L’opération actuelle d’enrôlement, il semble qu’il s’agisse de cela, plutôt que d’un recensement, la précision est apportée par Mohamed Ould
Abdel AZIZ lui même qui doit s’y connaître, ne tient compte ni de notre histoire, ni de notre géographie, ni même de notre géopolitique encore moins de la fragile alchimie (de peuplement ou population) léguée par nos ainés.
C’est pourquoi, il nous a semblé utile de rafraichir notre mémoire collective sur la construction toute récente de notre pays afin d’aider à mieux comprendre pourquoi nos populations portent naturellement les mêmes nomsde familles du Sahara, du Sénégal, du Mali, du Maroc, de l’Algérie et bien d’autres pays dont des citoyens ont fait le choix d’être des nôtres. Il nous semble, donc, risqué de parler de noms de familles courants.
La Mauritanie n’est pas une île. Elle n’est pas non plus un No Man’s Land. Elle est le reflet de ses voisins, avec une personnalité propre, qui
s’enrichit continuellement. Par sa position géographique, à mi chemin entre l’Afrique noire et le Maghreb, la Mauritanie est un carrefour d’échanges et de cultures, un melting pot. Sa création par la France coloniale répondait à un triple objectif : Relier ses protectorats du Nord (Maghreb) à ses colonies du Sud (AOF et AEF), limiter l’influence Espagnole au seul Sahara et contrecarrer l’idée du «Grand Maroc».
La création de la Mauritanie Le nom de la Mauritanie n’apparait officiellement que le 27 décembre 1899 par décision ministérielle qui délimitait un territoire qui englobe les régions s’étendant de la rive droite du fleuve Sénégal et de la ligne entre Kayes et Tombouctou, jusqu’aux confins du Maroc et de l’Algérie. Cette décision ministérielle et le choix du nom ont été inspirés par Xavier COPPOLANI.
En 1900, la première limite du Territoire fut fixée à travers un tracé théorique délimitant les zones d’influences franco – espagnoles au Nord.
Le 10 avril 1904, par arrêté, tous les territoires situés sur la rive droite du fleuve Sénégal sont rattachés aux protectorats des pays Maures.
Paradoxalement, la fracture entre Maures et Noirs de la vallée du Fleuve sera « officialisée » par les arrêtés n°469 et 470 du 20 août 1936 qui organisaient séparément les commandements et administrations : une administration indirecte chez les « indigènes maures », avec des émirs dépendant désormais de l’administration coloniale ; et une administration directe chez les populations sédentaires noires, avec la création de cantons dont les chefs étaient auxiliaires de police judiciaire et percepteurs des impôts.
Ce mode de gestion séparée est renforcé par la mise en place d’un système éducatif différencié. En effet l’administration coloniale, pour asseoir son autorité, affirme son intérêt pour l’institution scolaire en vue d’une plus grande emprise sur les populations autochtones. Dans sa circulaire du 22 juin 1897, le Gouverneur Général E. CHAUDIE écrit : « l’école est le moyen le plus sûr qu’une nation civilisatrice ait d’acquérir à ses idées les populations encore primitives». « C’est elle (l’école) qui sert le mieux les intérêts de la cause française » ajoutera le Gouverneur Général William PONTY dans une circulaire du 30 août 1910, comme pour confirmer les propos de son prédécesseur. Simplement, l’implantation de cette école en Mauritanie se fera, et pendant longtemps, dans le Sud : Kaédi en 1898, Boghé en 1912…., alors que les Médersas le seront seulement à partir de 1916 à Boutilimit, puis à Atar en 1936…., en raison notamment de l’hostilité affichée en pays Maures.
C’est ce qui explique qu’à l’accession de notre pays à sa souveraineté le 28 novembre 1960, l’essentiel des cadres et des lettrés en langue française sont du Sud. Enfin, le décret du 5 juillet 1944 rattache la région du Hodh, jusqu’alors sous dépendance du Soudan (actuel Mali), à la Mauritanie. Ce rattachement revêt un cachet sécuritaire, l’administration cherchant à neutraliser le mouvement Hamalliste (Cheikh Hamahoullah) dans cette région.
En lieu et place des Émirats (Adrar, Trarza, Brakna, Tagant) et des États du Sud (Guidimakha, Waalo, Fouta Tooro) se substitue et se superpose le futur État de Mauritanie. Jusqu’au 2 juin 1946, le nom de la Mauritanie continuera d’être associé, jumelé avec celui du Sénégal sous l’appellation de « Circonscription Mauritanie – Sénégal » et Saint Louis du Sénégal restera capitale de la Mauritanie jusqu’à la veille de l’indépendance. On comprend dès lors que bon nombre de Mauritaniens soient nés au Sénégal. Tel est le contexte historique et politique dans lequel a été enfantée la Mauritanie actuelle, regroupant Sooninko, Wolofs, Maures, Bambaras, Haratines et Haal Pulaar en qui vont devoir désormais vivre sur un même territoire unifié et placés sous une même autorité. Il va s’en dire que pour présider aux destinées de notre pays, il vaut mieux connaître ce contexte et tenir compte de toutes les pièces du puzzle. Le prix à payer pour les fils de notre pays, maures comme noirs, sera énorme.
Les clefs de ce nouvel ensemble, fraichement créé, encore fragile, ont été confiées à Mokhtar Ould DADDAH. Si celui-ci appelait à construire ensemble la nation mauritanienne, sa conduite des affaires sera très tôt considérée comme partisane. Il va notamment opter pour une politique d’arabisation du système éducatif qui sera perçue par les uns comme un acte de souveraineté et de « repersonnalisation », et par les autres comme une mesure d’exclusion et d’assimilation. Car l’objectif à peine voilé de cette décision politique était de procéder à un rattrapage de l’avance prise par les noirs, surreprésentés dans l’appareil d’Etat, aux yeux des courants panarabistes.
Le calcul politique qui sous-tendait cette mesure, les conditions de son application, la mauvaise gestion des conséquences de cette application en termes de contestation cristalliseront toutes les frustrations et « pollueront » pour ainsi dire le climat politique de notre pays. La brèche ouverte depuis est devenue un fossé, si grand aujourd’hui qu’il fait courir à notre pays le risque de conflits à répétitions.
Est-il possible d’éviter à notre pays un futur incertain ? Les mauritaniens peuvent-ils s’arrêter un instant pour s’accorder sur l’essentiel en vue de construire un destin commun ? Quel modèle pour la Mauritanie : Etat unitaire, Etat fédéral ? Ancrage dans le monde Arabe ou dans l’Afrique noire ? Trait d’union ?
Nous verrons dans notre prochaine livraison que, dès 1946 lors des premières élections législatives dans le cadre de l’Union Française, la question était déjà posée. En 1945, en prévision de ces élections, deux tendances s’étaient dessinées : Chez les Maures « le représentant de la Mauritanie ne saurait être un noir » tandis que les notables noirs, inquiets, font appel à une candidature européenne (source : Sous – série : 2G45 : 134, Archives Nationales du Sénégal).
Quoi qu’il en soit, nul ne peut gouverner paisiblement notre pays en méconnaissance totale de son histoire ou au mépris de celle-ci, faite de recompositions, de brassages, de mélanges de sociétés si différentes que
tout éloignait au début, mais qu’il faut désormais administrer harmonieusement selon un principe si simple de justice et d’égalité, non pas de principe, mais d’égalité effective.
Ciré BA et Boubacar DIAGANA, historien et géographe – Paris.
Abdel AZIZ lui même qui doit s’y connaître, ne tient compte ni de notre histoire, ni de notre géographie, ni même de notre géopolitique encore moins de la fragile alchimie (de peuplement ou population) léguée par nos ainés.
C’est pourquoi, il nous a semblé utile de rafraichir notre mémoire collective sur la construction toute récente de notre pays afin d’aider à mieux comprendre pourquoi nos populations portent naturellement les mêmes nomsde familles du Sahara, du Sénégal, du Mali, du Maroc, de l’Algérie et bien d’autres pays dont des citoyens ont fait le choix d’être des nôtres. Il nous semble, donc, risqué de parler de noms de familles courants.
La Mauritanie n’est pas une île. Elle n’est pas non plus un No Man’s Land. Elle est le reflet de ses voisins, avec une personnalité propre, qui
s’enrichit continuellement. Par sa position géographique, à mi chemin entre l’Afrique noire et le Maghreb, la Mauritanie est un carrefour d’échanges et de cultures, un melting pot. Sa création par la France coloniale répondait à un triple objectif : Relier ses protectorats du Nord (Maghreb) à ses colonies du Sud (AOF et AEF), limiter l’influence Espagnole au seul Sahara et contrecarrer l’idée du «Grand Maroc».
La création de la Mauritanie Le nom de la Mauritanie n’apparait officiellement que le 27 décembre 1899 par décision ministérielle qui délimitait un territoire qui englobe les régions s’étendant de la rive droite du fleuve Sénégal et de la ligne entre Kayes et Tombouctou, jusqu’aux confins du Maroc et de l’Algérie. Cette décision ministérielle et le choix du nom ont été inspirés par Xavier COPPOLANI.
En 1900, la première limite du Territoire fut fixée à travers un tracé théorique délimitant les zones d’influences franco – espagnoles au Nord.
Le 10 avril 1904, par arrêté, tous les territoires situés sur la rive droite du fleuve Sénégal sont rattachés aux protectorats des pays Maures.
Paradoxalement, la fracture entre Maures et Noirs de la vallée du Fleuve sera « officialisée » par les arrêtés n°469 et 470 du 20 août 1936 qui organisaient séparément les commandements et administrations : une administration indirecte chez les « indigènes maures », avec des émirs dépendant désormais de l’administration coloniale ; et une administration directe chez les populations sédentaires noires, avec la création de cantons dont les chefs étaient auxiliaires de police judiciaire et percepteurs des impôts.
Ce mode de gestion séparée est renforcé par la mise en place d’un système éducatif différencié. En effet l’administration coloniale, pour asseoir son autorité, affirme son intérêt pour l’institution scolaire en vue d’une plus grande emprise sur les populations autochtones. Dans sa circulaire du 22 juin 1897, le Gouverneur Général E. CHAUDIE écrit : « l’école est le moyen le plus sûr qu’une nation civilisatrice ait d’acquérir à ses idées les populations encore primitives». « C’est elle (l’école) qui sert le mieux les intérêts de la cause française » ajoutera le Gouverneur Général William PONTY dans une circulaire du 30 août 1910, comme pour confirmer les propos de son prédécesseur. Simplement, l’implantation de cette école en Mauritanie se fera, et pendant longtemps, dans le Sud : Kaédi en 1898, Boghé en 1912…., alors que les Médersas le seront seulement à partir de 1916 à Boutilimit, puis à Atar en 1936…., en raison notamment de l’hostilité affichée en pays Maures.
C’est ce qui explique qu’à l’accession de notre pays à sa souveraineté le 28 novembre 1960, l’essentiel des cadres et des lettrés en langue française sont du Sud. Enfin, le décret du 5 juillet 1944 rattache la région du Hodh, jusqu’alors sous dépendance du Soudan (actuel Mali), à la Mauritanie. Ce rattachement revêt un cachet sécuritaire, l’administration cherchant à neutraliser le mouvement Hamalliste (Cheikh Hamahoullah) dans cette région.
En lieu et place des Émirats (Adrar, Trarza, Brakna, Tagant) et des États du Sud (Guidimakha, Waalo, Fouta Tooro) se substitue et se superpose le futur État de Mauritanie. Jusqu’au 2 juin 1946, le nom de la Mauritanie continuera d’être associé, jumelé avec celui du Sénégal sous l’appellation de « Circonscription Mauritanie – Sénégal » et Saint Louis du Sénégal restera capitale de la Mauritanie jusqu’à la veille de l’indépendance. On comprend dès lors que bon nombre de Mauritaniens soient nés au Sénégal. Tel est le contexte historique et politique dans lequel a été enfantée la Mauritanie actuelle, regroupant Sooninko, Wolofs, Maures, Bambaras, Haratines et Haal Pulaar en qui vont devoir désormais vivre sur un même territoire unifié et placés sous une même autorité. Il va s’en dire que pour présider aux destinées de notre pays, il vaut mieux connaître ce contexte et tenir compte de toutes les pièces du puzzle. Le prix à payer pour les fils de notre pays, maures comme noirs, sera énorme.
Les clefs de ce nouvel ensemble, fraichement créé, encore fragile, ont été confiées à Mokhtar Ould DADDAH. Si celui-ci appelait à construire ensemble la nation mauritanienne, sa conduite des affaires sera très tôt considérée comme partisane. Il va notamment opter pour une politique d’arabisation du système éducatif qui sera perçue par les uns comme un acte de souveraineté et de « repersonnalisation », et par les autres comme une mesure d’exclusion et d’assimilation. Car l’objectif à peine voilé de cette décision politique était de procéder à un rattrapage de l’avance prise par les noirs, surreprésentés dans l’appareil d’Etat, aux yeux des courants panarabistes.
Le calcul politique qui sous-tendait cette mesure, les conditions de son application, la mauvaise gestion des conséquences de cette application en termes de contestation cristalliseront toutes les frustrations et « pollueront » pour ainsi dire le climat politique de notre pays. La brèche ouverte depuis est devenue un fossé, si grand aujourd’hui qu’il fait courir à notre pays le risque de conflits à répétitions.
Est-il possible d’éviter à notre pays un futur incertain ? Les mauritaniens peuvent-ils s’arrêter un instant pour s’accorder sur l’essentiel en vue de construire un destin commun ? Quel modèle pour la Mauritanie : Etat unitaire, Etat fédéral ? Ancrage dans le monde Arabe ou dans l’Afrique noire ? Trait d’union ?
Nous verrons dans notre prochaine livraison que, dès 1946 lors des premières élections législatives dans le cadre de l’Union Française, la question était déjà posée. En 1945, en prévision de ces élections, deux tendances s’étaient dessinées : Chez les Maures « le représentant de la Mauritanie ne saurait être un noir » tandis que les notables noirs, inquiets, font appel à une candidature européenne (source : Sous – série : 2G45 : 134, Archives Nationales du Sénégal).
Quoi qu’il en soit, nul ne peut gouverner paisiblement notre pays en méconnaissance totale de son histoire ou au mépris de celle-ci, faite de recompositions, de brassages, de mélanges de sociétés si différentes que
tout éloignait au début, mais qu’il faut désormais administrer harmonieusement selon un principe si simple de justice et d’égalité, non pas de principe, mais d’égalité effective.
Ciré BA et Boubacar DIAGANA, historien et géographe – Paris.