’archéologue sénégalais, Ibrahima Thiaw envisage, à travers le projet d’archéologie sous-marine, de "rétablir de manière symbolique" les liens entre les esclaves africains déportés aux Amériques et leurs régions d’origine.
"Nous souhaitons pouvoir, à travers cette recherche, rétablir ne serait-ce que de manière symbolique les liens entre des communautés ou des individus qui ont été pris par la force à travers ce commerce tragique et ignoble avec les régions d’où ils viennent", a-t-il expliqué dans un entretien avec l’APS.
Ibrahima Thiaw, responsable du Laboratoire d’archéologie de l’Institut fondamental d’Afrique Noire-IFAN-Cheikh Anta Diop de Dakar, dit détenir "des documents de familles qu’on pourrait éventuellement reconnecter avec des régions spécifiques" du continent africain.
"Ce sont des possibilités lorsque nous nous engageons dans ce champ-là de pouvoir rétablir les liens entre les communautés", a-t-il fait valoir, rappelant l’histoire d’Alex Haley, cet écrivain américain qui, à travers ses recherches, a pu retrouver ses origines africaines, en particulier gambiennes.
Selon lui, "la bio-anthropologie (…) permet à des individus de se tester pour savoir à quel groupe ethnique, à quelle région d’Afrique, leur ancêtre avait été capturé. C’est une forme de rapprochement ente l’Afrique et la diaspora".
"Ce sont de nouvelles possibilités de dialogue pour comprendre comment ils ont enduré cet épisode très difficile de leur histoire et de notre histoire. Donc, c’est une histoire sur le long terme", a dit l’archéologue, ajoutant que "les résultats sont très promoteurs" dans le domaine de l’archéologie sous-marine.
"L’archéologie sous-marine nous permet de comprendre l’atrocité et la cupidité de la nature humaine. Sous l’eau, les vestiges pouvant nous raconter cette histoire sont assez nombreux", a-t-il fait remarquer.
L’archéologue qui travaille depuis 2000 sur le site de Gorée, a ajouté : "c’est une histoire très tragique qui touche à notre vie intime de manière très profonde plus que l’on ne pense", pour expliquer les conditions de vie des esclaves sur cette île-mémoire.
"On pense tous que l’esclave c’était l’autre. L’esclave, c’était le frère, la sœur, le neveu, l’enfant. C’étaient des familles disloquées. C’était dans la sueur et dans le sang que cela s’est produit. Parfois, les vestiges sous l’eau permettent de reconstituer ces liens", a-t-il encore noté.
"Sous l’eau, il y’ a beaucoup de vestiges qui rendent certainement compte de ces échanges très tragiques. Lorsque les navires quittaient, c’est le cordon ombilical avec l’Afrique qui était rompu. Malheureusement, certains ne sont jamais arrivés à leur destination", a-t-il dit.
Ibrahima Thiaw a indiqué que le projet de la plongée sur lequel son équipe composée d’étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar travaille depuis cinq ans, "va certainement être une unité de recherche assez importante" au sein du laboratoire d’anthropologie d’ingénierie culturelle (LAIC).
"Dans le cadre d’un projet anthropologique, nous ne voulons pas continuer à faire cette recherche sans qu’elle ait une pertinence communautaire. Nous voulons travailler avec les communautés et même aider à former des individus pour qu’ils puissent plonger avec nous", a insisté l’archéologue, enseignant-chercheur à l’UCAD.
Pr Thiaw a souligné que l’objectif vise à amener les communautés à protéger leur propre patrimoine. "Il y’ a beaucoup dans le domaine du patrimoine subaquatique. Les communautés sont les premiers boucliers pour préserver ce patrimoine", selon lui.
APS
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