Thierno Dicko nous accueille sur le marché de Saint-Louis, tout au nord du Sénégal, et nous montre une flaque, pas peu fier. “Il ne reste rien, rien du tout”, lance-t-il, un sourire moqueur aux lèvres. Aucun panneau pour expliquer que, voilà peu encore, se dressait là une statue à l’effigie d’un gouverneur français de l’époque coloniale. Et, bien sûr, on ne lit nulle part non plus que c’est Thierno Dicko qui a fait tomber la statue de son piédestal. Il faut dire que personne n’est au courant, en tout cas officiellement.
L’homme se réjouit de voir que cet “esprit révolutionnaire” ne s’est pas seulement emparé de lui, mais de toute l’Afrique de l’Ouest. Dans sa vision des choses, il a réussi à petite échelle, sur la place du marché de Saint-Louis, ce que les putschistes du Niger ou du Mali ont accompli à grande échelle : il a mis fin au temps des colonies.
Une relation toxique et moribonde
À 200 kilomètres plus au sud, à Dakar, capitale du Sénégal, Ndongo Samba Sylla nous reçoit dans un café branché et nous présente sa preuve, un billet de banque. “Ça, proclame-t-il, c’est le symbole de notre asservissement.”
Un billet vert d’une valeur de 5 000 francs CFA [7 euros], la monnaie du Sénégal et de treize autres pays d’Afrique de l’Ouest et du centre. Au recto, un poisson ; au verso, deux antilopes. Mais Ndongo Samba Sylla juge qu’il y manque des informations capitales. Comme le fait que le billet est imprimé en France.
Sur la statue du gouverneur, on pouvait lire : “Le Sénégal reconnaissant”. Ce qui le laisse pantois. Ce qui se passe en Afrique de l’Ouest en ce moment est historique, juge Ndongo Samba Sylla. Notre homme est un scientifique. Et il est attaché à la France. Au français, surtout. Mais, en tant que scientifique, il est arrivé à la conclusion que la France s’est mise dans ce pétrin toute seule. Les putschs, la colère, le slogan “La France, dégage !” repris en chœur. Tout ça parce que Paris n’a pas su lâcher prise quand il l’aurait fallu.
La France et l’Afrique de l’Ouest, c’est une relation qui devait prendre, après le temps des colonies, la forme d’un lien privilégié avec des États libres, c’est du moins comme ça que l’avait vendu Paris. Aujourd’hui, ce serait plutôt une relation toxique en phase terminale.
Depuis 2020, au moins six anciennes colonies françaises ont été le théâtre de coups d’État militaires couronnés de succès. Au Mali et en Guinée, au Burkina Faso et au Tchad, au Niger et au Gabon. Tous ces putschs ont déconcerté l’Occident par l’écho qu’ils ont rencontré. Les jeunes, surtout, n’y voient pas un prélude au chaos, mais l’occasion d’un nouveau départ. Un nouveau départ sans la France. Sans les militaires français, sans les entreprises françaises, sans l’argent imprimé en France.
La tentation de la rupture
Paris savait depuis des années qu’une lame de fond antifrançaise était en train de se former. En 2017, Emmanuel Macron, alors fraîchement élu, avait appelé de ses vœux l’ouverture d’un nouveau chapitre dans les relations avec l’Afrique. La France, assurait le chef de l’État, ne considérait plus le continent comme son “arrière-cour” et souhaitait s’en retirer, notamment militairement.
Mais rien n’y a fait. D’autant que Macron manque visiblement d’humilité. Si nous ne nous étions pas engagés dans la lutte contre le terrorisme, déclarait-il encore récemment d’un ton bravache, le Mali, le Burkina Faso et le Niger n’existeraient sans doute plus aujourd’hui.
Jusqu’à présent, le Sénégal ne fait pas partie de la “ceinture des coups d’État” africaine. Pourtant, là-bas aussi, dans ce qui est encore aujourd’hui le plus français des pays d’Afrique, la colère couve. Macky Sall, le président, entretient de bonnes relations avec les Occidentaux.
Mais les jeunes se rangent derrière le chef de file de l’opposition, Ousmane Sonko, qui promet la rupture avec l’Hexagone. Et plus le gouvernement s’attaque à lui, plus il rallie de suffrages. Ousmane Sonko a été jeté en prison pour un viol supposé qu’il nie avoir commis, et banni des élections de 2024.
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L’homme se réjouit de voir que cet “esprit révolutionnaire” ne s’est pas seulement emparé de lui, mais de toute l’Afrique de l’Ouest. Dans sa vision des choses, il a réussi à petite échelle, sur la place du marché de Saint-Louis, ce que les putschistes du Niger ou du Mali ont accompli à grande échelle : il a mis fin au temps des colonies.
Une relation toxique et moribonde
À 200 kilomètres plus au sud, à Dakar, capitale du Sénégal, Ndongo Samba Sylla nous reçoit dans un café branché et nous présente sa preuve, un billet de banque. “Ça, proclame-t-il, c’est le symbole de notre asservissement.”
Un billet vert d’une valeur de 5 000 francs CFA [7 euros], la monnaie du Sénégal et de treize autres pays d’Afrique de l’Ouest et du centre. Au recto, un poisson ; au verso, deux antilopes. Mais Ndongo Samba Sylla juge qu’il y manque des informations capitales. Comme le fait que le billet est imprimé en France.
Sur la statue du gouverneur, on pouvait lire : “Le Sénégal reconnaissant”. Ce qui le laisse pantois. Ce qui se passe en Afrique de l’Ouest en ce moment est historique, juge Ndongo Samba Sylla. Notre homme est un scientifique. Et il est attaché à la France. Au français, surtout. Mais, en tant que scientifique, il est arrivé à la conclusion que la France s’est mise dans ce pétrin toute seule. Les putschs, la colère, le slogan “La France, dégage !” repris en chœur. Tout ça parce que Paris n’a pas su lâcher prise quand il l’aurait fallu.
La France et l’Afrique de l’Ouest, c’est une relation qui devait prendre, après le temps des colonies, la forme d’un lien privilégié avec des États libres, c’est du moins comme ça que l’avait vendu Paris. Aujourd’hui, ce serait plutôt une relation toxique en phase terminale.
Depuis 2020, au moins six anciennes colonies françaises ont été le théâtre de coups d’État militaires couronnés de succès. Au Mali et en Guinée, au Burkina Faso et au Tchad, au Niger et au Gabon. Tous ces putschs ont déconcerté l’Occident par l’écho qu’ils ont rencontré. Les jeunes, surtout, n’y voient pas un prélude au chaos, mais l’occasion d’un nouveau départ. Un nouveau départ sans la France. Sans les militaires français, sans les entreprises françaises, sans l’argent imprimé en France.
La tentation de la rupture
Paris savait depuis des années qu’une lame de fond antifrançaise était en train de se former. En 2017, Emmanuel Macron, alors fraîchement élu, avait appelé de ses vœux l’ouverture d’un nouveau chapitre dans les relations avec l’Afrique. La France, assurait le chef de l’État, ne considérait plus le continent comme son “arrière-cour” et souhaitait s’en retirer, notamment militairement.
Mais rien n’y a fait. D’autant que Macron manque visiblement d’humilité. Si nous ne nous étions pas engagés dans la lutte contre le terrorisme, déclarait-il encore récemment d’un ton bravache, le Mali, le Burkina Faso et le Niger n’existeraient sans doute plus aujourd’hui.
Jusqu’à présent, le Sénégal ne fait pas partie de la “ceinture des coups d’État” africaine. Pourtant, là-bas aussi, dans ce qui est encore aujourd’hui le plus français des pays d’Afrique, la colère couve. Macky Sall, le président, entretient de bonnes relations avec les Occidentaux.
Mais les jeunes se rangent derrière le chef de file de l’opposition, Ousmane Sonko, qui promet la rupture avec l’Hexagone. Et plus le gouvernement s’attaque à lui, plus il rallie de suffrages. Ousmane Sonko a été jeté en prison pour un viol supposé qu’il nie avoir commis, et banni des élections de 2024.
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