurs champs, tout", dénonce le maire de Lompoul.

Interrogé sur ces pratiques, un représentant de GCO évoque un décalage entre le rythme d'exploitation et la construction des logements de remplacement : "Le rythme de progression des activités minières ne peut pas être toujours en phase avec la construction. Il faut d'abord trouver un site, obtenir les autorisations nécessaires, lancer les marchés et procéder à la construction. En attendant, nous relogeons les familles ailleurs et prenons en charge les loyers."

Une explication qui peine à convaincre les populations locales, qui voient leurs maisons rasées et leurs champs détruits sans véritable plan de réinstallation préalable.

L'impact environnemental de l'exploitation minière dépasse largement la seule défiguration du paysage. Le pompage massif d'eau de la nappe phréatique - jusqu'à 8900 m³ par jour - menace gravement l'équilibre écologique de toute la région.

"La zone des niayes est une zone où est pratiquée l'agriculture maraîchère, avec des productions qui alimentaient les marchés locaux. Ces marchés ne fonctionnent plus parce qu'il n'y a plus de légumes", témoigne un agriculteur local.

Cette zone, qui assure près de 80% de la production nationale en légumes frais, voit son avenir compromis. Des experts s'interrogent : "Va-t-on continuer à avoir des légumes au Sénégal? Profitez bien, ce sont peut-être les derniers légumes sénégalais."

Des solutions alternatives existent pourtant. "La mine pourrait utiliser l'eau de mer, puisqu'on n'est pas très loin de l'océan, à seulement 3 km. Ils pourraient filtrer l'eau marine au lieu de pomper la nappe phréatique", suggère un hydrologue familier du dossier.

Le maire de Lompoul va plus loin, accusant GCO de fouler "au pied toutes les règles d'éthique dans l'exploitation des mines" et de n'avoir "aucun respect pour la dignité humaine". Il affirme que l'étude d'impact environnemental de l'entreprise "n'a jamais été validée en public" et que GCO se serait "débrouillée avec des autorités pour avoir un quitus pour continuer, ce qui est extrêmement grave".

Le tourisme, pilier économique de la région, paie un lourd tribut à l'exploitation minière. Sur les sept campements touristiques qui fleurissaient naguère sur les dunes, un seul subsiste aujourd'hui : l'Écolodge de Lompoul.

"C'est comme voir un enfant qui grandit et qu'un bon jour on voit en train d'être étranglé. Et le papa, c'est moi ; les enfants, ce sont mes employés. Si le tourisme meurt à Lompoul, c'est fini pour la région", se désole Yves, propriétaire de l'Écolodge.

Après trois ans de combat, il refuse toujours les modalités et le montant du dédommagement proposés. "On est dans un processus apaisé, on ne se bat pas contre l'État. Nous sommes avant tout des Sénégalais, des citoyens. Nous savons que le pays a besoin de projets pour se développer, mais il faut que les choses se fassent dans le respect - respect des investisseurs que nous sommes, respect des populations impactées."

Le problème dépasse le simple cas de l'Écolodge. Avec 30 employés en CDI, chacun soutenant environ 10 personnes, la fermeture du campement affecterait directement près de 450 personnes.

Arona, guide depuis 15 ans, organisait des balades à dos de dromadaire pour les touristes. Cette activité est désormais compromise par les vibrations des machines et la dégradation du paysage. Les artisanes du village, qui vendaient leurs créations aux visiteurs, se retrouvent sans clientèle.

Pour tenter de préserver une partie de l'activité touristique, GCO a créé une "oasis du désert" artificielle à Diogo, à 10 km au sud de Lompoul. Construite en style saharien, elle comprend une dune artificielle et un plan d'eau de 2000 m² au milieu d'une palmeraie de 8 hectares. "On a essayé d'améliorer l'offre touristique", explique un responsable de GCO. Mais cette initiative paraît dérisoire face à l'ampleur des dégâts.

"Vous entendez des machines qui arrachent les arbres, c'est d'une violence inouïe", témoigne un touriste. "Ce qui nous fait mal, c'est que tout ne soit pas terminé avant notre départ. On aurait aimé partir avec des souvenirs plein la tête, se rappeler des jolies dunes, des beaux couchers de soleil, des moments de rire avec les enfants et les amis. C'est de cela qu'on voulait se souvenir. Mais la dernière image qu'on gardera de Lompoul, c'est cette destruction, ces machines."

Pourtant, l'article 25, alinéa 1 de la Constitution (loi constitutionnelle n°2016-10 du 5 avril 2016) stipule clairement que "les ressources naturelles appartiennent au peuple" et "sont utilisées pour l'amélioration de leurs conditions de vie".

Dans ce conflit qui oppose développement économique et préservation du patrimoine naturel et culturel, l'équation semble impossible à résoudre. D'un côté, un gisement de zircon à forte teneur qui promet des revenus substantiels ; de l'autre, un écosystème fragile, des communautés enracinées et une économie touristique florissante.

Si aucun compromis n'est trouvé entre les différentes parties prenantes, le désert de Lompoul - joyau naturel unique en Afrique occidentale - risque de sombrer définitivement sous les dragues de GCO, laissant derrière lui des familles déboussolées, un écosystème dévasté et un tissu social disloqué.

Avec SENEPLUS
 


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