Le 12 juin 1923, alors qu’au nom de la libre concurrence il avait toujours combattu les entreprises bordelaises qui exerçaient le monopole sur le commerce dans la colonie du Sénégal, le député Blaise Diagne, contre toute attente, passait un accord de réconciliation avec leurs représentants en métropole. C’est ce qu’on appela le « Pacte de Bordeaux » : un modus vivendi entre deux parties jusqu’alors résolument opposées dans la gestion administrative, économique et financière de notre pays.
La nouvelle souleva un tollé au sein de l’élite indigène et aussi dans les groupes d’intérêts formés par les petits commerçants français, libanais et marocains établis dans la colonie.
Cet épisode de notre passé colonial va nous servir de prétexte pour revisiter la trajectoire politique du premier député africain qui fut un précurseur à maints égards. Ce faisant, nous apporterons un éclairage nouveau sur la réalité historique, notamment dans certains de ses aspects jusqu’ici négligés ou méconnus par les auteurs.
Cette analyse n’a pas cependant la prétention d’être exhaustive.
I. Les premiers signes de l’éveil politique au Sénégal
A l’époque qui nous occupe, selon Blaise Diagne lui-même, le Sénégal comptait deux grandes divisions administratives :
1) Un pays d’administration directe, formé des villes de Saint Louis, Dakar, Rufisque et Gorée, auxquelles s’ajoutaient les escales du fleuve de Dagana à Bakel, les territoires annexés sur l’axe Saint-Louis-Gorée c’est-à-dire toute la côte comprenant le Gandiol, le Diender, la presqu’île du Cap-Vert. Il y avait en plus Sally-Portugal, Joal et Kaolack.
2) Un pays de protectorat administré avec la participation des autorités indigènes et dont les populations étaient des « sujets français protégés, gouvernés selon leurs coutumes en rapport avec les principes de la Civilisation »
La victoire de Blaise Diagne le 10 Mai 1914 à l’élection du député du Sénégal fut un événement marquant, dans notre histoire politique coloniale. C’était la fin d’une longue époque de domination de la vie politique sénégalaise par les Blancs et les Mulâtres et l’avènement de l’élite indigène qui depuis la promulgation du code civil en 1830 dans la colonie, participait à la vie politique qui cependant ne fut permanente qu’avec l’avènement de la IIIe République en France en 1870. Les organes suivants de la République furent introduits ou réintroduits : Les conseils municipaux, le conseil général et la députation. Il fallut attendre le début du XXe siècle pour voir les signes annonciateurs de l’éveil politiques des Noirs.
La laïcisation de l’école française initiée au Sénégal par Faidherbe renforcée par la IIIe République y fut pour beaucoup. A Saint-Louis d’abord, chef-lieu de la colonie, cette ouverture à la politique locale et à la démocratie se manifesta avec la création d’associations de jeunes membres de l’élite (fonctionnaires, agents des postes, employés de commerce …) qui se rencontraient pour discuter des questions d’intérêt politique, social, culturel, en rapport avec l’organisation de la société coloniale, eu égard à leurs besoins et aspirations au même titre que les Blancs et les Mulâtres. Finalement ce fut la naissance en 1912 du parti Jeunes Sénégalais qui sans être une véritable formation politique prenait position dans le débat politique et pour exprimer ses opinions, participa au financement d’un journal (La Démocratie) fondé en 1913 par un Blanc libéral Jean Daramy D’oxoby. Parmi ces jeunes saint-louisiens, il y’avait Lamine Gueye, Amadou Ndiaye Dugay Clédor (Soudanais devenu Sénégalais dont le nom d’origine était Bandiougou Kélétigui Diarra), Moustaphe Malick Gaye et Aby Kane Diallo, tous instituteurs.
La laïcisation de l’école française initiée au Sénégal par Faidherbe renforcée par la IIIe République y fut pour beaucoup. A Saint-Louis d’abord, chef-lieu de la colonie, cette ouverture à la politique locale et à la démocratie se manifesta avec la création d’associations de jeunes membres de l’élite (fonctionnaires, agents des postes, employés de commerce …) qui se rencontraient pour discuter des questions d’intérêt politique, social, culturel, en rapport avec l’organisation de la société coloniale, eu égard à leurs besoins et aspirations au même titre que les Blancs et les Mulâtres. Finalement ce fut la naissance en 1912 du parti Jeunes Sénégalais qui sans être une véritable formation politique prenait position dans le débat politique et pour exprimer ses opinions, participa au financement d’un journal (La Démocratie) fondé en 1913 par un Blanc libéral Jean Daramy D’oxoby. Parmi ces jeunes saint-louisiens, il y’avait Lamine Gueye, Amadou Ndiaye Dugay Clédor (Soudanais devenu Sénégalais dont le nom d’origine était Bandiougou Kélétigui Diarra), Moustaphe Malick Gaye et Aby Kane Diallo, tous instituteurs.
A cette même époque, à Dakar, la communauté léboue confrontée aux sempiternelles spoliations et aux déguerpissements était depuis la moitié du XIXe siècle, engagée dans la lutte pour la reconnaissance de ses droits fonciers par le pouvoir colonial. Et pour atteindre son but, elle se servait des instruments politiques (députation) et juridiques (instances judiciaires locales et métropolitaines) mis à la disposition des citoyens. Mais il existait un réel clivage entre les deux parties de la colonie : la capitale Saint-Louis d’une part et d’autre part, Dakar, Rufisque et Gorée, les autres composantes de la zone d’administration directe. Cette situation était due aux effets conjoints de la modernité et de l’assimilation politique et culturelle ; plus prégnants dans la ville de Faidherbe où cohabitaient durant plusieurs siècles les négociants blancs et les traitants noirs. Elle était entretenue par l’administration coloniale avec la complicité de la presse alors naissante dans la colonie. Le corps électoral était divisé en deux arrondissements dont la capitale et ses dépendances formaient le premier, Dakar et sa zone le deuxième. Selon Thierno Amat Mbengue, la jonction entre les deux mouvements saint-lousien et lebou, mûs en forces politiques pour le même combat d’égale dignité, s’opéra à l’initiative de la communauté léboue.
Ce Lébou dakarois avait fréquenté l’école Blanchot de Saint-Louis et était devenu un fidèle partisan de Diagne, il sera conseil municipal à Dakar et membre du conseil général devenu conseil colonial en 1920.Selon lui, la collectivité Léboue avait proclamé Blaise Diagne candidat et elle avait envoyé une délégation à Saint Louis pour informer les indigènes « domu ndar » en wolof et leur demander leur soutien parce qu’elle « avait toujours fidèlement misé pour les candidats présentés à ses suffrages par Saint Louis ». Ce propos rapporté par l’historien américain Wesley Johnson en 1972 corrobore l’apparition des signes de l’éveil de la conscience politique africaine face à la traditionnelle politique du diviser pour régner même si (il est vrai) jusqu’au début du siècle les électeurs lébous, faute d’avoir un candidat autochtone, ne pouvaient soutenir que des candidats issus de Saint Louis ou baséslà-basqui étaient tous Blancs ou Mulâtres.
Déjà en 1909 le saint-louisien Galandou Diouf établi à Rufisque, ancien instituteur devenu employé de commerce, avait été élu membre du Conseil général grâce au vote des lebous de cette ville. Ce fut Galandou Diouf et Mody Mbaye un autre saint-louisien ancien instituteur mais révoqué pour « insoumission », qui accompagnèrent Diagne lors de sa rencontre avec les dignitaires lébous de Dakar au début de sa campagne électorale de 1914. Avant le voyage du candidat Diagne à Saint-Louis, ils l’y précédèrent pour préparer avec les responsables du parti Jeunes Sénégalais et, ceux de l’Aurore, une association culturelle, la première réunion publique d’information du candidat député. Le ralliement des Français libéraux Jean d’Oxoby et Jules Sergent un cabaretier principal soutien financier du journal « La Démocratie » permit à Diagne de disposer d’une tribune pour la réalisation et la défense des idéaux républicains d’égalité, de liberté et de fraternité. Tous étaient partisans de l’assimilation.
Déjà en 1909 le saint-louisien Galandou Diouf établi à Rufisque, ancien instituteur devenu employé de commerce, avait été élu membre du Conseil général grâce au vote des lebous de cette ville. Ce fut Galandou Diouf et Mody Mbaye un autre saint-louisien ancien instituteur mais révoqué pour « insoumission », qui accompagnèrent Diagne lors de sa rencontre avec les dignitaires lébous de Dakar au début de sa campagne électorale de 1914. Avant le voyage du candidat Diagne à Saint-Louis, ils l’y précédèrent pour préparer avec les responsables du parti Jeunes Sénégalais et, ceux de l’Aurore, une association culturelle, la première réunion publique d’information du candidat député. Le ralliement des Français libéraux Jean d’Oxoby et Jules Sergent un cabaretier principal soutien financier du journal « La Démocratie » permit à Diagne de disposer d’une tribune pour la réalisation et la défense des idéaux républicains d’égalité, de liberté et de fraternité. Tous étaient partisans de l’assimilation.
II. Le Diagnisme radical
Le pari gagné le 10 mai 1914 et les recours introduits par ses adversaires pour invalider son élection rejetés, la première guerre mondiale 1914-1918 éclata. Comme la défense de la patrie est un devoir du citoyen Diagne fit deux propositions de loi permettant aux indigènes originaires des quatre communes, de servir dans l’Armée française et non parmi les Tirailleurs sénégalais, pour la reconnaissance pleine et entière de leur statut de citoyens français. Galandou Diouf et Lamine Gueye qui s’enrôlèrent dans l’armée française purent bénéficier de ces lois Blaise Diagne de 1915 et 1916 pour accéder à une position sociale d’égale dignité avec les Blancs.
Diagne fit élire un Mulâtre saint-louisien, Louis Guillabert, un de ses sympathisants, président du Conseil Général.
Ce n’était que les prémices de ce qui allait être l’hégémonie des Noirs dans la vie politique de la colonie. Aux élections municipales de 1920. Saint-Louis, Dakar et Rufisque (Gorée sera intégrée à Dakar en 1929) tombaient aux mains des partisans de Blaise Diagne.
L’inquiétude fut donc grande du côté du gros commerce bordelais car c’était l’après-guerre avec les préoccupations de relance économique et, le nouveau député dans ses promesses de campagne déclarait vouloir s’attaquer au monopole exercé par ces entreprises dans le commerce import-export et qui, de surcroit, contrôlaient la Banque de l’Afrique Occidentale (BAO) seule banque d’émission de dépôt et de crédit. Ce qui ne favorisait pas la libre concurrence, au grand dam des entreprises marseillaises, lyonnaises et surtout des petits commerçants français, libanais, marocains. Blaise Diagne venait d’être réélu député en 1919. Mais pour ses adversaires bordelais, ce n’était pas faute d’avoir essayé de l’affaiblir politiquement et de faire élire leur candidat. Ils cherchèrent d’abord à briser l’unité des originaires (les indigènes citoyens) lébous et saint-louisiens en demandant le transfert de la capitale de Saint-Louis à Dakar.
Ensuite, ils choisirent des villes où Blaise Diagne avait été battu au second tour de l’élection de 1914 pour proposer leur érection en commune de plein exercice (les citoyens pouvaient s’installer aussi bien dans leur commune qu’ailleurs dans la colonie). Tous ces projets étaient soutenus par l’administration coloniale et devaient être apprêtés pour la procédure de validation à la Chambre. Mais Diagne, soutenu par L. Guillabert Président du Conseil Général put déjouer toutes les manœuvres de ses adversaires. Le bras de fer se poursuivit quand le député fut nommé Commissaire chargé du Recrutement des Troupes en AOF en 1918. Pour des raisons essentiellement économiques, les maisons de commerce bordelaises auxquelles s’étaient ajoutées les marseillaises et lyonnaises prirent position contre le recrutement, soutenus en cela par le Gouverneur Général de l’AOF Jost Van Vollenhoven.
Nous ne nous arrêterons pas sur l’acceptation de cette fonction par Diagne qui fut l’objet de vives critiques au sein de l’élite indigène. Il est vrai que celle-ci était peu nombreuse à l’époque. Républicain, sensible peu ou prou à l’appel du Président du Conseil G. Clemenceau pour qui, par ce geste « La France élevait les populations de l’AOF jusqu’à elle ». Blaise Diagne avait réclamé des contreparties visant à développer différentes facettes de la « Civilisation » en Afrique noire avec la création d’écoles d’agriculture, d’élevage, de médecine mais aussi l’amélioration des conditions de vie par l’apport des avantages matériels des communes dans les campagnes, par des compensations financières versées aux recrutés et à leurs familles. Il y avait aussi le statut juridique avec l’extension de la citoyenneté dans les colonies. Les opérations de recrutement permirent à la France d’envoyer sur divers fronts des Tirailleurs noirs venus d’Afrique. Le contexte politique de l’après-guerre paraissait favorable : la révolution bolchevique de 1917, la diffusion des idées libérales du président des Etats-Unis Wilson et la création de la Société des Nations (SDN) en 1919 puis la mise sous la tutelle des vainqueurs (Angleterre, France) des colonies allemandes et ottomanes à charge de les préparer à l’émancipation. C’est au Conseil Général que les partisans de Diagne firent monter la pression.
Sous la houlette de Guillabert se manifesta, ce qu’Iba Der Thiam appela « une fronde contestataire ». En tout état de cause, les espoirs étaient déçus. Bien entendu le monopole des Bordelais fut attaqué mais aussi « l’autoritarisme » et le jacobisme du Gouverneur Général de l’AOF, dont l’appartenance du Sénégal à la fédération des territoires fut même dénoncée comme un obstacle au progrès matériel et social des indigènes. En cause, la participation la plus élevée que versait notre pays dans le budget fédéral, Guillabert demanda un régime d’autonomie pour le Sénégal à défaut de le sortir de la fédération. La presse parisienne se fit l’écho de ce climat de contestation et, selon W. Johnson, Blaise Diagne fut taxé de séparatisme, il était accusé de pratiquer le double jeu qui consistait à prêcher la « loyauté envers la France » à Paris et le « self-governement » pour les Africains quand il était au Sénégal.
Nous ne nous arrêterons pas sur l’acceptation de cette fonction par Diagne qui fut l’objet de vives critiques au sein de l’élite indigène. Il est vrai que celle-ci était peu nombreuse à l’époque. Républicain, sensible peu ou prou à l’appel du Président du Conseil G. Clemenceau pour qui, par ce geste « La France élevait les populations de l’AOF jusqu’à elle ». Blaise Diagne avait réclamé des contreparties visant à développer différentes facettes de la « Civilisation » en Afrique noire avec la création d’écoles d’agriculture, d’élevage, de médecine mais aussi l’amélioration des conditions de vie par l’apport des avantages matériels des communes dans les campagnes, par des compensations financières versées aux recrutés et à leurs familles. Il y avait aussi le statut juridique avec l’extension de la citoyenneté dans les colonies. Les opérations de recrutement permirent à la France d’envoyer sur divers fronts des Tirailleurs noirs venus d’Afrique. Le contexte politique de l’après-guerre paraissait favorable : la révolution bolchevique de 1917, la diffusion des idées libérales du président des Etats-Unis Wilson et la création de la Société des Nations (SDN) en 1919 puis la mise sous la tutelle des vainqueurs (Angleterre, France) des colonies allemandes et ottomanes à charge de les préparer à l’émancipation. C’est au Conseil Général que les partisans de Diagne firent monter la pression.
Sous la houlette de Guillabert se manifesta, ce qu’Iba Der Thiam appela « une fronde contestataire ». En tout état de cause, les espoirs étaient déçus. Bien entendu le monopole des Bordelais fut attaqué mais aussi « l’autoritarisme » et le jacobisme du Gouverneur Général de l’AOF, dont l’appartenance du Sénégal à la fédération des territoires fut même dénoncée comme un obstacle au progrès matériel et social des indigènes. En cause, la participation la plus élevée que versait notre pays dans le budget fédéral, Guillabert demanda un régime d’autonomie pour le Sénégal à défaut de le sortir de la fédération. La presse parisienne se fit l’écho de ce climat de contestation et, selon W. Johnson, Blaise Diagne fut taxé de séparatisme, il était accusé de pratiquer le double jeu qui consistait à prêcher la « loyauté envers la France » à Paris et le « self-governement » pour les Africains quand il était au Sénégal.
III. La réaction du pouvoir colonial
En réponse à la contestation, le pouvoir colonial opéra en 1920 une réforme du Conseil Général avec l’introduction du collège des chefs indigènes nommés par l’administration face à celui des élus des quatre communes. De ce fait, il devint Conseil Colonial. Pour le colonisateur français, les objectifs de relance économique après la guerre étaient fixés en tenant compte des apports des colonies. En ce qui concerne la colonie du Sénégal, il fallait apaiser les esprits. C’est dans ces circonstances qu’eut lieu la rencontre de Bordeaux entre le député Blaise et les représentants du commerce bordelais. Sans doute préparée en secret avec la participation du Ministre des colonies Albert Sarraut, un homme que Diagne connaissait bien puisqu’il avait été député de son groupe parlementaire et son frère maçon. Albert Sarraut était porteur d’un projet de mise en valeur des colonies. Le Gouverneur Général Jules Carde aussi fut mis au courant pour préparer cette rencontre historique. Selon Blaise Diagne, le ministre lui avait affirmé sa conviction que ses ennemis ne pouvaient pas lui faire perdre son poste, ni mettre fin à l’influence politique de ses partisans dans la colonie.
L’accord signé le 12 juin 1923 après des pourparlers, garantissait « le respect réciproque des droits de chaque partie ». Un flou initié et entretenu à dessein. Il faudrait remplacer les termes « droits » par les « intérêts ». S’agit-il des intérêts du député portant sur la conservation de son mandat autant qu’il voudra ? S’agit-il des intérêts de ses mandants ? Ou ceux de la colonie ? S’agit-il pour le député en contrepartie de laisser libre cours à l’exercice du monopole bordelais avec toutes les entraves inhérentes à l’amélioration de la condition des indigènes ?
L’accord signé le 12 juin 1923 après des pourparlers, garantissait « le respect réciproque des droits de chaque partie ». Un flou initié et entretenu à dessein. Il faudrait remplacer les termes « droits » par les « intérêts ». S’agit-il des intérêts du député portant sur la conservation de son mandat autant qu’il voudra ? S’agit-il des intérêts de ses mandants ? Ou ceux de la colonie ? S’agit-il pour le député en contrepartie de laisser libre cours à l’exercice du monopole bordelais avec toutes les entraves inhérentes à l’amélioration de la condition des indigènes ?
Nous répondrons à ces questions. Pour le moment, faisons mieux connaissance avec Blaise Diagne.
IV. Biographie sommaire de Blaise Diagne
Né le 13 octobre 1872 à Gorée, Galaye Mbaye Diagne, baptisé Blaise Diagne, était le fils de Niokhor Diagne et de Gnagna Preira. Ses ascendants étaient wolof et peut être sérère du côté paternel ; lebou et manjaque, du côté maternel. « Oui je suis fils d’un cuisinier négre et d’une pileuse de mil », répondit-il un jour à ses adversaires, lors de la campagne électorale de 1914. Après ses études chez les missionnaires à Gorée, il poursuivit ses études secondaires à Saint-Louis puis en France.
Il revint prématurément au Sénégal sans avoir terminé le cycle secondaire pour des raisons non encore élucidées. Bref, il passa à Saint-Louis où il réussit1erau concours des douanes. Affecté un peu partout dans l’empire colonial en Afrique puis en Guyane, le jeune Blaise, catholique mais Sénégalais avait vécu deux évènements à caractère spirituel qui le marqueront pendant toute sa vie. Il avait lors de son séjour professionnel au Gabon, rendu visite à Cheikh Ahmadou Bamba dans le site gabonais de Mayombé où il était exilé. Blaise Diagne lui avait témoigné sa compassion. Et de retour au Sénégal tous les deux, au début du XXe siècle, ils entretinrent de bons rapports. Elu député notamment avec le soutien financier mouride, Blaise Diagne, jusqu’à sa mort en 1934, suivit de près la construction de la mosquée de Touba ; il défendit avec fermeté les intérêts du Cheikh puis ceux de son Khalife Mouhamadou Moustapha face à la cupidité des fonctionnaires véreux qui supervisaient les travaux. L’autre évènement fut son admission dans la franc-maçonnerie en 1899 à la Réunion où il était affecté. L’appartenance à cette confrérie où la libre-pensée donnait libre cours à la fraternité humaine en faisant de la Raison son guide et la fréquentation des loges maçonniques permirent au Goréen de Blaise Diagne de s’imprégner fortement des principes et idéaux républicains. Ainsi, il y eut dans la personne de Diagne ce que W. Johnson appela le dilemme entre la lutte pour « l’égalité avec les Français et la nécessaire préservation de la dignité africaine ». Ainsi si celle-ci fut la passion du député noir durant la première étape de son parcours politique de 1914 à 1923, une étape qui, nous le savons, ne fut pas sans tache, sans reproche, la deuxième étape de 1923 jusqu’en 1934 fut celle du républicain français, fier d’être l’égal, de fait, des Blancs.
Il revint prématurément au Sénégal sans avoir terminé le cycle secondaire pour des raisons non encore élucidées. Bref, il passa à Saint-Louis où il réussit1erau concours des douanes. Affecté un peu partout dans l’empire colonial en Afrique puis en Guyane, le jeune Blaise, catholique mais Sénégalais avait vécu deux évènements à caractère spirituel qui le marqueront pendant toute sa vie. Il avait lors de son séjour professionnel au Gabon, rendu visite à Cheikh Ahmadou Bamba dans le site gabonais de Mayombé où il était exilé. Blaise Diagne lui avait témoigné sa compassion. Et de retour au Sénégal tous les deux, au début du XXe siècle, ils entretinrent de bons rapports. Elu député notamment avec le soutien financier mouride, Blaise Diagne, jusqu’à sa mort en 1934, suivit de près la construction de la mosquée de Touba ; il défendit avec fermeté les intérêts du Cheikh puis ceux de son Khalife Mouhamadou Moustapha face à la cupidité des fonctionnaires véreux qui supervisaient les travaux. L’autre évènement fut son admission dans la franc-maçonnerie en 1899 à la Réunion où il était affecté. L’appartenance à cette confrérie où la libre-pensée donnait libre cours à la fraternité humaine en faisant de la Raison son guide et la fréquentation des loges maçonniques permirent au Goréen de Blaise Diagne de s’imprégner fortement des principes et idéaux républicains. Ainsi, il y eut dans la personne de Diagne ce que W. Johnson appela le dilemme entre la lutte pour « l’égalité avec les Français et la nécessaire préservation de la dignité africaine ». Ainsi si celle-ci fut la passion du député noir durant la première étape de son parcours politique de 1914 à 1923, une étape qui, nous le savons, ne fut pas sans tache, sans reproche, la deuxième étape de 1923 jusqu’en 1934 fut celle du républicain français, fier d’être l’égal, de fait, des Blancs.
V. Le pacte de Bordeaux et ses conséquences
Disons tout de suite que le pacte de 1923était un engagement de ses adversaires à assurer au député la préservation sans délai de son poste, étant donné qu’il n’y avait pas de limitation de mandat. Et en contrepartie le député devait cesser ses attaques contre le commerce bordelais. Les faits corroborent notre propos. Dès l’année suivante en 1924, Diagne brigua et obtint son 3e mandat. Pas de contestation du clan bordelais encore moins de recours juridique pour invalider sa candidature comme ce fut le cas 1914. En 1928, Diagne se présenta à nouveau. Cette fois, il eut en face de lui Galandou Diouf soutenu par Lamine Gueye, ce dernier ayant pu passer son doctorat en droit en 1921 était devenu avocat-défenseur. Diagne remporta la victoire d’une courte tête (5175 contre 4396) mais l’élection fut selon ses adversaires, entachée de fraudes. De celle de 1914 Wesley Johnson dit qu’elle fut «la plus honnête qui eut jamais lieu dans les quatre communes ». En effet, « l’instauration du scrutin secret pour la première fois au Sénégal, l’absence de bourrage d’urnes à l’avance, d’électeurs votant deux ou trois fois, des listes d’inscription modifiées en ajoutant des noms de personnes décédées, il y eut une élection sincère et honnête en 1914 ». En 1928, forts de leur conviction que l’élection était truquée par l’administration coloniale Galandou Diouf et Lamine Gueye firent le déplacement à Paris pour porter l’affaire devant les autorités métropolitaines. Comme on le dit aujourd’hui par « devoir d’ingratitude » eu égard au Pacte de Bordeaux et ses conséquences .Ces deux hommes, parmi les plus anciens compagnons de Blaise Diagne, furent les premiers à initier ce genre de démarche qui continua de se faire même après l’indépendance du Sénégal bien que le contexte historique ne fût pas le même. Donc, après Bordeaux, Diagne fit constamment preuve de complaisance, d’aucuns disent de collaboration avec le groupe d’intérêt bordelais et des colonialistes. En 1927 lors d’une séance de la chambre des députés, il alla même jusqu’à nier l’existence du travail forcé en Afrique noire française. Ce qu’il refit, en tant que membre de la délégation française à la conférence internationale organisée par BIT à Genève. Il défendit même la colonisation française face aux délégations des autres puissances coloniales européennes. En 1931, il fut nommé Sous-secrétaire d’Etat aux colonies devenant ainsi le premier noir africain ministre dans le gouvernement français. L’année suivante, il fut réélu pour un 5e mandat qu’il ne put terminer puisqu’il mourut le 11 mai 1934 à Cambo-Les Bains, en France.
VI. Bilan de l’action de Blaise Diagne
Il nous parait utile de regarder à la loupe la nature et le fonctionnement du système colonial. Dans ce système, la structure économique (le commerce) détermine toutes les autres : politico-administrative, sociale, culturelle, le tout procédant d’une vision du monde matérialiste. De ce fait, les relations entre les structures administrative et économique sont complexes car toutes les deux ayant leurs autorités hiérarchiques en métropole, les grandes décisions sont prises là-bas et de manière verticale transmises à leurs représentants dans la colonie. Mais dans ce jeu, le rapport de force est toujours en faveur des centres de décision économique : forts de leur représentativité dans le gouvernement métropolitain, ils mettent la pression sur celui-ci pour avoir des avantages que le ministre des colonies est chargé de transmettre sous la forme d’une décision à exécuter par les autorités coloniales. Nul mieux que Léopold S. Senghor, député du Sénégal de 1945 à 1958, ministre dans le cabinet Edgar Faure en France en 1955 – 1956, n’est à même d’expliquer ce mécanisme et l’esprit de ses initiateurs, « une minorité d’éléments de la grande bourgeoisie qui tiennent tous les leviers de commande dans les ministères économiques et qui influent sur toutes les décisions du gouvernement.
Nous découvrions que la politique coloniale n’était faite ni par le gouvernement ni pour les indigènes. L’empire colonial était gouverné par une caste de fonctionnaires dont les grandes compagnies coloniales tirent les ficelles ». On comprend maintenant pourquoi l’administration coloniale était inféodée aux grandes maisons de commerce bordelais au détriment des intérêts des indigènes.
Nous découvrions que la politique coloniale n’était faite ni par le gouvernement ni pour les indigènes. L’empire colonial était gouverné par une caste de fonctionnaires dont les grandes compagnies coloniales tirent les ficelles ». On comprend maintenant pourquoi l’administration coloniale était inféodée aux grandes maisons de commerce bordelais au détriment des intérêts des indigènes.
On a beaucoup épilogué sur le pacte de Bordeaux et par suite la collaboration de Blaise Diagne. Ce qui parait normal mais nous avons fait état de son éducation chez les missionnaires catholiques, sa formation dans les loges maçonniques, comme l’a souligné si bien Amadou Aly Dieng. Tout cela militait en faveur de la réalisation et de la défense des idéaux républicains. Et comme la libre-pensée prétendait ne pas cautionner les abus de capitalistes et des cléricaux dans les colonies et se démarquait d’eux, on peut comprendre pourquoi Blaise Diagne citoyen français « noir de peau » investi de la confiance des plus hautes autorités françaises (il marcha un jour la main dans la main avec G Clémenceau Président du Conseil) ne fit pas preuve d’une volonté de rupture avec le système. Nous disons comprendre car comprendre quelqu’un n’est pas lui donner raison. Diagne croyait à la renaissance de l’Afrique, comme l’Europe aux XIV, XV et XVI siècles.
« L’Afrique, disait-il, plusieurs siècles d’esclavage et de luttes intestines l’avaient figé dans la plus déprimante inactivité ». Il loua la colonisation française face au multiculturalisme anglais qui basé sur des préjugés contre les Noirs ne favorisait pas l’éveil politique des Africains. Et il donnait l’exemple de l’Afrique du Sud où les Noirs étaient parqués dans des réserves. Même les Etats-Unis avec la discrimination raciale et le racisme anti-noir furent l’objet de ses critiques à Genève. En dépit des erreurs commises et qui continuaient, Diagne pensait que l’œuvre humaniste française pouvait permettre l’ouverture des Africains à la Civilisation (la modernité) « par leur effort de travail et l’éducation qu’ils feront sous l’égide de la France ». Dans son testament politique, Blaise Diagne écrivait en 1927 qu’il « est permis d’envisager qu’un jour viendra où en pleine maturité les races noires pourront être maitresses de leurs destinées ».
Le premier homme politique et homme d’Etat noir africain qui atteignit les hautes cimes de la politique française eut une trajectoire qui fut l’objet de nombreuses controverses. Et c’est normal parce que colonisé, il fut un acteur d’un jeu qui ne semblait pas être le sien et celui de ses frères de race. On oublie cependant que c’est son action politique qui permet au Sénégal de voir apparaitre ses premiers cadres dans les domaines politique et intellectuel dans la médecine vétérinaire etc. Non seulement par le relèvement du niveau de l’instruction mais aussi, par les actes qui mirent la quasi-totalité de nos jeunes évolués d’alors sous l’orbite du succès. Nous ne citerons que quelques d’exemples. Galandou Diouf, Lamine Gueye, Léopold Senghor, Birago Diop, Ousmane Socé Diop, Amadou Karim Gaye, la quasi-totalité des futurs fondateurs de notre Etat-nation.
En outre, il s’agit de se garder de lire les faits et événements de cette époque avec le prisme déformant de notre conscience nationale, de notre personnalité recouvrée ou du marxisme léninisme de la génération des élites des indépendances africaines. Les luttes politiques, sociales, culturelles, du début du XX siècle au Sénégal furent menées dans le cadre démocratique défini par le pouvoir colonial. Les membres de l’élite indigène s’y reconnaissaient et ne remettaient pas en cause l’idéologie politique d’intégration mise en place par le colonisateur. En ce sens, Ousmane Blondin Diop a eu raison de dire que cette couche intermédiaire s’était engagée sur le terrain politique au nom des indigènes mais en réalité pour son propre compte. Un autre paradoxe : jusqu’à l’indépendance, l’élite intellectuelle indigène, tout en critiquant le système colonial, était, par ses activités professionnelles (fonctionnaires, membres des professions libérales, employés de commerce…) son mode de vie, portée à ancrer les valeurs de la civilisation occidentale dans la société autochtone. C’était aussi cela la situation coloniale. Toutefois convenons avec Iba Der Thiam que la victoire de Blaise Diagne 1914 fut celle de tout un pays « Nos ancêtres des quatre communes de Gorée, St Louis, Rufisque et Dakar ont durement combattu dans le cadre du système colonial au nom de tout le reste du Sénégal pour leur dignité, le respect de la personnalité africaine, la connaissance de leurs droits et libertés et pour l’instauration de la démocratie moderne dans notre pays ».
Blaise Diagne fut un précurseur pour le Sénégal et toute l’Afrique francophone. Par son habilité politique il rassembla autour de sa personne un potentiel d’électeurs et de sympathisants dont les intérêts étaient parfois différents (indigènes : Saint-louisiens, lébou, Blancs libéraux) et d’autres groupes d’intérêt privés du droit de vote. Premier député de la colonie du Sénégal, premier à devenir ministre dans un gouvernement métropolitain il ouvrit la voie à tous ceux qui Sénégalais ou non exercèrent l’une ou les deux fonctions. Pour Léopold S. Senghor, Diagne « figure parmi les précurseurs des idéologies nationales et des mouvements qui ultérieurement conduiront les peuples négro-africains à prendre pleinement conscience de leur histoire, de leur culture, de leur avenir ». En cela, Blaise Diagne avait compris le sens de l’histoire. Homme de son temps, de son époque, il avait avec passion accompagné la marche de l’Histoire. Ceci tout en restant « conscient de son fond négre », ainsi que le reconnaissait un de ses admirateurs devenu son contempteur le Soudanais Thiémoko Garan Kouyaté qui par ce propos montrait à suffisance l’impossibilité de l’assimilation culturelle.
La démocratie sénégalaise actuelle tire ses origines de l’époque de Blaise Diagne mais il s’agissait entre autres valeurs, de justifier la colonisation française, de stimuler le fonctionnement du système colonial. Depuis plusieurs décennies, elle attend pour être véritablement au service des populations son accommodation à nos réalités sociales, culturelles et linguistiques. Tant il est vrai que les paradigmes occidentaux construits sur l’affrontement des idées et l’affirmation de l’individu, ne correspondent pas à nos sociétés lignagères où la famille et l’appartenance ethnique priment sur l’individu et où l’harmonie du groupe est un principe fondamental. Comme on le dit, le Droit est l’essence de la civilisation occidentale, mais il fallut un long cheminement historique pour que les peuples occidentaux se reconnaissent dans la démocratie libérale. N’ayant globalement pas la même histoire, n’ayant pas du tout la même identité culturelle et n’arrivant pas à digérer maints apports extérieurs, n’avons-nous pas le droit, au nom de la Raison et du Progrès, « de combiner librement notre participation au monde moderne et le retour à nos valeurs culturelles ? » Ce serait là, ce qu’un auteur africain appelle le « mimétisme rationnel ». A juste raison ; et le Sénégal peut et doit être le pionnier dans ce domaine.
Dr Adama Baytir DIOP
Historien, Grand – Mbao
BIBLIOGRAPHIE
1- Amady Aly Dieng « Blaise Diagne, premier député africain », Chaka editions Paris 1990
2- Iba Der Thiam « La Révolution de 1914 au Sénégal : l’élection au Palais Bourbon du député noir Blaise Diagne », Editions l’Harmattan SN, 2014
3- Ousmane Blondin Diop « Les héritiers d’une indépendance », NEA Dakar 1982
4- Wesley Johnson in Notes africaines IFAN Dakar N spécial Blaise Diagne, 1972