Le monde des affaires a appris avec émotion le décès accidentel de Christophe de Margerie, PDG du groupe pétrolier Total, ce lundi 20 octobre dans le crash de son avion privé à l'aéroport de Vnoukovo, à Moscou. Il était âgé de 63 ans.
Les services de l'aéroport russe ont précisé dans un communiqué sur l'accident que peu avant minuit, heure locale, alors que la visibilité est de 350 m, le jet privé Falcon 50 de l'homme d'affaires a heurté sur la piste une déneigeuse, dont le conducteur était en état d'ivresse. Le choc, qui a atteint l'avion au niveau du train d'atterrissage, s'est produit alors que le jet était en phase de décollage.
Christophe de Margerie est devenu à 55 ans le nouveau du groupe pétrolier Total, la plus grande et la plus riche des entreprises françaises.
Il y avait bien chez lui cette bonhomie et cette rondeur qui lui ont valu le surnom de «Big Moustache» dans la maison. Son franc-parler et son refus de l'étiquette qui plaisaient tant aux collaborateurs. Cette originalité et cet humour pince-sans-rire qui apportaient un peu de chaleur dans ce monde de bruts.
L'homme est bien né. Par sa mère, Colette Taittinger, il est le petit-fils du fondateur de la maison de luxe. Par son père, Pierre-Alain Jacquin de Margerie – «un homme redoutable», dit-il –, il descend d'une dynastie qui a pourvu la France d'ambassadeurs et de chefs d'entreprise. Ce gamin « timide et solitaire » a fréquenté des écoles privées portant toutes un nom de saint. Il répète que « la famille, c'est sacré ». On céderait bien au cliché de l'aristo-catho-diplo.
Quinze ans à sillonner le monde l'ont rompu aux subtilités des négociations avec les bouillants pétroliers vénézuéliens, les hiérarques russes, les pays africains assoiffés de pétrodollars, les satrapes d'Asie centrale. Et surtout les princes du Golfe qui possèdent les deux tiers des réserves d'or noir de la planète.
Il a une passion pour la vitesse comme son père, court et gagne des compétitions de karting, s'est longtemps fait verbaliser à bord de grosses cylindrées. Mais c'est dans le baril qu'il est tombé en 1974. «Par hasard», dit-il. A 22 ans, le jeune Sup de Co Paris préfère Total à IBM ou Alcatel, parce que le siège de la « vieille dame d'Auteuil », dans le 16e arrondissement de Paris, est à deux pas de chez lui.
La multinationale est aujourd'hui dans le top 20 des entreprises mondiales, et Margerie n'y est pas pour rien. « C'est au Moyen-Orient que j'ai éclos », confie-t-il. En 1992, Serge Tchuruk, alors PDG du groupe, lui confie la responsabilité du commerce pour cette vaste zone. Trois ans plus tard, il devient le patron de l'exploration-production. Il y apprend le respect des cultures plus que le choc des civilisations et y noue de solides amitiés. Il y écrit aussi le vade-mecum du bon pétrolier : accepter de faire antichambre de longues heures, ne pas entrer brutalement dans le vif du sujet, négocier jusqu'au bout de la nuit. « Rien ne remplace la chaleur humaine et la poignée de main, professe-t-il. Vous n'arrachez jamais un contrat au téléphone. »
S'il s'est assis aujourd'hui dans le vaste bureau du 44e étage de la tour Total à la Défense, c'est qu'il était « légitime », disent les grands barons de la maison. Il a accompagné et parfois devancé les projets de ses boss, Serge Tchuruk puis Thierry Desmarest. Il a su décrocher des permis d'exploitation pour renouveler et gonfler les réserves du groupe. Miser plusieurs milliards de dollars sur les huiles lourdes du Venezuela, les sables bitumineux du Canada et le gaz naturel liquéfié du Golfe. Plier sans rompre face au réveil du nationalisme pétrolier.
Aujourd’hui c’est tout un pays qui est sous le choc mais aussi des pays frères et amis où Christophe de Margerie représentait son groupe. Au Sénégal Total est la première entreprise pétrolière et des milliers de Sénégal lui ont témoigné leurs confiances en souscrivant des actions très récemment. Mais le Sénégal est aussi endeuillé puisque nous comptons deux compatriotes dans son entourage immédiat : Momar Nguer est Directeur de la branche Aviation du Groupe Total et membre du Comité Directeur et l’homme d’affaires Ibrahim Gueye est administrateur de la Fondation familiale Marzac présidée par la soeur du défunt, Victoire de Margerie.
La disparition du patron de Total, Christophe de Margerie, pose la question de sa succession. Total est un géant de l'industrie et un navire très lourd à piloter. Le mandat de Christophe de Margerie en tant que président directeur général arrivait à échéance en 2015 mais, au printemps dernier, les actionnaires du groupe avait décidé d'allonger l'âge limite pour qu'il puisse poursuivre sa mission au-delà de 65 ans qu'il allait atteindre en 2016.
Si Christophe de Margerie s'est toujours refusé à évoquer le nom du possible dauphin, la culture chez Total est généralement de confier le poste de Directeur général ou de Pdg à un homme de la maison. Plusieurs noms sont évoqués par les fins connaisseurs de la maison. Philippe Boisseau, ingénieur du corps des Mines, actuel directeur général Marketing et Services ; Patrick Pouyanné, polytechnicien, aujourd'hui directeur général de la branche raffinage. Tous deux sont membres du comité exécutif, l’organe de pilotage du groupe.
Amadou Barry
Journaliste