Petit à petit, la ville du bon goût et de l’élégance agonise. Saint-Louis est à l’épreuve de la conjoncture mondiale, comme la plupart des grandes villes. Trois personnes sur quatre sont frappées par la pauvreté. Quotidiennement, le citoyen lambda est à la recherche de la pitance pour survivre et faire survivre les autres.
La vie à Saint-Louis n’est plus comme du temps des colons où des années qui ont suivi l’indépendance. Tout est perdu dans cette ville réputée pour son plat local (fameux Ceebu jën) et le port vestimentaire de ses fils. Le Saint-Louisien se différenciait des autres à travers son comportement et sa façon de s’habiller.
L’élégance était le socle de cette société métissée, comme l’attestent ces septuagénaires trouvés à la place Faidherbe. “Ah ! le bon vieux temps !” s’exclame Moustapha Ndiaye, ancien instituteur. Le regard pointé vers l’horizon, il se remémore :
“Quand nous étions jeunes, nous rivalisions d’élégance dans le port vestimentaire. Hélas ! De nos jours, nos fils s’habillent différemment. A l’époque, aucun jeune n’osait mettre des habits qui gênent la conscience générale, sous risque d’être corrigé par son père et le voisin. On vivait en communauté”.
Comme les autres sages de son âge assis à ses côtés, il pointe la fuite de responsabilités des parents. “SaintLouis a tout perdu de son histoire, avec l’agression grandissante de la culture occidentale”, lance un autre vieux. Son ami Amadou Bâ de demander aux jeunes de la ville ancienne de s’ouvrir aux autres, tout en gardant les valeurs intrinsèques de leur histoire. Au moment où nous quittions ces vieux assis sous l’arbre à palabre,
près du lycée Cheikh Omar Foutiyou Tall ex-Faidherbe qui a formé des sommités de ce pays, des garçons vêtus de pantalon taille basse, les têtes coiffées à la “dabala”, passaient pour rallier certainement la plage de l’hydrobase, en cette période de forte canicule. Cette apparition suscitera encore de vifs commentaires sous l’arbre.
Takusaanu Ndar
Sur l’île, il y a les quartiers Lodo et Sindoné et une bande de terre dénommée La langue de Barbarie qui est le centre des affaires. Ici les hommes et les femmes se croisent et rivalisent de charme. Dans le temps, les hommes se distinguaient avec leur costard, pipe à la bouche et la canne à la main. Un peu comme ces dandys marseillais en dilettante sur la Cannebière aux bords du Vieux-Port.
Les femmes de l’ancienne capitale de l’Aof avaient l'art de porter la jupe longue bouffante, chemisier de rigueur, le tout assorti d’un long chapeau serti d'une plume posée délicatement sur la tête. Et une fois bien habillée, elles se dandinaient à pas de caméléon dans les rues, sur les allées du pont Faidherbe, appréciant le coucher du soleil. C’était le takusaanu Ndar.
Amadou Faye, originaire de Kaolack, 69 ans, a vécu “cette originalité bien saint-louisienne qui amenait les hommes à tomber dans les bras d’une doomu Ndar”. “Lorsque j’ai été affecté dans cette ville, j’ai été attiré par ce takusaan et c’est de là que je suis tombé amoureux d’une nymphe qui m’a donné huit bouts de bois de Dieu”, révèle-t-il.
Pour lui, la femme de Saint-Louis de l’époque avait un charme de grande royale. Aujourd’hui, tout cela aurait disparu. Au contact des civilisations, les femmes de Ndar ont perdu leur “mokk pooc” (savoir-faire) et mènent la vie à l’occidentale.
La nouvelle génération a troqué ce savoir-être traditionnel avec les pantalons jeans, “jumbax out”, “dangal” et “pàcàl”. Une dame rencontrée à quelques jets de la place Faidherbe de souligner qu’à l’époque, il y avait des maisons d’éducation, comme celles de feu Soukeyna Konaré, où on inculquait aux jeunes filles les valeurs qui faisaient d’elles “de bonnes femmes saint-louisiennes”.
La conjoncture dévalue le “Penda Mbaye”
La ville de Saint-Louis est irrémédiablement associée à son fameux “Penda Mbaye”. Et quand les nostalgiques en parlent, la salive leur vient à la bouche. Jadis les femmes se rendaient très tôt le matin au marché de Teen jigeen pour acheter les légumes de Gandiol ou de Khor fraîchement cueillis des champs ou des jardins.
Les “coof” ou poissons nobles faisaient le bonheur de ces dames. Le poisson séché de Sine, “gejji Sine”, était là pour assurer une saveur légendaire aux plats. “Il n’existait pas de bouillons”, se rappelle Fatou Diop. “Et chose importante, aucune femme n’osait quitter la cuisine au moment de la préparation du repas. Elle veillait au grain et à petit feu sur ce repas qui allait être offert aux membres de la famille et aux invités”, explique-t-elle.
Le partage des mets, cet acte de noblesse perdu
A Saint Louis, le partage des mets était un acte de noblesse. Mais hélas ! tout cela s’est effrité. Au fil du temps et du fait de la conjoncture, le fameux “ceebu jën Penda Mbay” servi “à midi zéro minute a perdu sa saveur”. Rien que pour préparer ce plat local, les dames y passaient un temps fou. Mais, de nos jours, trouver du poisson noble et tous les ingrédients qui vont avec est devenu un véritable parcours du combattant.
Les jeunes générations ne préparent pas le “ceebu jën” comme leurs aînées. Non seulement elles sont pressées de terminer la cuisine pour vaquer à d'autres occupations, mais elles ne disposent pas de tous les ingrédients, pour préparer un bon “ceeb”.
A cela s’ajoute la rareté du poisson. Les pêcheurs de Guet Ndar ne ramènent plus du poisson noble, à cause d’une mer sans poisson. “Les eaux sénégalaises ne sont plus poissonneuses, du fait du non-respect de la période de repos biologique”, explique Moulaye Diop.
De plus, les rares poissons de choix pêchés sont vendus aux hôteliers au prix fort, hors de portée des bourses des jeeg (grandes dames). Leurs goorgoorlu (époux débrouillards) n’arrivent plus à joindre les deux bouts à cause de la conjoncture.
Le patrimoine bâti et culturel : le cri du cœur de Golbert Diagne
“Beaucoup de maisons sur l’île de Ndar croulent sous le poids de l’âge”, se désole Alioune Badara Diagne Golbert. Celui qu’on surnomme “le totem de Ndar” demande aux propriétaires de rentrer au bercail refaire leurs maisons familiales.
D’autant que, dit-il, “ils veulent tous, à la fin de leur jour, être enterrés, soit au cimetière Thiaka Ndiaye ou Marmiyal”. Il lance ce cri du cœur : “Cette ville est bénie par Dieu. C’est un paradis terrestre. Venez vite avant que ça ne soit tard”.
Avec leur architecture coloniale, la plupart de ces demeures sont aujourd’hui délaissées. Leurs propriétaires n’ont pas les moyens de les réhabiliter et vivent dans la hantise d’un effondrement des bâtisses. D’autres se sont établis hors de la ville, préférant vendre leurs maisons. Tous sont allés s’installer à Ngallèle, cité Niax et Pikine. L’île est désertée, faute de moyens pour refaire les maisons.
Les menaces de l’Unesco
Mais, le plus désolant est que ces maisons sont acquises, pour la plupart, par de nouveaux riches peu soucieux de préserver le style architectural d'origine. Or, il est fait obligation de maintenir la construction initiale, sur l’île. Les autorités municipales qui devaient veiller au respect de la directive ne font pas montre de poigne à ce propos. Ce laisser-aller a fini par exaspérer l’Unesco qui a menacé de déclasser l'île de Saint-Louis.
La ville a été érigée Patrimoine mondiale de l'Humanité en 2000, après un premier classement en 1976 comme secteur sauvegardé par le Président Léopold Sédar Senghor. A côté du bâti, le culturel souffre. Le théâtre et la littérature se meurent. Le Fanal n’attire plus faute de moyens. Le seul legs historique culturel perd annuellement ses repères.
Fara Sylla | http://www.enqueteplus.com
La vie à Saint-Louis n’est plus comme du temps des colons où des années qui ont suivi l’indépendance. Tout est perdu dans cette ville réputée pour son plat local (fameux Ceebu jën) et le port vestimentaire de ses fils. Le Saint-Louisien se différenciait des autres à travers son comportement et sa façon de s’habiller.
L’élégance était le socle de cette société métissée, comme l’attestent ces septuagénaires trouvés à la place Faidherbe. “Ah ! le bon vieux temps !” s’exclame Moustapha Ndiaye, ancien instituteur. Le regard pointé vers l’horizon, il se remémore :
“Quand nous étions jeunes, nous rivalisions d’élégance dans le port vestimentaire. Hélas ! De nos jours, nos fils s’habillent différemment. A l’époque, aucun jeune n’osait mettre des habits qui gênent la conscience générale, sous risque d’être corrigé par son père et le voisin. On vivait en communauté”.
Comme les autres sages de son âge assis à ses côtés, il pointe la fuite de responsabilités des parents. “SaintLouis a tout perdu de son histoire, avec l’agression grandissante de la culture occidentale”, lance un autre vieux. Son ami Amadou Bâ de demander aux jeunes de la ville ancienne de s’ouvrir aux autres, tout en gardant les valeurs intrinsèques de leur histoire. Au moment où nous quittions ces vieux assis sous l’arbre à palabre,
près du lycée Cheikh Omar Foutiyou Tall ex-Faidherbe qui a formé des sommités de ce pays, des garçons vêtus de pantalon taille basse, les têtes coiffées à la “dabala”, passaient pour rallier certainement la plage de l’hydrobase, en cette période de forte canicule. Cette apparition suscitera encore de vifs commentaires sous l’arbre.
Takusaanu Ndar
Sur l’île, il y a les quartiers Lodo et Sindoné et une bande de terre dénommée La langue de Barbarie qui est le centre des affaires. Ici les hommes et les femmes se croisent et rivalisent de charme. Dans le temps, les hommes se distinguaient avec leur costard, pipe à la bouche et la canne à la main. Un peu comme ces dandys marseillais en dilettante sur la Cannebière aux bords du Vieux-Port.
Les femmes de l’ancienne capitale de l’Aof avaient l'art de porter la jupe longue bouffante, chemisier de rigueur, le tout assorti d’un long chapeau serti d'une plume posée délicatement sur la tête. Et une fois bien habillée, elles se dandinaient à pas de caméléon dans les rues, sur les allées du pont Faidherbe, appréciant le coucher du soleil. C’était le takusaanu Ndar.
Amadou Faye, originaire de Kaolack, 69 ans, a vécu “cette originalité bien saint-louisienne qui amenait les hommes à tomber dans les bras d’une doomu Ndar”. “Lorsque j’ai été affecté dans cette ville, j’ai été attiré par ce takusaan et c’est de là que je suis tombé amoureux d’une nymphe qui m’a donné huit bouts de bois de Dieu”, révèle-t-il.
Pour lui, la femme de Saint-Louis de l’époque avait un charme de grande royale. Aujourd’hui, tout cela aurait disparu. Au contact des civilisations, les femmes de Ndar ont perdu leur “mokk pooc” (savoir-faire) et mènent la vie à l’occidentale.
La nouvelle génération a troqué ce savoir-être traditionnel avec les pantalons jeans, “jumbax out”, “dangal” et “pàcàl”. Une dame rencontrée à quelques jets de la place Faidherbe de souligner qu’à l’époque, il y avait des maisons d’éducation, comme celles de feu Soukeyna Konaré, où on inculquait aux jeunes filles les valeurs qui faisaient d’elles “de bonnes femmes saint-louisiennes”.
La conjoncture dévalue le “Penda Mbaye”
La ville de Saint-Louis est irrémédiablement associée à son fameux “Penda Mbaye”. Et quand les nostalgiques en parlent, la salive leur vient à la bouche. Jadis les femmes se rendaient très tôt le matin au marché de Teen jigeen pour acheter les légumes de Gandiol ou de Khor fraîchement cueillis des champs ou des jardins.
Les “coof” ou poissons nobles faisaient le bonheur de ces dames. Le poisson séché de Sine, “gejji Sine”, était là pour assurer une saveur légendaire aux plats. “Il n’existait pas de bouillons”, se rappelle Fatou Diop. “Et chose importante, aucune femme n’osait quitter la cuisine au moment de la préparation du repas. Elle veillait au grain et à petit feu sur ce repas qui allait être offert aux membres de la famille et aux invités”, explique-t-elle.
Le partage des mets, cet acte de noblesse perdu
A Saint Louis, le partage des mets était un acte de noblesse. Mais hélas ! tout cela s’est effrité. Au fil du temps et du fait de la conjoncture, le fameux “ceebu jën Penda Mbay” servi “à midi zéro minute a perdu sa saveur”. Rien que pour préparer ce plat local, les dames y passaient un temps fou. Mais, de nos jours, trouver du poisson noble et tous les ingrédients qui vont avec est devenu un véritable parcours du combattant.
Les jeunes générations ne préparent pas le “ceebu jën” comme leurs aînées. Non seulement elles sont pressées de terminer la cuisine pour vaquer à d'autres occupations, mais elles ne disposent pas de tous les ingrédients, pour préparer un bon “ceeb”.
A cela s’ajoute la rareté du poisson. Les pêcheurs de Guet Ndar ne ramènent plus du poisson noble, à cause d’une mer sans poisson. “Les eaux sénégalaises ne sont plus poissonneuses, du fait du non-respect de la période de repos biologique”, explique Moulaye Diop.
De plus, les rares poissons de choix pêchés sont vendus aux hôteliers au prix fort, hors de portée des bourses des jeeg (grandes dames). Leurs goorgoorlu (époux débrouillards) n’arrivent plus à joindre les deux bouts à cause de la conjoncture.
Le patrimoine bâti et culturel : le cri du cœur de Golbert Diagne
“Beaucoup de maisons sur l’île de Ndar croulent sous le poids de l’âge”, se désole Alioune Badara Diagne Golbert. Celui qu’on surnomme “le totem de Ndar” demande aux propriétaires de rentrer au bercail refaire leurs maisons familiales.
D’autant que, dit-il, “ils veulent tous, à la fin de leur jour, être enterrés, soit au cimetière Thiaka Ndiaye ou Marmiyal”. Il lance ce cri du cœur : “Cette ville est bénie par Dieu. C’est un paradis terrestre. Venez vite avant que ça ne soit tard”.
Avec leur architecture coloniale, la plupart de ces demeures sont aujourd’hui délaissées. Leurs propriétaires n’ont pas les moyens de les réhabiliter et vivent dans la hantise d’un effondrement des bâtisses. D’autres se sont établis hors de la ville, préférant vendre leurs maisons. Tous sont allés s’installer à Ngallèle, cité Niax et Pikine. L’île est désertée, faute de moyens pour refaire les maisons.
Les menaces de l’Unesco
Mais, le plus désolant est que ces maisons sont acquises, pour la plupart, par de nouveaux riches peu soucieux de préserver le style architectural d'origine. Or, il est fait obligation de maintenir la construction initiale, sur l’île. Les autorités municipales qui devaient veiller au respect de la directive ne font pas montre de poigne à ce propos. Ce laisser-aller a fini par exaspérer l’Unesco qui a menacé de déclasser l'île de Saint-Louis.
La ville a été érigée Patrimoine mondiale de l'Humanité en 2000, après un premier classement en 1976 comme secteur sauvegardé par le Président Léopold Sédar Senghor. A côté du bâti, le culturel souffre. Le théâtre et la littérature se meurent. Le Fanal n’attire plus faute de moyens. Le seul legs historique culturel perd annuellement ses repères.
Fara Sylla | http://www.enqueteplus.com