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Entretien avec Samba DIAO, Professeur de Philosophie au Lycée Rawane Ngom de MPAL et auteur du Livre "Comprendre Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau: essai de philosophie politique"

Mardi 15 Décembre 2015

Vous venez de publier un ouvrage sur « Du contrat social » pourquoi cet ouvrage pas un autre ?

Merci, mon cher Pape ; avant d’en venir à votre question je me présente d’abord. J’ai fait mes humanités à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis où j’ai suivi une formation de sociologue, puis de politiste. En 2006, je me suis engagé dans l’enseignement secondaire public et, aujourd’hui je suis Professeur de Philosophie en exercice au Lycée Rawane Ngom de Mpal (localité située à 30 km de Saint-Louis).

Pour en venir à votre question, il faut dire qu’il y a trois raisons qui ont motivé la publication de ce texte. Il y a tout d’abord le souci de répondre à une demande implicite : en 2008, Du contrat social de Jean-Jacques Rousseau a été introduit au programme de philosophie dans les lycées sénégalais. Au niveau de l’Académie de Saint-Louis, sous l’encadrement du Doyen Alpha Sy, nous avons au fil des années, organisé des journées pédagogiques à l’occasion desquelles l’œuvre a été revisitée afin de la rendre non seulement plus accessible mais aussi de faciliter sa prise en charge à travers l’abordage des notions constitutives du programme de philosophie. Mon livre constitue un prolongement de cette dynamique, avec plus de systématicité. Ensuite, il y a eu le souci (qui m’a toujours animé depuis les séminaires de DEA de science politique à l’UGB) de montrer l’actualité de Rousseau par rapport à bon nombre d’obstacles qui se dressent sur le chemin de la modernité politique africaine, notamment l’effectivité de l’État de droit, la consolidation de la démocratie, la citoyenneté, etc. Lorsqu’on voit des taximen dakarois oser emprunter le trottoir ; lorsqu’on est témoin de ce qui s’est passé récemment à l’Assemblée nationale sénégalaise où des députés ont préféré l’argument des biceps, on ne peut que se demander : « mais où est passé la vertu civique sans laquelle il n’y a pas d’État, de res publica ? » Enfin, à travers ce livre, j’ai voulu payer une « dette » envers la communauté scientifique : ayant été nourri de connaissances produites par les autres, et continuant aujourd’hui encore à me nourrir de ces connaissances, je me suis toujours dis au fond de moi-même que je n’ai pas d’excuses pour déserter le champ de la production du savoir.

Le Doyen Alpha SY qui a préfacé votre ouvrage a publié « Un pas dans l’univers de la philosophie » un manuel à l’usage des élèves et des professeurs et vous arrivez après lui presque jour pour jour avec votre ouvrage, y-a-t-il une urgence pour sauver la discipline philo dans nos lycées au Sénégal ? De quoi souffre le malade (Philosophie) et comment panser cette plaie béante ?
La proximité des dates de parution de mon livre et celui du Doyen Alpha Sy n’est pas un hasard. En dehors de sa qualité de Formateur en philosophie au Pôle régional de formation de Saint-Louis, il y a le fait qu’il nous (nous les jeunes professeurs de philosophie) a toujours invité à mener le combat pour la revalorisation de l’enseignement de la philosophie qui, il faut le dire, est menacée de disparition dans le système éducatif sénégalais. Pour ma part, j’ai voulu répondre à cet appel ; ce d’autant plus que le doyen Sy ne s’est pas contenté à nous y inviter : à travers différentes initiatives – le « Café philo en est un exemple -, il mène un combat acharné pour que la philosophie ait droit de cité. À cela s’ajoute, le fait que le doyen Alpha est un modèle pour moi, une référence morale et intellectuelle ; sans jamais prétendre l’égaler, j’essaie en tout cas de suivre ses traces.


Vous avez raison de parler de souffrance et de « maladie » à propos de la philosophie. Le manque criant de professeurs au secondaire, l’absence de formation de certains professeurs de philo ayant des diplômes spéciaux, les effectifs pléthoriques, les heures supplémentaires constituent autant de maux qui gangrènent la philosophie. Tout porte à croire qu’au-delà des beaux discours, les pouvoirs publics n’ont vraiment pas la volonté de prendre en charge ce problème. On organise des séminaires, des journées de réflexion, des assises pour ensuite ranger les conclusions dans des tiroirs. Nonobstant cette situation peu reluisante, il ne me semble pas qu’il faille désespérer. Dans les lycées tout comme à l’université, les enseignants sont en train de mener le combat de même que les responsables des syndicats, que nous remercions au passage. Du reste la philosophie n’a jamais bénéficié d’un soutien ni du pouvoir ni de la société, à cause de sa charge critique ; mais elle a toujours survécu aux attaques dont elle fait l’objet. La vie de l’esprit ne s’effraie pas devant la mort, dit-on.

Je suis agréablement surpris que des initiatives locales soient prises pour organiser et animer des journées d’études sur le programme de philosophie, racontez-nous.

Ces activités pédagogiques se déroulent dans le cadre de la formation continue des professeurs du moyen-secondaire au niveau décentralisé ; ce d’autant plus que le nombre de profs de philo qui sortent avec une formation à la FASTEF va decrescendo. Au niveau de l’académie de Saint-Louis, nous avons compris que pour pallier ce manque, il fallait nous organiser en interne et agir. Sous la direction et la supervision du doyen Alpha Sy, nous avons monté un Collectif des professeurs de philo de la région de Saint-Louis. Chaque année, sur fonds propres, nous nous efforçons d’organiser des journées pédagogiques sur les méthodes du commentaire et de la dissertation, le programme et les œuvres au programme, la situation de la philosophie, etc. Ces rencontres constituent également une occasion pour les débutants comme moi de bénéficier de l’expérience des anciens, plus chevronnés. C’est l’occasion de remercier tous les collègues pour leur engagement dans le combat pour la revalorisation de l’enseignement de la philosophie au Sénégal.
Que pensez-vous de cette initiative « Nuit de la philosophie » du Centre Culturel Français de St-Louis et de Alpha Sy.


C’est une bonne initiative qui vient à son heure. Nous félicitons le doyen Alpha et, bien sûr tout le personnel du Centre culturel français et en particulier son Directeur M. Dessolas. La « Nuit de la philosophie » a fini par s’imposer dans l’agenda culturel de la ville de Saint-Louis. Au-delà du fait qu’elle constitue une occasion de rencontres et d’échanges, la « Nuit de la philo » permet aux élèves candidats au Bac d’avoir un complément d’informations qui peuvent leur servir dans la prise en charge des sujets d’examen.

Revenons à votre ouvrage que j’apprécie beaucoup comment vous est venue l’idée de le présenter à l’image des fiches techniques (extrait- questions exploratoires) vous orientez les professeurs au fond.

Vous parlez d « orientation » mais, pour moi, je ne prétends nullement orienter encore moins apprendre à enseigner qui que ce soit. Au contraire, c’est moi qui ai besoin de l’expérience des collègues ; ce d’autant plus que je suis sociologue et politologue de formation et que je suis entré dans le champ disciplinaire de la philosophie par « effraction », motivé en cela par la passion que j’ai toujours éprouvée pour cette discipline. Cela dit, sans se gargariser d’éclectisme, je ne crois pas trop aux cloisons disciplinaires ; j’essaie d’être à la hauteur de ce qu’on attend de moi en tant que professeur, tout en ayant une pleine conscience de mes limites, et je continue à apprendre.


L’approche par les textes me semble salutaire dans la prise en charge du programme parce que, suivie méthodiquement, elle permet aux élèves de se familiariser avec la démarche de pensée des philosophes mais également de dialoguer avec eux par l’entremise du texte. Du reste, les extraits suivis de questions que l’on trouve en annexe de mon livre permettent aux élèves de se familiariser avec l’épreuve de second tour au Bac.


M. Diao, j’ai lu avec attention votre ouvrage et étant nourri par la rigueur universitaire j’avoue être surpris de ne pas voir dans votre bibliographie un auteur incontournable selon moi pour comprendre Jean Jacques ROUSSEAU : Jean Starobinski –La transparence et l’obstacle.


En votre qualité de philosophe chevronné, vous le savez certainement mon cher Cissoko : un ouvrage de commentaire est toujours sujet à controverses dans la mesure où on se propose de penser une pensée. Je suis tout à fait conscient des limites de cet ouvrage et je suis heureux de constater que vous l’avez lu de façon critique. Tout en reconnaissant la pertinence de vos remarques, je tiens à préciser que j’ai été davantage séduit par le Jean Starobinski du Le remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières (1989), qui m’a permis de saisir le rapport paradoxal que le philosophe de Genève entretient avec la culture. La bibliographie de Rousseau est immense, et à un certain moment il fallait en finir avec ce livre ; sans toutefois le finir parce que la pensée relève de l’inachevé.

Vous avez bien dit que cet ouvrage paraît simple (transparent) mais cette clarté cache une densité qui mérite une exploration rigoureuse, qu’en dites-vous ?


Je reconnais quelque part cette densité du livre ; mais au risque de trahir l’auteur de Du contrat social, je ne pouvais que m’imposer une certaine exigence conceptuelle, j’allais même dire un « décollage conceptuel » pour reprendre Crahay. Dans l’exposé de ses « Principes de droit politique », Rousseau emprunte une démarche normative et c’est en cela qu’il se démarque du Montesquieu de l’Esprit des lois. L’une des difficultés majeures à lire Rousseau est qu’il nous propose de (re)penser l’État en tant qu’idée (concept), non en tant que réalité historique. C’est cette capacité à distinguer le possible et l’existant qui caractérise l’homme, et qui lui permet de dépasser l’animal.


Je reconnais, du reste, que j’ai un goût des concepts, d’une argumentation rigoureuse qui ne triche pas. Dans mon livre j’ai essayé autant que faire se peut de respecter ce parti pris épistémologique, d’où le niveau d’abstraction de la réflexion.
Quel est selon vous l’avenir de la philosophie au Sénégal, et que faire pour la sauver et la remettre sur pied et j’ai une pensée pour nos grands professeurs, feu le doyen Aloïse, feu le Pr Alassane NDAW, Pr Djibril Samb (spécialiste de Platon), Ibrahima SOW de l’IFAN ( philosophe robuste et sagace, Abou SYLLA ( esthétique), le nietszche sénégalais le Pr Mame Moussé Diagne, Pr Souleymane B Diagne, Elimane Kane,etc .


Il y a certainement des voix plus autorisées que la mienne pour s’y prononcer, eu égard à leurs statuts et leurs rangs académiques. Mais ce dont je suis convaincu, c’est qu’il faut une volonté politique et un accompagnement des pouvoirs publics qui ne s’arrêteraient plus aux déclarations d’intention. Quoi qu’il en soit, l’éducation et la formation des citoyens restent une mission de service public et je n’ose pas penser que l’État en vient à se dessaisir de cette tâche. Il nous faut revenir à une école républicaine et dans ce sens il ne me semble pas qu’on doive minorer le rôle de la philosophie, qui est avant tout une École de la liberté.
Je rends hommage à tous les philosophes disparus que vous citez en exemple et qui ont contribué à la formation de générations d’intellectuels sénégalais et étrangers.

Pape Cissoko de "ichrono"