Pourquoi la fragile Mauritanie, encore convalescente de la grave crise des années 89-90, s’évertue-t-elle dangereusement à titiller ses vieux démons ; notamment celui de la fracture raciale ?
Difficile de comprendre cette auto-fragilisation au moment où le pays est confronté au défi de la démocratie et à la menace du terrorisme. Le besoin de statistiques fiables pour un aménagement optimal du territoire et une planification économique, n’expliquent pas tout.
Dans ce pays sociologiquement en fusion heurtée, le recensement national est plus qu’un exercice administratif de routine.
Il est un enjeu politique.
Pas étonnant donc que la Mauritanie reste, depuis plus de trente ans, le seul pays au monde où les chiffres liés à démographie, relève du secret-défense. « Le plus grand danger qui menace présentement la cohésion nationale est le recensement en cours. Il faut revoir cette affaire qui suscite d’innombrables interrogations et de protestations dans certaines de nos villes ».
Ces propos du Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, sont le meilleur baromètre de la montée des périls découlant de l’enrôlement lancé, en mai dernier, pour officiellement mettre en place un nouveau système d’identification des Mauritaniens. Administratif, technique et routinier dans tous les pays du monde, le recensement démographique est, en Mauritanie, une opération grandement redoutée. Tant ses résultats (données chiffrées et fiables sur la population) conditionnent le destin politique de ce pays multiracial, multiethnique et multiculturel.
D’où la contestation anti-recensement qui fait vibrer, sur une grande échelle, les fondations de l’entité mauritanienne. A juste raison. Car les modalités de l’enrôlement sont diablement inflammables. Singulièrement le libellé des questions réservées aux populations négro-mauritaniennes. Et, surtout, la nature des pièces introuvables qui leur sont fortement exigées. Exemples surréalistes et provocateurs : le lieu de naissance du père du père ; les extraits ou bulletins de naissance de l’arrière grand-père etc.
Comme si la colonie de Mauritanie –administrée depuis Saint-Louis du Sénégal – ne faisait pas partie de l’Afrique Occidentale Française (AOF) jusqu’à son indépendance obtenue le 28 novembre 1960. Paradoxalement, le recensement ne pose aucune difficulté aux centaines de Touaregs (anciennement réfugiés maliens) que le régime du Président Ould Taya avait fixés sur la vallée du Fleuve, afin de « dénégrifier » le sud mauritanien, par un rééquilibrage des données démographiques.
Par ailleurs, l’enrôlement ne connaît bizarrement aucun hic dans les deux Hodh, c’est-à-dire les régions de Néma et d’Ayoun-el-Atrouss (le grand Est frontalier du Mali) amputé du Soudan français, et tardivement rattaché à la Mauritanie vers les années 40 par le gouverneur Christian Laigret. Pourtant, ces zones sont peuplées de gens à la nationalité ambiguë ou fluctuante. Feu le Colonel Cheikh Ould Boyde, longtemps patron de la gendarmerie mauritanienne, né de mère bambara, serait-il, aujourd’hui, éconduit ou accepté par les agents de recensement ? Sa fille, Mme Cissé Khady Mint Cheikh Ould Boyde, actuelle ministre de la Culture, est-elle de nationalité clairement mauritanienne ou équivoque ?Et que dire de l’ex-maire d’Akjoujt, Maurice Benza né de père antillais ?
Décidément, les opérations d’enrôlement du Général Abdelaziz ont un caractère ubuesque. Si l’on y ajoute le fait que la majorité des enquêteurs sont en majorité maures, on saisit bien la fureur sans bornes des Toucouleurs, Ouolofs et autres Soninkés de Mauritanie. Eux qui, aux heures sombres de l’Histoire récente de la Mauritanie (guerre du Sahara 1976-1978), ont quitté le Gorgol, le Guidimakha et le Brakna, pour aller jusqu’au Guelta Zemmour, défendre jusqu’au sacrifice suprême, la souveraineté de leur patrie pluriethnique et multilinguistique.
Ce n’est alors guère surprenant que les Mauritaniens issus des trois ethnies précitées soient les animateurs du mouvement « Touche pas à ma nationalité » qui fait barrage à ce recensement dont le but ultimement visé, est d’exclure administrativement les Noirs de leur pays. Sinistre répétition ou bégaiement de l’Histoire : après la déportation hors des frontières ; c’est désormais le ghetto qui fait du citoyen, un métèque chez lui. On en arrive à admettre – même si la balkanisation à la soudanaise est inacceptable et inappropriée – que les théoriciens et fondateurs du Front de Libération du Walo, du Fouta et du Guidimakha (Walfougui) n’avaient pas tort dans l’absolu.
L’épicentre prévisible de la révolte (la vallée du Fleuve Sénégal) est évidemment la zone la plus quadrillée et la plus violemment traitée par les forces de l’ordre. Toute la willaya du Gorgol, c’est-à-dire la région de Kaédi, est sous contrôle policier. Outre le chef-lieu Kaédi, les villes de Maghama et de Mouqata ont été calcinées par la spirale révolte-répression. Même la ville très métissée de Rosso, capitale du Trarza, est touchée par la bourrasque anti-recensement. De facto, l’autorité civile (gouverneurs et préfets) s’est liquéfiée au profit de l’appareil militaro sécuritaire. Preuve que l’Etat républicain du Général Mohamed Ould Abdelaziz est un vernis qui craquelle au moindre choc.
Preuve également que l’option sécuritaire est privilégiée : le commissaire directeur de la Sûreté régionale de Kaédi a été limogé puis remplacé au pied levé, par le commissaire Ely Ould Moktar de la Sûreté de l’Air qui coiffe l’aéroport de Nouakchott. Plus visible encore, est la navrante distribution raciale des responsabilités dans la répression en cours dans la vallée. Par un cynisme innommable, le Président Aziz a envoyé contre les militants de « Touche pas à ma nationalité », les deux corps paramilitaires (gendarmerie et garde nationale) commandées par les Généraux Ndiaga Dieng et Félix Nigri.
Deux officiers généraux (noirs) natifs de la ville de Boghé. Conséquence, la vieille recette du « diviser pour régner » a marché parfaitement ; puisque la ville n’a pas bougé. Ironie du sort – pardon, du jeu du gouvernement de Nouakchott – le Général Ndiaga Dieng est le fils d’un tailleur originaire de Saint-Louis ; tandis que le Général Félix Nigri descend d’un grand-père italien et d’une maman toucouleur de Podor. Question : ces deux Généraux qui répriment les manifestants du « Touche pas à ma Nationalité » sont-ils, eux-mêmes, recensables ? En dehors de son caractère attentatoire à l’unité et à la stabilité, le recensement cache subsidiairement une orientation anti-sénégalaise.
De plus en plus appuyée, avec la rafle des Sénégalais du quartier Médina 3 que le ministre de l’Intérieur Sid’Ahmed Ould Boilil présente comme des éléments étrangers qui manipulent les révoltés du « Touche pas à ma nationalité ». Tout se passe comme si le Président Aziz cherche à transposer la dégradation de ses relations avec Wade, sur les péripéties d’un recensement périlleusement amorcé. A l’intérieur comme à l’extérieur de la Mauritanie, le recensement diffuse ses ondes de choc. En effet, l’opération d’identification constitue du pain béni pour une opposition (toutes sensibilités confondues) secrètement contente de voir l’homme fort de Nouakchott s’en mêler fatalement les pinceaux dans une affaire politiquement explosive.
Par Babacar Justin Ndiaye
Difficile de comprendre cette auto-fragilisation au moment où le pays est confronté au défi de la démocratie et à la menace du terrorisme. Le besoin de statistiques fiables pour un aménagement optimal du territoire et une planification économique, n’expliquent pas tout.
Dans ce pays sociologiquement en fusion heurtée, le recensement national est plus qu’un exercice administratif de routine.
Il est un enjeu politique.
Pas étonnant donc que la Mauritanie reste, depuis plus de trente ans, le seul pays au monde où les chiffres liés à démographie, relève du secret-défense. « Le plus grand danger qui menace présentement la cohésion nationale est le recensement en cours. Il faut revoir cette affaire qui suscite d’innombrables interrogations et de protestations dans certaines de nos villes ».
Ces propos du Président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, sont le meilleur baromètre de la montée des périls découlant de l’enrôlement lancé, en mai dernier, pour officiellement mettre en place un nouveau système d’identification des Mauritaniens. Administratif, technique et routinier dans tous les pays du monde, le recensement démographique est, en Mauritanie, une opération grandement redoutée. Tant ses résultats (données chiffrées et fiables sur la population) conditionnent le destin politique de ce pays multiracial, multiethnique et multiculturel.
D’où la contestation anti-recensement qui fait vibrer, sur une grande échelle, les fondations de l’entité mauritanienne. A juste raison. Car les modalités de l’enrôlement sont diablement inflammables. Singulièrement le libellé des questions réservées aux populations négro-mauritaniennes. Et, surtout, la nature des pièces introuvables qui leur sont fortement exigées. Exemples surréalistes et provocateurs : le lieu de naissance du père du père ; les extraits ou bulletins de naissance de l’arrière grand-père etc.
Comme si la colonie de Mauritanie –administrée depuis Saint-Louis du Sénégal – ne faisait pas partie de l’Afrique Occidentale Française (AOF) jusqu’à son indépendance obtenue le 28 novembre 1960. Paradoxalement, le recensement ne pose aucune difficulté aux centaines de Touaregs (anciennement réfugiés maliens) que le régime du Président Ould Taya avait fixés sur la vallée du Fleuve, afin de « dénégrifier » le sud mauritanien, par un rééquilibrage des données démographiques.
Par ailleurs, l’enrôlement ne connaît bizarrement aucun hic dans les deux Hodh, c’est-à-dire les régions de Néma et d’Ayoun-el-Atrouss (le grand Est frontalier du Mali) amputé du Soudan français, et tardivement rattaché à la Mauritanie vers les années 40 par le gouverneur Christian Laigret. Pourtant, ces zones sont peuplées de gens à la nationalité ambiguë ou fluctuante. Feu le Colonel Cheikh Ould Boyde, longtemps patron de la gendarmerie mauritanienne, né de mère bambara, serait-il, aujourd’hui, éconduit ou accepté par les agents de recensement ? Sa fille, Mme Cissé Khady Mint Cheikh Ould Boyde, actuelle ministre de la Culture, est-elle de nationalité clairement mauritanienne ou équivoque ?Et que dire de l’ex-maire d’Akjoujt, Maurice Benza né de père antillais ?
Décidément, les opérations d’enrôlement du Général Abdelaziz ont un caractère ubuesque. Si l’on y ajoute le fait que la majorité des enquêteurs sont en majorité maures, on saisit bien la fureur sans bornes des Toucouleurs, Ouolofs et autres Soninkés de Mauritanie. Eux qui, aux heures sombres de l’Histoire récente de la Mauritanie (guerre du Sahara 1976-1978), ont quitté le Gorgol, le Guidimakha et le Brakna, pour aller jusqu’au Guelta Zemmour, défendre jusqu’au sacrifice suprême, la souveraineté de leur patrie pluriethnique et multilinguistique.
Ce n’est alors guère surprenant que les Mauritaniens issus des trois ethnies précitées soient les animateurs du mouvement « Touche pas à ma nationalité » qui fait barrage à ce recensement dont le but ultimement visé, est d’exclure administrativement les Noirs de leur pays. Sinistre répétition ou bégaiement de l’Histoire : après la déportation hors des frontières ; c’est désormais le ghetto qui fait du citoyen, un métèque chez lui. On en arrive à admettre – même si la balkanisation à la soudanaise est inacceptable et inappropriée – que les théoriciens et fondateurs du Front de Libération du Walo, du Fouta et du Guidimakha (Walfougui) n’avaient pas tort dans l’absolu.
L’épicentre prévisible de la révolte (la vallée du Fleuve Sénégal) est évidemment la zone la plus quadrillée et la plus violemment traitée par les forces de l’ordre. Toute la willaya du Gorgol, c’est-à-dire la région de Kaédi, est sous contrôle policier. Outre le chef-lieu Kaédi, les villes de Maghama et de Mouqata ont été calcinées par la spirale révolte-répression. Même la ville très métissée de Rosso, capitale du Trarza, est touchée par la bourrasque anti-recensement. De facto, l’autorité civile (gouverneurs et préfets) s’est liquéfiée au profit de l’appareil militaro sécuritaire. Preuve que l’Etat républicain du Général Mohamed Ould Abdelaziz est un vernis qui craquelle au moindre choc.
Preuve également que l’option sécuritaire est privilégiée : le commissaire directeur de la Sûreté régionale de Kaédi a été limogé puis remplacé au pied levé, par le commissaire Ely Ould Moktar de la Sûreté de l’Air qui coiffe l’aéroport de Nouakchott. Plus visible encore, est la navrante distribution raciale des responsabilités dans la répression en cours dans la vallée. Par un cynisme innommable, le Président Aziz a envoyé contre les militants de « Touche pas à ma nationalité », les deux corps paramilitaires (gendarmerie et garde nationale) commandées par les Généraux Ndiaga Dieng et Félix Nigri.
Deux officiers généraux (noirs) natifs de la ville de Boghé. Conséquence, la vieille recette du « diviser pour régner » a marché parfaitement ; puisque la ville n’a pas bougé. Ironie du sort – pardon, du jeu du gouvernement de Nouakchott – le Général Ndiaga Dieng est le fils d’un tailleur originaire de Saint-Louis ; tandis que le Général Félix Nigri descend d’un grand-père italien et d’une maman toucouleur de Podor. Question : ces deux Généraux qui répriment les manifestants du « Touche pas à ma Nationalité » sont-ils, eux-mêmes, recensables ? En dehors de son caractère attentatoire à l’unité et à la stabilité, le recensement cache subsidiairement une orientation anti-sénégalaise.
De plus en plus appuyée, avec la rafle des Sénégalais du quartier Médina 3 que le ministre de l’Intérieur Sid’Ahmed Ould Boilil présente comme des éléments étrangers qui manipulent les révoltés du « Touche pas à ma nationalité ». Tout se passe comme si le Président Aziz cherche à transposer la dégradation de ses relations avec Wade, sur les péripéties d’un recensement périlleusement amorcé. A l’intérieur comme à l’extérieur de la Mauritanie, le recensement diffuse ses ondes de choc. En effet, l’opération d’identification constitue du pain béni pour une opposition (toutes sensibilités confondues) secrètement contente de voir l’homme fort de Nouakchott s’en mêler fatalement les pinceaux dans une affaire politiquement explosive.
Par Babacar Justin Ndiaye