Deux décennies auparavant, c’est-à-dire le 22 juillet 1994, le lieutenant d’alors avait pris le pouvoir des mains de Dawda Jawara à la faveur d’un coup d’Etat militaire. Depuis lors, le pays est placé sous sa coupe.
Quand on a déjà croqué du journaliste (Deyda Hydara), quand on a fait disparaitre un autre (Ebrima Manneh) et torturé un troisième (Musa Saidykhan en 2006), quand on réprime à mort des écoliers qui certainement devraient être très indisciplinés (en avril 2000) et, quand surtout on se dit capable de soigner le sida, l’asthme et la tension artérielle au moyen d’herbes médicinales, il est évident que les populations ne peuvent que vous témoigner leur profonde gratitude et leur amour à la limite de la dévotion ; et ne se feront pas prier pour participer à vos joies et peines.
L’homme n’avait que 29 ans quand il s’emparait du pouvoir, et, aux âmes bien audacieuses, la fortune étant souvent serviable, le voilà chef de l’Etat au moment où certains de sa génération usent toujours leurs pantalons sur les bancs de l’université ou sont à la recherche d’un premier emploi.
Parvenu à la plus haute charge de l’Etat grâce à la fermeté du jarret, il a vite pris goût à l’ivresse du pouvoir, et aujourd’hui encore, soit vingt ans après, il préside aux destinées de la Gambie, qui a même l’honneur d’abriter la Cour africaine des droits de l’Homme. Un opposant tué par-ci, un journaliste assassiné par-là, circulez ! Y a rien à voir. C’est moins que le nombre de victimes d’accident de la route.
Chronique d’un espoir déçu, comme du reste dans beaucoup de cas en Afrique. Quand en 1994, Yaya Jammeh mettait fin au régime vermoulu de Dawda Jawara, de nombreux observateurs de la scène politique gambienne avaient applaudi à tout rompre, voyant en la jeunesse du nouveau venu un espoir qui allait reconstruire avec fougue les murs d’un pays pratiquement en ruine. Depuis lors, ils ont tous déchanté.
Pire, c’est avec la mort dans l’âme que les Gambiens assistent, chaque jour que Dieu fait, aux bouffonneries de l’homme au sabre. Des pitreries qui rappellent celles d’un Idi Amin Dada ou d’un Bokassa dont les destins se confondaient à ceux de leurs pays.
Au fil des ans, le jeune officier prometteur qui a pris les rênes du pouvoir s’est mué en autocrate sanguinaire, dirigeant son pays d’une main de fer, tuant toutes les libertés, organisant des simulacres d’élections. C’est dire que sur l’échelle de Richter de l’autocratie, il doit être au niveau 10.
Des visiteurs de cette belle contrée ont révélé que le respect de la chose publique y est si bien ancré que les usagers évitent scrupuleusement d’emprunter la voie qui mène au village du chef de l’Etat. Et est d’une grande pertinence dans ce pays cette belle formule selon laquelle « il ne faut jamais dire Jammeh ».
Comme s’il n’y avait aucune borne à son appétence pour le mythe, il faut qu’il s’improvise guérisseur de tous les maux, physiques comme psychiques, dont le comique des séances thérapeutiques le dispute au ridicule. Oh président bien-aimé qui prétend donner la fertilité aux femmes !
Son dernier acte héroïque, dans un pays où la pauvreté sévit, c’est cette dot de 75 millions de francs CFA offerte à sa deuxième épouse. Quand on aime, on ne compte pas. Pauvre Gambie ! Le plus intéressant est que les Gambiens auront encore la chance d’avoir auprès d’eux ce sauveur. Il n’a que 49 ans.
Lui n’a pour l’instant pas besoin de retoucher ses photos officielles. Sauf cas particulier, il régnera encore longtemps, ce monsieur, surtout sur un pays si bien régenté et où l’éventualité d’un départ n’est point à l’ordre du jour. Quelles que soient les circonstances ! N’est-ce pas beau, tout ça ?
Issa K. Barry — L’Observateur Paalga