À FATOU NIANG SIGA : Adieu Doyenne
Fatou Niang Siga, qui vient de nous quitter ce matin du 11 mars 2022, est née en 1932, dans cette ville où le fleuve flirte densément avec l’Océan avant de tomber littéralement dans ses bras. Elle reste l’une des rares Sénégalaises à avoir eu le privilège d’assumer avec épanouissement son triple statut de d’épouse, de mère et de citoyenne. Enseignante, elle a successivement servi à Saint-Louis, à Louga, avant de revenir « au royaume d’enfance » pour y terminer sa carrière comme Directrice de l’école Léona Fille, devenue école Saer Séye.
Sur le plan politique, elle a d’abord milité à la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) y assumant les charges de Présidente de l’Association des jeunes. Ayant rejoint, l’UPS, l’ancêtre de l’actuel Parti socialiste du Sénégal, elle s’y verra confier les charges de secrétaire chargée des relations extérieures du Conseil des Femmes ; Mme caroline en était la Présidente.
Son dynamisme et son sens de l’initiative l’amèneront à être membre fondatrice du Cercle de la Jeunesse et de la 1ère équipe féminine de basket-ball de Louga. Enfin, sur demande de Son Excellence Le Président Me A WADE, elle a préparé l’exposition sur la mode (habillement, coiffure et parure), à l’occasion de la remise du prix Houphouët-Boigny à l’UNESCO.
Les textes qui composent son œuvre, d’une densité et d’une originalité suffisamment reconnues pour lui valoir l’hommage de la République, ont comme prétexte originel l’unique souci d’aider ses enfants et petits- enfants à s’approprier des pans de leur culture .
Cette préoccupation s’explique par la conjugaison d’un certain nombre de facteurs. La fille, dont la précocité était assez frappante pour que l’institutrice du coin suggère ses parents de l’inscrire à l’école des Blancs, a dû être séduite par la magie de l’écrit. Il s’y ajoute que durant son séjour au mythique Lycée Faidherbe - devenu aujourd’hui Lycée Cheikh Oumar Foutiyou Tall - elle a sans doute réalisé, de quelque manière, la fragilité d’un patrimoine confiné à l’oralité. En outre, en tant qu’enseignante, elle ne manqua pas de prendre conscience de l’urgence de consigner, pour la postérité, ce qu’elle avait appris à « l’école du soir », à l’heure du conte. Ce souci constant, dans le double axe de la préservation et de la transmission témoignait aussi de l’influence dupère, premier archiviste africain du Sénégal.
En tout état de cause, à la lecture de « Reflets de modes et traditions saint-louisiennes », de « Saint-Louis et sa mythologie », « Costumes saint-louisien d’hier à aujourd’hui » (à compte d’auteur, il est loisible de réaliser, que Fatou Niang Siga est allée bien au-delà de cet objectif. Son œuvre s’intègre parfaitement dans cette problématique de l’affirmation de l’identité culturelle.
Consciente, que tout rapport avec l’Autre, suppose l’affirmation de soi, Fatou Niang Siga inscrit la transmission des valeurs cardinales dans la trajectoire d’une affirmation identitaire qui, au demeurant, n’a rien de meurtrière. Dans cet esprit, Fatou Ninag Siga publie« Reflets de modes et traditions saint-louisiennes . L’appétit venant en mangeant, Fatou Niang Siga, qui avait nourri la modeste ambition d’écrire et même de n’écrire que « pour ses enfants et ses petits-enfants », se retrouva dans une aventure intellectuelle fort originale. Cette démarche, d’une remarquable fécondité intellectuelle, sera de rigueur dans ces deux autres ouvrages susmentionnés. Aussi parviendra-t-elle, par ce truchement, à trier au volet ce qui est reconnu comme l’atout majeur des Saint-Louisiens : l’expression d’une belle synthèse entre les civilisations négro-africaine, arabo-islamique et occidentale.
Sous sa plume, il est loisible de comprendre comment ce syncrétisme a fini par produire une personne typique renvoyant aux qualités d’un natif de Ndar. Saint-lousienne jusqu’au bout des ongles, elle a su s’approprier de ce patrimoine singulier qui fait de sa Cité natale, « la civilisation de l’Universel en miniature ».
Au demeurant, force est de souligner que la générosité de Fatou Niang Siga ne s’épuise guère dans l’écriture, quoiqu’elle soit l’une des expressions la plus achevée de l’ouverture vers l’Autre et du sens du partage. Débordant de loin la sphère de la création, elle a été déclinée par un geste légitimement salué comme « hautement social et civique » consistant en un don de 1240 ouvrages aux cinq universités publiques de notre pays. Comment aussi ne pas évoquer, dans la même veine, le soutien de Fatou Niang Siga aux acteurs culturels, ses dons aux dahiras, aux daras et aux mosquées et son assistance discrète aux déshérités ?
Dans ses moments de retraite, en fervente mouride, elle a toujours su faire montre d’une piété remarquable sur toile de fond d’une spiritualité d’une rare intensité, tout en gardant cette joie de vivre et ce sens de l’humour d’une fraîcheur évidente. Ses propos, teintés à la fois de spiritualité et de la joie de vivre, tenus lors de l’organisation de la première édition du Festival International de Poésie en Afrique, en mai 2006 en attestent. Étaient présents, entre autres, à cette rencontre à son domicile : Paul Dakeyo du Cameroun, Alioune Badara Coulibaly, Josée Lapeyrére de la France, Dieynaba Guèye, Marouba Fall, Louis Camara, Abdoukhadre Diallo, Taijin Tendo du Japon et Mohamed Toihiri des Comores.
Le décès de Fatou Niang Siga constitue une immense perte. À toutes et à tous ceux qui ont eu à la porter dans leur cœur, à toutes et tous les férus de culture d’ici et d’ailleurs et à toute sa famille, nous présentons nos sincères condoléances. Puissent chercheurs et universitaires s’intéresser davantage à son parcours, afin de transmettre à nos concitoyens si éprouvés les valeurs cardinales qu’elle a sues promouvoir sa vie durant.
Alpha Amadou Sy, Président de la CACSEN
REFERENCES
Aïdara, Abdoul Hadir; Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui, Éditions Granvaux, octobre 2004 ;
Dia, Fadel, «Adieu Saint-Louis, bonjour Ndar », CRDS, D 84 ;
Diakhité, Cheikhou, « Le parler sait-louisien », inédit ;
Diop, Mame Séye, « Témoignage lors de la présentation-dédicace des ouvrages de Fatou Niang Siga, le 28 décembre 2005 à la Chambre de Commerce de Saint-Louis ;
Kébé, Mamadou Abib, « Reflets de modes et traditions saint-louisiennes de Fatou Niang Siga : une ingénieuse défense et illustration de l’identité culturelle de Saint-Louis. », colloque du FIPIA, mai 2009, Saint-Louis ;
Ndar Info : Don de 1240 livres ; http://www.ndarinfo.com/DON-1-240-ouvrages-offerts-aux-cinq-universites-publiques-du-Senegal-L-acte-hautement-social-et-civique-de-Fatou-Niang_a17702.html
Niang , El Hadj Ndiouga, Témoignage à la Cérémonie de présentation-dédicace du 28 mai 2005 à la Chambre de Commerce de Saint-Louis ;
Niang, Siga Fatou :
- « Costumes saint-louisien d’hier à aujourd’hui » (à compte d’auteur, en mai 2005) ;
- « Discours de bienvenue à la Délégation du FIPIA, 17 mai 2006 » ;
- « Reflets de modes et traditions saint-louisiennes », Dakar, éditions Khoudia, Dakar, 1990) ;
- « Saint-Louis et sa mythologie », Saint-Louis, éditions Xamal, à Saint-Louis, (avant d’être repris à compte d’auteurs en mai 2005) ;
Sy, Alpha Amadou :
- « Fatou Niang Siga ou quelques considérations d’une Saint-louisienne sur l’esthétique saint-louisienne » ;
- L’imaginaire saint-louisien (doomou Ndar à l’épreuve du temps) », Paris l’harmattan, 2015 ;
- « Saint-Louis du Sénégal ou la « Civilisation de l’Universel en miniature », Forum de Saint-Louis du 15/06/2017.