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La triche, un reflet de la société sénégalaise ?

Vendredi 6 Août 2021

Le Sénégal est en train de vivre une transition qui lui fait prendre, non pas le meilleur chemin, mais celui de toutes les turpitudes. Plus grave, les autorités sont fragilisées par la société elle-même à travers le «masla», l’indulgence et l’hypocrisie. Aujourd’hui, la triche dans notre pays a atteint un niveau tel que l’économie risque de prendre un sacré coup et nous placer au dernier du rang des nations aspirant à l’émergence. Enseignants, sociologues et psychologues sont unanimes : c’est le Sénégal lui-même qu’il faut réinventer avec un nouveau type d’école arrimé à nos valeurs sociales et culturelles. C’est en tout cas leur position.


La triche, un reflet de la société sénégalaise ?
 
La société sénégalaise traverse des mutations profondes qui ne sont pas en adéquation avec nos traditions, nos usages et nos croyances. « C’est ici au Sénégal que nous avons vu un député appréhendé dans une affaire de faux billets de banque sans être inquiété outre mesure, où un faux douanier a sévi depuis des années avant d’être arrêté. C’est également dans ce pays où nous avons vu un faux officier et un faux médecin», s’indigne le syndicaliste enseignant Tamsir Bakhoum qui se désole que la triche et l’usurpation aient fini de déteindre dans tous les domaines. Parfois, depuis le sommet.

« Nous sommes dans une société où la corruption, la magouille, le complot, le sabotage et le mal ont été érigés en règle au détriment des compétences et du mérite. Cheikh Anta Diop et d’autres disaient que les produits de notre école pouvaient changer les choses. Aujourd’hui, le Blanc nous exploite. Mais le Sénégalais nous vole. Ce qui fait que le Sénégalais, l’intellectuel bien formé, n’a d’art que la magouille. Je ne pense pas qu’un cadre qui travaille dans l’appareil d’Etat puisse avoir un milliard dans son compte bancaire, surtout quand il n’a que la politique comme métier. Le plus gros salaire et le niveau de vie imposé à celui qui le gagne fait qu’il ne peut pas économiser la moitié de son salaire.


Bref, le vol est tellement bien organisé dans tous les domaines que les Sénégalais, les jeunes en particulier, pensent que le mérite n’est plus important dans notre société », confie l’enseignant tout en indiquant que « c’est le Sénégal qu’il faut réinventer avec un nouveau type». D’autant que, soutient son collègue enseignant-syndicaliste, Dame Mbodj, «nous sommes ancrés dans la tricherie à tous les niveaux si bien qu’elle est banalisée. Aujourd’hui, ce qui se passe au niveau du ministère de la Santé avec les matériels des Cte (centre de traitement des épidémies), c’est de la tricherie. Les gens sont tortueux».


Des mutations prônant l’esprit matérialiste


D’après les explications du sociologue Djiby Diakhaté, ces mutations mettent l’accent sur l’esprit matérialiste, sur l’individualisme, sur l’égoïsme et la lutte à mort des acteurs pour la reconnaissance. «C’est la compétition et la rivalité. A partir de ce moment, les différents actes posés concourent à donner à l’individu un moyen de se hisser au sommet sans passer forcément par les voies indiquées, normales. Ces pratiques se développent dans une sphère considérée comme modèle par une bonne partie de la population au niveau des instances dirigeantes, la classe supérieure. Tandis que, de l’autre côté, on voit les paysans, les pêcheurs, les artisans qui restent profondément attachés à des valeurs fortes dans l’exercice de leurs activités.

Ce sont les gens d’en haut qui se livrent à ces pratiques. Ceux qui sont considérés comme la classe supérieure et qui ne se suffisent jamais de ce qu’ils ont. Ils veulent toujours en avoir plus comme Icare, l’oiseau qui croyait pouvoir voler plus haut jusqu’à atteindre le sommet. Malheureusement, il a fini par perdre ses ailes brulées par le soleil. Ces pratiques de triche ont tendance à se répercuter dans l’école, parce que l’école n’est pas repliée sur elle-même. Elle ressent les contradictions qui traversent la société. Ceux qui font tout n’ont rien, et ceux qui ne font rien ont tout.


Finalement, beaucoup d’écoliers finissent par se dire que la triche, ou la solution de facilité, c’est la voie la plus sûre pour accéder au pouvoir ou aux ressources. Du coup, les jeunes apprenants pensent que les raccourcis sont plus efficaces pour accéder à la réussite. La fin justifie les moyens. Avant, un individu qui réussissait en passant par cette voie était gêné, et la communauté n’était pas fière de lui.

Aujourd’hui, c’est le contraire. On veut coute que coûte réussir, quels que soient les moyens. Cela crée une sorte de désacralisation des symboles de l’école entretenue par tous les acteurs. L’école devient un espace où se pratique le service minimum par tous ses acteurs. C’est ce qui explique ce qui s’est passé avec les enfants qui ont déchiré leurs blousses, incendié leurs tables-bancs, déchiré leurs cahiers... Tout cela montre que l’école est devenue pour les apprenants une prison, et les vacances, un espace de libération». Ce qui fera que, pour un pays comme le nôtre, l’économie va prendre un sacré coup, affirme Djiby Diakhaté qui se demande si, à ce rythme, est-ce qu’on va trouver des ressources humaines de qualité pour pouvoir assurer la compétitivité ? « Est-ce qu’on ne risque pas d’être les derniers ?», s’est-il interrogé.


Le comportement des élèves, un véritable reflet de la société sénégalaise


En tous les cas, le psychologue Khalifa Diagne considère que ces actes commis par des élèves à l’école ne peuvent pas être détachés de ce qui se passe dans la société pour la bonne et simple raison que les auteurs sont des membres de la société et les actes sont des faits de société. Qu’on ne peut pas dire qu’il n’y a pas un reflet de la société. Sauf que ce n’est pas un phénomène nouveau. Pour ces cas de fraudes à l’école, «les auteurs ont eu la malchance d’être démasqués. Mais à d’autres échelles plus haut, d’autres le font en cachette et d’une manière très organisée. C’est l’émergence des réseaux sociaux et la floraison des médias qui font que, quand il y a des actes de ce genre, tout le monde est au courant. C’est un phénomène qui n’est pas nouveau, mais l’échelle qui s’est accentuée avec les médias et les réseaux sociaux. Je le dis en me basant sur mon parcours personnel, pas en tant que psychologue, mais en tant qu’acteur. J’ai été témoin de cas de fraudes et de triches à des échelles très organisées. Comme Diourbel et Pire, voire à Mékhé, les deux méthodes sont très originales. Mais là où il y a plus d’inquiétude, c’est que l’instigateur, c’est un propriétaire d’école qui a inscrit des candidats libres au jury de Pire.


En créant leur groupe WhatsApp, ils ont corrigé le sujet philo en oubliant qu’avec la philo, on ne peut pas le faire. Ce ne sont pas les mathématiques où, soit on trouve soit on est dans l’inexactitude. Ici, il s’agit de littérature. L’acte a été prémédité. Ce qui soulève surtout sa gravité, c’est qu’il y a un éducateur qui a été impliqué. Si c’était de jeunes élèves seulement, ça pourrait être compris, mais quand ça implique des enseignants, ça pose problème. Ce sont de mauvais comportements qu’il faut combattre et bannir. Ça conduit à la médiocrité. Vous ne serez pas performant en y ayant recours» estime le psychologue Khalifa Diagne. Il propose d’ériger l’exemple en valeur.

«L’exemple doit venir des dirigeants. Le respect ne se force pas par la contrainte mais par les bons comportements. L’autorité n’a pas à recourir à certains discours pour se faire respecter. Mais par l’exemple. Jean Jacques Rousseau, en expliquant comment éduquer un enfant, disait que c’est par « l’exemple, l’exemple ». Il a insisté sur le terme». Par l’exemple ! Donc les sanctions aussi «sont pour l’exemple, et elles doivent être exemplaires». M. Diagne s’offusque du fait qu’au Sénégal, « nous n’avons pas un projet de société dans lequel il y aurait un projet éducatif. » Or, il pense que c’est d’autant plus urgent d’en avoir un qu’il y a la concurrence des réseaux sociaux. De son côté, le sociologue Djiby Diakhaté invite à «accorder de l’intérêt à l’école, arrêter de faire des réformes superficielles, et surtout nous concentrer sérieusement sur l’école. Cela suppose que l’on réexamine la situation des formateurs, renforce les capacités des administrateurs, réforme les curricula, qu’on mette les apprenants dans de bonnes conditions, revalorise la fonction de l’enseignant, et que l’école devienne un passeport pour la réussite sociale». La solution, pour Dame Mbodj, c’est la réforme, et inclure dans les curricula, les modules liés à la moralité et aux valeurs. Car, dit-il, «la compétition va se faire dans la discipline et le savoir fortement arrimé sur les valeurs. Il faut qu’il y ait un changement de paradigme, la révision de fond en comble de notre système d’enseignement pour une société stable ». Vaste chantier !

LeTémoin
 


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