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Dossier sur les causes et clauses du divorce: Échecs aux mariages.

Samedi 24 Mai 2014

Le divorce est devenu un phénomène de mode. À ce propos, les chiffres de l'Association sénégalaise des femmes juristes font froid dans le dos. EnQuête a essayé d'en connaître les raisons, en donnant la parole à des femmes divorcées, mais aussi à des belles-mères. Sans oublier les spécialistes de la question.


Le divorce est à la mode au Sénégal. Les chiffres publiés par l'Association des femmes juristes du Sénégal (AJS) le confirment. L'association a installé deux boutiques de droit à la Médina et à Pikine. Elle révèle qu'entre décembre 2013 et février 2014, 384 cas de divorce ont été enregistrés au niveau des deux boutiques. Celle de Médina a enregistré 291 divorces. Pikine a enregistré 33 cas.

L'autre constat est que ces mariages ne durent que le temps d'une rose. Pour en savoir un peu plus sur les raisons de ces séparations, souvent prématurées, EnQuête est allé à la rencontre de ces femmes divorcées. Combien sont-elles ? Combien sont celles qui ont été répudiées et contraintes de partir, alors qu'elles rêvaient d'une vie de couple heureuse ? Difficile d'y répondre.

“Du temps perdu”

Mais, le constat est qu'elles quittent le foyer conjugal, pour différentes raisons. Chacune avec son histoire. Aby* fait partie de ces jeunes filles qui ont vécu un véritable calvaire dans leur domicile conjugal. Son époux a émigré, alors qu'ils sortaient encore ensemble. “Une fois en Europe, on a scellé le mariage. J’avais de bons rapports avec mon époux. Mon problème, c’était les membres de ma belle-famille, surtout ma bellemère”. Selon la jeune divorcée, “elle était insupportable”. “Elle me menait la vie difficile”, confie la belle nymphe qui malgré le divorce n'a rien à envier aux nymphettes de 19 ans.

“J’ai vécu dans la maison conjugale, pendant plusieurs années, sans voir l’ombre de mon mari”, poursuit-t-elle. Aby aurait pu s'accommoder de cette situation, si son opération de séduction envers sa belle-mère avait porté ses fruits. Poulets, argent, tissus de valeur et autres présents n'y ont rien fait. “Elle était difficile à satisfaire. Pour un rien, elle pétait les plombs et me lançait des vertes et des pas mûres. Mes parents et mon mari me demandaient d'être patiente avec elle. Étant donné que la patience a des limites, j’ai fini par craquer et demander le divorce”. Au début, dit-elle, le visage baigné de larmes, son mari n'a pas voulu en entendre parler, mais, il a fini par se rendre à l'évidence que c'était la meilleure chose à faire.

D'une voix pleine de regret, Aby confie : “On s’aimait vraiment, mais on ne pouvait plus continuer à vivre ainsi, car sa mère était devenue insupportable”. Aujourd'hui, avec le recul, elle considère avoir perdu du temps, “car, après plusieurs années, on n'a même pas pu consommer notre mariage”, dit-elle. Selon la jeune dame, le divorce était nécessaire pour préserver les rapports entre les deux familles. “J’ai préféré perdre un mari que de voir éclater toute une famille”.

“Mon mari manquait de poigne”

Si Aby* a eu la chance de ne pas consommer son mariage, ce n’est pas le cas d'Astou*. Son mariage est partien éclats, au bout de deux ans, à cause des commérages et “du manque de poigne” de son mari. “J’ai divorcé après plus de deux ans de mariage, alors que tout allait à merveille entre nous. Mais, mon mari manquait de poigne”, soutient Astou. “Il écoutait toutes les salades qu’on lui racontait sur moi, du genre : 'ta femme n'est jamais à la maison' ; 'des hommes viennent en ton absence lui rendre visite'. Je lui disais à chaque fois de prendre ma version, mais il ne le faisait jamais”.

“Il revenait verser toute sa colère sur moi. Pour préserver notre mariage, je faisais la sourde oreille ou la politique de l’autruche, sur tout ce qu’il disait”, raconte Astou* d'une voix furieuse, confortablement installée dans le salon de ses parents, dans un appartement huppé du centre-ville. De crise en crise, le mariage a fini par voler en éclats.

“Ma belle-famille voulait me remplacer par la cousine de mon mari”

Raby*, elle, a su très tard que sa belle-famille voulait se débarrasser d'elle pour marier son mari à une de ses cousines. “Je n’avais plus droit à une bonne et je m’acquittais de tous les travaux domestiques. Je me réveillais à 6h du matin pour me coucher vers minuit”. Entre le linge, la vaisselle, la cuisine, le thé, bref et tout le reste, elle a fini par craquer.

“Avec tout ce travail, la nuit, quand mon mari revenait du travail, ma belle-mère et ses enfants l'interceptaient à la devanture de la maison, pour lui raconter des contrevérités sur moi”, raconte-t-elle. Lorsqu'elle s'en est ouverte à sa famille, son père lui a fait savoir que par principe, il était contre le divorce. Mais, il a fini par se rendre à l'évidence et accepter l'idée du divorce. Aujourd'hui, Raby s'exerce dans le commerce.

“Mon mari m'a demandé d'arrêter mes études”

Fatou Kiné* est longtemps sortie avec son mari, avant de convoler en justes noces. “Nous nous aimions comme Roméo et Juliette”. Cette femme, à l’allure d'une grande dame, au calme olympien, n'en revient toujours pas, de cette histoire qui s'est terminée en cauchemar : “Quand on s'est marié, je préparais mon Baccalauréat. Il était convenu entre nous qu’une fois mon diplôme en poche, j’allais continuer mes études supérieures, car mes parents comptaient sur ma réussite, étant donné que je suis leur aînée.

A ma grande surprise, quand j’ai eu mon premier diplôme universitaire, mon mari m'a demandé d'arrêter mes études, en arguant qu’on ne peut pas allier études et ménage”. Dans un premier temps, l'employée dans une entreprise de marketing de la place pensait que son mari n'était pas sérieux. Mais lorsqu'elle a su qu’il n’allait pas changer d'avis, elle a averti ses parents.

“Je ne savais pas quoi faire avec un mari qui m'avait menti sur une chose aussi importante que mon avenir. Je n’avais plus confiance en lui. Au début, je voulais céder, en laissant tomber mes études. Mais, après réflexion, je me suis dit que si jamais je laissais passer cela, il allait exiger autre chose”, se désole-t-elle. Aujourd'hui encore, avec son sourire d'ange, son nez aquilin, Fat, comme l'appelle les intimes, ne comprend pas comment son ex-mari a pu lui demander de choisir entre les études et le mariage.

La réplique des belles-familles

Les principaux accusés, à savoir les membres des belles-familles, ont été approchés par EnQuête. Ils balaient d'un revers de main certaines accusations qu’ils jugent gratuites. Dans la quasi-totalité des cas, les réponses sont unanimes et presque identiques. “Les filles actuelles veulent la facilité. Dites-moi quelle mère de famille dans ce monde va accepter qu’une fille, sortie de nulle part, vienne la séparer de son fils ? La plupart du temps, les filles viennent dans le domicile conjugal pour faire éclater la famille de leur époux. Elles vous disent qu'elles veulent un appartement à deux, alors qu'au moment où vous économisiez pour payer les frais de scolarité de votre fils, personne n’était là”, réplique mère Diallo.

Maman Yacine, elle, va plus loin. “Moi, dit-elle, j’ai vendu mes bijoux pour faire voyager mon fils. Donc, je ne laisserai aucune fille me le prendre ou le séparer de moi. J'enverrai balader toute fille, aussi belle soit-elle, qui tenterait de le faire”. Ferme, mère Yacine de marteler : “Du temps des vaches maigres, personne n’était là pour nous épauler. Aujourd’hui que tout est rose, que des profiteuses viennent me le voler, je ne l’accepterai jamais”. Son fils est à son deuxième mariage. Mais si, pour l'heure, les relations sont au beau fixe avec sa belle-fille, elle assure que cette dernière quittera le foyer conjugal, si elle essaie de semer la zizanie. “Ce n’est pas que je suis difficile, mais c’est cela ma philosophie en matière de couple”, conclut-elle.
* Noms d'emprunt

POURQUOI ÇA CASSE
En 2000, un mariage sur trois se soldait par un divorce au Sénégal, selon une étude de l’Institut de recherche pour le développement (Ird). Les chiffres ont galopé entre-temps, même si les statistiques ne déterminent pas le nombre exact de divorces enregistrés. Dans la même étude, l’Ird fournissait quelques explications, en soulignant que dans 80% des cas, c'est la femme qui avait demandé le divorce.

“Dans bien des cas, elles assurent à elles seules les revenus du couple, tout en restant sous l'autorité de leur mari. De ce fait, nombreuses sont celles qui souhaitent se libérer de la tutelle de leur conjoint. Ainsi, plus de la moitié des femmes interrogées à Dakar comme à Saint-Louis ont rompu le lien conjugal pour défaut d'entretien de leur époux. Les deux autres causes majeures de divorce sont le manque d'amour et les problèmes avec la belle-famille.”
Il ne suffit plus d’attendre plus d’une quinzaine d’années de vie commune, pour buter sur les écueils de la vie de couple. Désormais, après deux ou trois mois de mariage, des jeunes mariés découvrent la lune de fiel. Les masques tombent. Quels que soient l’âge et le statut social des deux partenaires, les regrets sont au tournant aussi bien chez les hommes que chez les femmes.
L'avis de Oustaz Alioune Sall

Interpellé sur la question, l’islamologue et célèbre animateur d’une émission religieuse sur la radio Sud Fm, Oustaz Alioune Sall ne manque d’inciter les hommes à un examen de conscience. “Ils ignorent ce qu’est la vie de couple, de même que le sens des responsabilités d’un mari. Ils assimilent le mariage à une simple partie de plaisir. Ils ont en tête l’idée qu’une épouse ne doit leur procurer que du bonheur à l’état pur. Si jamais ils ne trouvent pas leur compte dans leur mariage, ils les délaissent pour une autre. Cet esprit est contraire à la religion, de même qu’à la morale”, fait-il remarquer dans un bref entretien au téléphone.
Hommes divorcés

Malick Kane est un jeune cadre très à cheval sur la tradition et la religion. Il raconte son divorce : “J’ai dû me séparer de mon épouse, après 13 ans de vie commune intenable. Elle était invivable. Elle ne cherchait aucunement à me faire plaisir. Elle n’en faisait qu’à sa tête. Pendant deux ans, on a partagé le même toit, sans s’adresser la parole. J’ai voulu la maintenir à la maison dans l’intérêt des enfants, mais je n’en pouvais plus...”

Serigne Saliou Faye, la quarantaine, a connu deux mariages ratés. Il lui a fallu juste 6 mois de vie de couple pour se rendre compte de l'évidence : “Mon mariage, dit-il, est une catastrophe. J’ai fait preuve de compréhension, en vain”.
“Depuis notre mariage, ajoute-t-il, c’est la guerre. Entre jalousie, indiscipline, arrogance, irrespect, orgueil, suffisance, elle m’en a fait voir de toutes les couleurs. Mes proches me conseillaient la patience, mais j’étais déjà mort. Il y a des choses que je ne peux dire par pudeur. J’ai fait preuve de patience, d’endurance, pendant tout ce temps, mais il est difficile de savourer le bonheur de la vie de couple avec certaines femmes”. Selon lui, un problème de communication et le manque d'éducation à la vie conjugale sont fatals au mariage.

Mais comme d’autres hommes, il déplore que “le mougne” ne soit plus de mise. Si un couple dure, c’est parce que la femme tolère, quoi qu’il advienne. Même si l’homme est infidèle, c’est à la femme de le remettre sur le droit chemin. Vous êtes les piliers de la société, si un mariage réussit, c’est parce que la femme tolère beaucoup”, dit-il.

CHEIKH BA (PDT TRIBUNAL DÉPARTEMENTAL TIVAOUANE)
“SANS BASE SOLIDE, LES GENS PERDENT LEURS REPÈRES...”

En marge de l’Assemblée générale constitutive du Club de recherches et d’études sur les droits humains (CREDHO) dont il a été le président, EnQuête a interpellé le juge Cheikh Bâ sur la récurrence des divorces. D'emblée, il a relevé que les dossiers de divorce ont fini d’encombrer les rôles, au point que le couloir du tribunal départemental de Dakar est surnommé “Couloir de la mort conjugale”.

D’après son analyse, “c’est un phénomène qu’on voit plus en zone urbaine que rurale où la majeure partie des familles restent ancrées dans la tradition conjugale”. En d’autres termes, le mariage a perdu sa sacralité en zone urbaine. Car, argue-t-il, “ce sont des mariages qui se scellent différemment. Les gens n’ont pas la préparation, l’encadrement parental qu’il faut avant de sceller leur union”. La conséquence de cette situation, avance-t-il, “les divorces surviennent six mois après”.

Se faisant plus explicite, le juge Bâ d’ajouter, pour s’en désoler : “il est évident que lorsqu’on se rencontre dans une boite de nuit, dans un bar ou un supermarché, et qu'on se marie après quelques rencontres dans une brasserie, il y a toutes les déceptions, car on va vers l’inconnu. Or, le mariage est sacré”. Selon ses explications cette impréparation et méconnaissance des conjoints fait “qu’au bout de six mois, les gens se lassent et c’est la séparation”.

“Le reste : c’est la réalité sur le terrain conjugal et c’est beaucoup compliqué”. Sur sa lancée, le président du tribunal départemental de Tivaouane bat en brèche une certaine opinion qui lie la récurrence des divorces à la conjoncture. “Les gens évoquent des raisons économiques, moi je ne le pense pas. Car, dans les grandes villes comme Dakar, c’est un problème de métamorphose, de melting-pot culturel”, déplore le juge.
Et de poursuivre : “on rencontre la personne une première fois, on ne lui demande pas qui sont ses parents, mais on lui demande plutôt son statut professionnel Pour les femmes, mon mari est un expert, un magistrat ou un avocat Je pense que cela n’est pas suffisant pour constituer la base d’une vie conjugale”. Une vie conjugale, tonne le juge Bâ : “c’est beaucoup plus sérieux que ça, car on a vu un chauffeur et une domestique se marier et mourir ensemble”.
En conclusion, il pense que “ce n’est, ni le statut professionnel, ni la race qui fait le mariage” mais “tout un ensemble de paramètres qui font que s’il n’y a pas de base solide, les gens perdent leurs repères, leur dignité et leur patience”. Le revers est que, d’après son expérience, “parfois, il y a des couples qui viennent avec des raisons fantaisistes”.

MAMADOU NDONGO DIMÉ (SOCIOLOGUE)
"400 DIVORCES PRONONCÉS PAR MOIS"

Les divorces sont nombreux au Sénégal. Quelle analyse en faites-vous ?
Les statistiques semblent démontrer une explosion du divorce au Sénégal. En moyenne, à Dakar, par exemple, près de 400 cas de divorce sont prononcés par les tribunaux par mois. Ceci ne tient pas compte de la répudiation qui est l'autre forme de divorce. Il convient de souligner que les divorces sont de plus en plus “judiciarisés” par rapport au passé. Pour bien comprendre ce phénomène, il est important de souligner le caractère incontournable du mariage au Sénégal. Dans l'imaginaire populaire, le mariage est la consécration pour toute femme, comme le mettent en exergue les chansons populaires et les maximes des différentes ethnies. Le divorce, parce qu'il fragilise cette solide institution sociale qu'est le mariage, est souvent plus amplifié...

Quelles en sont les causes les plus fréquentes ?

Les chocs économiques vécus par les Sénégalais : précarité socio-économique chez les jeunes générations, chômage, incertitude quant à l'avenir, bref ce que le discours populaire résume par l'expression de “manque d'argent”, contribuent à une fragilisation des unions, à une redéfinition des statuts et rôles des hommes et des femmes. Le rôle de l'homme pourvoyeur de revenus et de la femme maîtresse du foyer est totalement remis en question par les évolutions sociales et économiques. La femme, surtout celle jeune, professionnelle et scolarisée, revendique plus d'autonomie et une redéfinition des relations de couple dans le sens de plus d'égalité, alors que les hommes, même scolarisés, sont restés prisonniers de schèmes de référence plus conservateurs quant au rôle de l'épouse et à ses relations d'avec la belle-famille, par exemple. De plus, la valeur qui contribuait à solidifier les couples dans le passé et qui faisait en sorte que les personnes mariées arrivaient à supporter stoïquement et souvent en se faisant violence est beaucoup remise en question aujourd'hui par les jeunes générations. Il s'agit en l'occurrence du “mougne” (patience) qui faisait qu'on arrivait à accepter sans broncher les humiliations, l'adversité et à faire don de soi dans le mariage.

En quoi la polygamie est-elle source de divorce ?

Elle se retrouve parmi les causes des divorces faits selon la forme judiciaire. L'arrivée d'une co-épouse est invoquée comme motif de séparation ou bien les tensions générées par celle-ci dans l'espace conjugal fragilisent davantage l'union ou bien accélèrent le processus de séparation. Elle est certes prépondérante, mais pas l'unique cause. (Mais) il convient de privilégier une lecture éclatée qui fait ressortir les contrastes et l'hétérogénéité des trajectoires matrimoniales se soldant par un divorce.

Les motifs invoqués sont pluriels. Par exemple, dans les cas de divorce prononcés par les tribunaux, l'un des motifs les plus récurrents est le défaut d'entretien par le mari. Ce qui met en lumière la persistance d'une conception traditionnelle des rôles sociaux de sexe, malgré les évolutions en cours, notamment du côté des femmes.
Ce défaut d'entretien ne revêt pas la même connotation selon les catégories sociales. Il est clair que la précarité socio-économique, les incertitudes économiques et l'ampleur du chômage chez les jeunes, bref les multiples chocs encaissés par la société sénégalaise mettent à rude épreuve les institutions sociales. Le mariage n'y échappe pas, puisque la famille n'est pas une enclave préservée des turbulences affectant la société dans son ensemble..

ENQUETEPLUS



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