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REPORTAGE: Production du poisson fumé à Guet-guet Ndar : La raréfaction de la production de la ressource plombe les actions des femmes

Entre l’absence de financements et d’unités de congélation pour la conservation du surplus des captures en période de surabondance, les besoins des femmes transformatrices de poissons de Guet Ndar sont nombreux. Malgré l’appui de la Jica qui, en trois ans de partenariat, a injecté 500 millions pour améliorer leurs conditions socio-économiques, ces femmes veulent définitivement sortir de l’informel.

Vendredi 16 Septembre 2011

REPORTAGE: Production du poisson fumé à Guet-guet Ndar : La raréfaction de la production de la ressource plombe les actions des femmes
Guet Ndar. Il est un peu plus de seize heures en ce mardi. Un soleil d’hivernage brille de mille feux. Malgré la forte canicule, les populations vaquent tranquillement à leurs occupations. Dans ce populeux quartier, la vie se résume en deux mots : pêche et poisson. Et il suffit de se rendre au quai de pêche pour s’en apercevoir. Des centaines de personnes, hommes, femmes et enfants, s’activent dans une alacrité indescriptible. Dans un défilé incessant, hommes et femmes, cageots ou paniers sur la tête, prennent la direction de la rive où les pirogues, revenues de marées, débarquent les poissons capturés.

De l’aube au crépuscule, l’activité n’est jamais au ralenti dans ce coin. Même quand le poisson se fait très rare, comme c’est le cas actuellement. En attendant le retour du poisson, des centaines de camions frigorifiques, venus de tous les coins du pays et aussi de la sous-région, sont stationnés sur le trottoir, allant même jusqu’à disputer la chaussée avec les taxis « clandos », cars rapides et autres véhicules particuliers qui s’ébranlent ou reviennent de l’hydrobase.

Comme dans tous les quartiers vivant essentiellement de la pêche, la quasi-totalité des femmes interviennent dans la transformation des produits de pêche et à Guet Ndar, le fumage du poisson est une pratique courante chez elles. Côté fleuve, comme côté mer où sont implantés les sites de transformation appelés « sines », l’odeur du poisson frais et fumé embaume l’air et les femmes qui s’activent à ces endroits devenus leur seconde demeure, semblent s’y faire à ce climat. Là, la fumaison du poisson est une histoire de famille, qui s’est transmise de mère en fille et les principales méthodes de transformation sont le fumage, le salage et le séchage.

Et aujourd’hui, une seule tryptique rythme le quotidien de ces braves dames : chercher du poisson, le fumer et le commercialiser. La famille vient bien après. La recherche du poisson et le fumage ne laissent guère de temps à ces bonnes femmes qui travaillent presque au rythme de 18 voire 20 heures par jour.
Sur ces lieux, ce n’est pas l’attroupement des grands jours, ni la grosse bousculade. A intervalles réguliers, quelques dames retournent une poignée de poissons au-dessus d’une grille posée sur le feu. A l'opposé, d’autres se tournent les pouces, faute d’activité. Ces femmes ont bâti leur subsistance sur le commerce du poisson fumé et pour faire prospérer leurs activités et améliorer leurs conditions de vie, elles se sont organisées en groupement d’intérêt économique (GIE), avant de mettre sur pied l’Union des femmes transformatrices de poissons de Guet Ndar, qui est le fruit de la fusion de deux Gie intervenant dans le même domaine et qui regroupe aujourd’hui plus d’un millier de femmes.

Mme Fatou Binetou Sarr en est la présidente. La soixantaine dépassée, cette dame a trouvé refuge dans cette activité à l’âge de dix ans. Et aujourd’hui, elle s’enorgueillit d’avoir choisi cette voie. Mais aussi de la mise sur pied de cette union, qui regroupe plus de 1.000 femmes et qui a, entre autres activités, la commercialisation du poisson fumé, la redevance sur les bascules, la production de farine de poisson et d’engrais organique.

Cette union, selon sa présidente, a permis une meilleure organisation des femmes, qui ont fortement progressé dans la transformation du poisson. « Au début, on vendait tout un étal de poissons fumés à 2500 voire 3500 francs, mais depuis qu’on s’est organisé en union, on a rectifié et les retombées sont considérables », indique-t-elle, en précisant que les femmes du « sine » côté fleuve et côté mer, sont unanimement tombées d’accord sur un prix commun, qui fait l'objet d'un strict respect. « Depuis la création de l’union en 2008, nous vendons au même prix. Si on fixe le prix du kilogramme à 250 francs, tout le monde est obligé de vendre à ce prix sur les deux sites », explique-t-elle, en précisant qu’en temps normal, c’est-à-dire quand le poisson se déverse à flots (de janvier à mai), il arrive que ces femmes fument individuellement jusqu’à 15 cageots de poissons frais par jour, achetés entre 1000 et 2000 F Cfa l’unité.

La raréfaction du poisson freine les activités

« Une fois le poisson transformé, il est facilement vendu à un prix très attrayant et les acheteurs sont des consommateurs locaux, mais aussi des grossistes qui viennent des marchés ou des villes environnantes », souligne Fatou Binetou Sarr.
De par leurs activités, ces femmes sont devenues incontournables. Car elles apportent une aide non négligeable à leur époux pour l’entretien de la famille. Selon Codou Teuw, qui est dans le métier depuis sa tendre enfance, leurs revenus varient selon que la période de pêche est bonne ou mauvaise. Sans pour autant donner de chiffre exact, elle a indiqué que le revenu est prodigieux, mais a toutefois souligné que la plus grande part de ce revenu est consacrée à la prise en charge de la famille. « Toutes ces dépenses freinent notre épanouissement social, mais on n’y peut rien car nous travaillons pour vivre et subvenir aux besoins de nos familles », analyse-t-elle.

Aujourd'hui, avec la raréfaction des prises, ces transformatrices ont de plus en plus de mal à fumer un cageot de poissons. La dèche est devenue générale. « Il y a quelques jours, le kilogramme de poisson fumé était vendu à 350 francs, mais actuellement vous ne pouvez pas en trouver, parce qu’il y a une pénurie de poisson frais qui est aujourd’hui devenu un véritable luxe », soutient Aïssatou Teuw, peinée par cette situation.

Avec le poisson qui se raréfie de plus en plus, les pêcheurs gagnés eux aussi par la crise, ont appris à mettre la barre très haut, en vendant cher leurs captures. Et cette pénurie a sérieusement ralenti les activités de ces femmes, qui se rongent les ongles, du matin au soir, en attendant une providence.

« Autrefois, quand il y avait pénurie de poisson frais, le poisson fumé gagnait la sympathie des ménagères, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce matin, le cageot de poisson était cédé à 15.000 francs ; ce qui est extrêmement exorbitant. Et pour l’acheter, il faudra d’abord en trouver », estime Fatou Binetou Sarr, qui n’a cessé de faire des aller et retours entre le « sine » et la rive du fleuve où a lieu les débarquements. Pour cette femme, même si la surpêche a quelque peu réduit les stocks, les relations avec la Mauritanie dans le cadre de l’accord de pêche avec le Sénégal y sont pour beaucoup de chose.

Son seul souhait aujourd’hui, c’est de voir l’Etat mauritanien faciliter les conditions aux pêcheurs guet ndariens pour qu’ils puissent pêcher tranquillement et rentrer chez eux avec beaucoup de poisson. Trouvée sur le « sine » côté fleuve, Maguette Dièye s’active péniblement à écailler et à éviscérer un tas de poissons pourris ramassés sur la rive. Comme bon nombre de ces femmes qui luttent pour assurer leur survie, cette dame est là, présente, en attendant des lendemains meilleurs. « Il n’y a plus d’activité à cette période. Nos enfants ont pris le large pour aller chercher du poisson, mais sont bloqués entre Nouadhibou et Nouakchott. En attendant leur arrivée, on tue le temps pour ne pas rester à la maison et croupir dans l’oisiveté », confie cette dame.

La chanson est la même du côté de Tam Kane Guèye, qui souhaite une rapide fin de leur galère. Pour Codou Teuw, les femmes de Guet Ndar sont nées transformatrices et mourront dans ce métier parce qu’elles l’ont dans le sang et n’ont rien d’autre à faire. « Nous sommes restées plus d’une semaine sans travailler, faute de moyens. C’est difficile pour quelqu’un qui a plusieurs bouches à nourrir. Et chaque jour, nous sommes obligées de venir et de rester jusqu’au soir pour voir s’il y aura du poisson », indique-t-elle. Mais pour Fatou Guèye, le problème ne pourra être résolu qu’avec la mise en place d’unités de conservation de poissons pour combler les grandes périodes de pénuries. A Guet Ndar, la transformation du poisson est aujourd'hui un secteur en pleine évolution et Fatou Binetou Sarr et ses camarades se disent prêtes à entreprendre pour accroitre davantage la rentabilité de leur activité.

Leur rêve, c’est de sortir de l’informel et de travailler dans de meilleures conditions. Mais le fumage du poisson nécessitant un fonds assez important pour faire face aux dépenses telles que l’achat du poisson et autres accessoires, les femmes de cette union ont émis le souhait d'obtenir une assistance financière sous forme de prêt.

«On veut désormais travailler le poisson frais, parce que le poisson destiné à la fumaison doit être de très bonne qualité et ça se vend très vite. Pour cela, il faut avoir de l’argent, car notre ambition ce n’est pas seulement le marché local. Nous visons aussi le marché extérieur », note Fatou Binetou Sarr, qui a insisté sur l’urgence de mettre en place des dispositions spéciales d’octroi de crédit, avec des modalités de remboursement adaptées à leurs activités. « Cet argent nous permettra non seulement d’acheter tout ce que les femmes exploitent pour le revendre, mais aussi pour qu’on puisse travailler à plein temps, et que les pénuries de poisson ne freinent plus nos activités », indique-t-elle.

Un reportage de Samba Omar FALL